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Luxembourg : un demi-siècle de culture au Cercle Curiel


Maria Grazia Puglisi, Roberto Serra, Milena Crespi et Umberto Picariello s’occupent depuis de nombreuses années de la gestion du cercle qui évolue au gré des générations. (Photo : fabrizio pizzolante)

Depuis plus de 50 ans, le Cercle Curiel fait vivre la culture italienne dans la capitale. Avec la restructuration prochaine de ses locaux, une nouvelle page s’ouvre pour l’ASBL.

Le restaurant, niché au rez-de-chaussée d’un petit bâtiment de la route d’Esch à Luxembourg, cache bien son jeu. Si la Trattoria del Circolo est bien connue des habitants de la capitale, et même du Grand-Duché, cette petite adresse d’une cinquantaine de couverts révèle toute sa richesse une fois que l’on monte à l’étage. Depuis 1971, le lieu abrite aussi le siège du Circolo Eugenio Curiel qui fédère la communauté italienne autour de nombreux événements culturels. Tout a commencé avec un petit café fondé par des membres et des sympathisants du Parti communiste italien (voir encadré). «C’est un lieu qui n’est pas neutre au niveau politique et éthique», précise d’emblée le secrétaire de l’association, Roberto Serra.

D’abord locataires, les membres du cercle finissent par devenir propriétaires du bâtiment grâce à un prêt et aux nombreux dons de leurs adhérents. Ce fut le temps d’une grande restructuration des locaux qui restèrent fermés plusieurs années avant de rouvrir le 1er mai 1983. Entretemps, le petit café s’est mué en restaurant tandis que l’étage gagnait une salle de conférence rejointe en 1985 par une bibliothèque, aménagée dans les combles. «Sa collection de départ fut constituée à partir du legs de la Libreria Italiana de l’époque et complétée par des ouvrages envoyés par la maison d’édition Editori Uniti», explique Milena Crespi, responsable de la bibliothèque.

Le but était d’améliorer la formation culturelle du public venant au cercle grâce à un fonds qui compte aujourd’hui plus de 9 000 ouvrages. «Je pense qu’aujourd’hui on a dépassé les 10 000. C’est la plus grande bibliothèque italienne privée à l’étranger.»

Des origines liées au Parti communiste

Depuis sa fondation, le Circolo Culturale e Ricreativo prend ses racines au sein du Parti communiste italien installé au Luxembourg. «Le cercle a été créé par des membres et des sympathisants du parti. Il a pu voir le jour grâce au soutien financier de plusieurs camarades», précise Umberto Picariello. Certains d’entre eux ont même mis la main à la pâte pour ouvrir le petit café qui a précédé l’actuel restaurant. Ces origines se traduisent jusque dans le choix de son nom, Eugenio Curiel. Ce jeune physicien membre du Parti communiste italien n’a pas été choisi par hasard. «Il a été tué à Milan en 1945 par des fascistes», rappelle Roberto Serra. Eux-mêmes issus de cette gauche, les membres fondateurs du cercle rendirent hommage à leur camarade et à ses valeurs. «Nous avons commencé en 1971 avec une identification claire et politique et cela fait bientôt 52 ans que ça dure.» Une identité forte qui n’est pas près de changer. «Si une association avec des valeurs d’extrême droite souhaitait bénéficier de nos locaux, on lui refuserait».

Un lieu de rencontre ouvert à tous

Aujourd’hui, le restaurant comme la partie culturelle se complètent et offrent tout un panel d’activités. «Le principe était de créer un espace culturel qui ne soit pas neutre où les gens ont l’occasion de passer un moment convivial et de se retrouver», rappelle Roberto Serra. Conférences, projections de films, débats, expositions… le programme de l’association est chargé et s’adresse aussi bien aux membres de la communauté italienne qu’au reste de la population. Car si l’étiquette communiste disparaît peu à peu avec le temps, le cercle reste fidèle à ses valeurs d’origine et continue de prôner l’ouverture aux autres. «Nous avons accueilli beaucoup d’autres associations italiennes comme Altrimenti mais aussi originaires d’autres communautés, tant qu’elles partagent le même esprit et idéal.»

Les recettes du restaurant permettent au cercle de financer une grande partie de ses activités. Photo: fabrizio pizzolante

Cette énergie, tout comme la longévité de l’association, fait qu’elle est aujourd’hui bien implantée au Luxembourg. «Le cercle est très reconnu par sa communauté mais aussi par les autorités et les habitants.» Une notoriété qui permet au restaurant d’accueillir de nombreux clients chaque jour, à midi comme le soir, et de subvenir aux besoins de l’association. Car au-delà des cotisations de la centaine de membres, ce sont surtout les recettes qui permettent au cercle de continuer ses activités. Des moyens qui restent néanmoins limités et ne lui auraient pas permis de se lancer dans l’aventure qui l’attend.

Deux à trois ans de travaux

D’ici le 16 décembre, le cercle et son restaurant vont en effet fermer temporairement leurs portes à l’occasion d’une grande restructuration des locaux. L’année prochaine, le bâtiment, comme une partie du quartier, va être démoli pour être ensuite reconstruit par un promoteur immobilier. «La dernière rénovation date d’il y 40 ans, nous n’aurions pas eu les moyens de faire les travaux nous-mêmes», reconnaît Umberto Picariello, membre du comité d’organisation.

Un documentaire pour ne pas oublier

Alors que les murs actuels du cercle disparaîtront bientôt, ses membres souhaitent garder une trace du bâtiment qui les a accueillis durant tant d’années. La société de production Tarentula va donc réaliser un documentaire sur l’histoire de l’association, de ses membres et de son siège historique. De nombreuses images seront d’ailleurs tournées le 7 décembre lors d’une soirée ouverte au public. L’idée est tout autant de garder un souvenir, rendre hommage à ce lieu et à ceux qui l’ont fréquenté que de faire perdurer cette histoire pour les nouvelles générations qui n’auront pas connu les anciens locaux. «Dans ces murs sont venues pas mal de personnes, se souvient Roberto Serra. Des dirigeants politiques, des intellectuels, des auteurs… Toute une partie de l’histoire est passée par ici.» Autant de récits à perpétuer pour raconter l’histoire de toute une communauté au fil des années.

Un terrain d’entente a donc été trouvé avec le groupe immobilier pour que l’association réintègre ses locaux une fois le chantier terminé. «Les travaux devraient prendre 2 à 3 ans, nous serons ensuite au rez-de-chaussée avec une surface équivalente à celle que nous avons actuellement.»

Durant cette longue période, le cercle ne restera pas sans vie pour autant. «Nous allons nous appuyer sur des associations camarades, annonce Roberto Serra. «Nous allons aussi demander à la commune si elle peut nous prêter une salle pour nous réunir.» De quoi préserver une continuité avant le grand retour de l’association dans ses propres locaux et de perpétuer la transmission de cette culture. «On veut rendre cette institution gérable pour les générations futures.»

Le bâtiment actuel sera bientôt détruit pour être complètement reconstruit dans les années à venir. Photo: fabrizio pizzolante