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[LuxFilmFest] Le clip dans tous ses états


Nécessité pour les uns, simple plaisir artistique pour les autres : le clip «made in Luxembourg» se raconte en grand à l’Utopia, avec ses forces et ses faiblesses.

Depuis quatre décennies, le single s’est trouvé un allié de poids : le clip. Avant internet, la télévision (et notamment MTV) aiguisait les appétits en donnant à voir ce qui allait bientôt s’entendre dans les enceintes. Après (avec l’avènement de YouTube), il poursuit, fidèle, son partenariat, certes moins omnipotent qu’il ne l’a été et dans une rythmique bien plus aléatoire, chamboulée par le streaming.

Au Luxembourg, son évolution a suivi la lente professionnalisation de l’industrie musicale. Il a ainsi eu droit en 2013 à ses premiers trophées, disparus depuis (Video Clip Awards), et, en 2017, à sa bourse d’aide à la création (lancée par le Film Fund, la Rockhal et Music:LX, et toujours en vigueur). Et il montre aujourd’hui qu’il reste vaillant et inventif avec la cinquième édition de la Luxembourg Music Video Night, où il s’affiche sans rougir au cinéma.

Une mise en lumière qui a du sens pour Samuel Reinard, le patron du Rocklab, coorganisateur de l’événement avec son hôte du soir, le LuxFilmFest. «Un clip sur grand écran, ça change du téléphone! C’est impressionnant et ça amène l’artiste à sortir de sa zone de confort, à être ambitieux.» Une «valorisation» qui, selon lui, profite à toute la scène nationale dans un «effet boule de neige».

«Chacun tend à une plus grande qualité, et c’est tout un secteur qui en bénéficie.» Plus que des mots, des images : à l’Utopia, vingt-deux clips récents (dont des inédits) se succéderont pour dire, en creux, sensiblement la même chose : avec la vidéo musicale, «on peut tout faire!». «C’est une forme sauvage, un territoire d’expérimentation», poursuit-il. À condition, déjà, d’en manifester l’envie, et d’avoir ensuite les moyens pour le faire.

Panoplie intégrale

Pour ce qui est du premier point, Samuel Reinard est confiant. Il précise que pour cette nouvelle mouture, il a reçu, lui et son équipe, une centaine de candidatures. Une «affinité» avec la vidéo qui, de surcroît, touche aussi bien les novices que les confirmés. «Pour un groupe émergent, un clip va lui permettre de creuser son identité. Et pour ceux, plus mûrs, qui ont des ambitions à l’international, il va les aider à faire passer leur message.»

Auprès du public mais également des professionnels, plus susceptibles de regarder une courte vidéo que d’écouter un album pour garnir leur salle ou leur carnet d’adresses. «Proposer un clip ne peut que faire avancer le projet d’un artiste», enchaîne-t-il. Mieux, «ça fait partie d’une panoplie intégrale», à l’instar de ce que fait Foqus au Luxembourg, offrant à ses membres des services allant de l’audiovisuel au marketing en passant par la gestion de projet. Avec dans le lot, la création de clips.

Si j’avais le budget, je ferais un clip pour chaque chanson!

De toute façon, interroge-t-il, quel artiste en Europe est passé du «statut d’anonyme à celui de confirmé sans vidéo?». On aura donc compris toute son utilité, dans un monde de l’image où les «gens regardent souvent les morceaux avant de les écouter». Ce qui amène au délicat second point : le financement. Si les subventions existent, que l’on évoque l’ACM (aide au clip musical) ou celle plus générale destinée aux projets culturels (proposée par le ministère de la Culture), la majorité des musiciens évoquent une procédure complexe, souvent lente – ce qui ne correspond pas aux réalités d’un système qui exige rapidité et flexibilité. Chacun se débrouille alors comme il peut, profitant d’un réseau ou de connaissances.

Savoir-faire et débrouille

C’est doublement le cas pour la rappeuse Nicool. Pour son premier clip en 2019 (130 Säiten), elle s’est appuyée sur la grande famille qu’est De Läbbel, aux contacts fournis. Pour Al, présenté ce soir à l’Utopia, elle est tombée par hasard sur un ancien camarade de lycée qui bosse aujourd’hui à Berlin dans l’audiovisuel. «Il m’a filé un sacré coup de main!», lâche-t-elle.

Un sens de la débrouille qui se remarque dans les crédits des différentes vidéos présentées à la Luxembourg Music Video Night. On y trouve des associations, des artistes et vidéastes indépendants, quelques boîtes d’animation et de création graphique. Un vaste ensemble hétérogène d’où ressort toutefois régulièrement un nom : Two Steps Twice, société de production avec, à sa tête, Tun Biever, membre du collectif Tuys qui, avec son projet A Curtain Call for Dreamers, avait poussé en 2020 l’idée même du clip.

Un savoir-faire sur lequel se sont notamment appuyés deux groupes : Seed to Tree et Say Yes Dog. Le premier pour A Little Life, petit film au «grain spécial», tourné «à l’ancienne» avec une caméra 16 mm. Le second pour Not Your Thing, à l’aspect également vintage. L’un comme l’autre loue l’efficacité et le professionnalisme de la jeune équipe. «Elle rend les choses faciles», soutient ainsi le batteur Pascal Karier.

«Leur enthousiasme est fédérateur», suit le chanteur et compositeur Georges Goerens. Tous les deux, en tant qu’anciens de la scène luxembourgeoise, défendent un principe commun : qu’un clip doit surtout illustrer une chanson qui a «des choses à dire», et être un plaisir avant d’être une nécessité. En somme, un «geste artistique» qui dépasse la simple promotion. Avec, en arrière-plan, cette question, toujours, d’argent, de temps et d’énergie. «Ça implique de faire des choix», appuie Pascal Karier.

Impact sensible

Si elle s’écoutait, Nicool n’en ferait pas : «Si j’avais le budget, je ferais un clip pour chaque chanson!» Mais voilà, trouver entre 5 000 et 10 000 euros ne se fait pas d’un claquement de doigts. D’autant plus rageant que, pour elle, la vidéo est un exercice indissociable de sa carrière de musicienne. «Elle donne une autre dimension à un morceau» et son «impact» reste sensible.

Elle en a fait l’expérience encore tout récemment : «Le clip de mon dernier single, N vun der Welt, a été mis en ligne il y a un mois. Sur les réseaux, les gens m’ont dit : « ta nouvelle chanson est superbe! ». Alors qu’elle est sortie en octobre…» Qu’importe. Grâce à son copain qui lui a fait un prix d’ami, la réalisation d’Al restera un moment «inoubliable» : «J’ai eu un assistant personnel pour faire du shopping, une maquilleuse et une équipe de quinze personnes pour le tournage. Cette vidéo-là, c’est une exception totale!»

Histoire d’entretenir la dynamique, de causer des sujets qui fâchent et de créer du lien, un «networking drink décontracté», comme le promet le site de la Rockhal, sera organisé au Gudde Wëllen après la projection desdits minifilms. Parmi les sujets évoqués, il y aura probablement celui de la qualité intrinsèque de certaines productions (comme celle de Dock in Absolute), la persistance et l’entretien des clichés (l’ego trip pour le hip-hop, le live énervé et la bière pour le punk) face à la singularité d’autres (Gana et son clip dentaire en tête).

Un sujet dominera peut-être les discussions : celui de l’avenir même du clip, devant la consommation d’une génération qui préfère les formats très courts, de moins d’une minute, façon «reels» sur TikTok ou Instagram. De nombreux contributeurs y seront, mais pas Say Yes Dog, qui sera en concert en Allemagne demain soir. Oui, certaines priorités sont bonnes à rappeler.

22 artistes et clips au programme

Seed to Tree / A Little Life

Lucas Ferraz / What They Say

Dock in Absolute / Heartbeat

CHAiLD / Hardcore

Blanket Hill / Out for the Count

Gana / Neon Gold

Sublind / For Those About to Riot

Jayo Brudjez / Low Key

Gilles Grethen Quartet & Strings / Change

Nicool / Al

Alagoa / Something Somewhere Not Here Not There

Leen / Dear Desire

Authentica / Call of the Night

Josh Island / Patio Blues

The Aquatic Museum / Large Pleasure Watercraft

In The Atlas / Lucy

L’éphémère / Y a pas le temps

Maz / Hope

Say Yes Dog / Not Your Thing

The Way Out / Fumage

Francis of Delirium / Real Love

Serge Tonnar / Nous sommes les hommes

«Luxembourg Music Vidéo Night»