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Luxembourg : la loi peut faire baisser les loyers


Une loi existe pour faire réviser à la baisse les loyers (Photo d'illustration : DR).

Un locataire résidant au Limpertsberg a entamé une procédure pour faire baisser son loyer, en tentant de faire appliquer une loi méconnue sur l’encadrement des loyers.

Jeudi matin, un résident du Limpertsberg s’est retrouvé devant le juge de paix pour tenter de faire appliquer la loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation.
Méconnue, cette disposition légale permet d’encadrer un loyer. Autrement dit, la loi permet de calculer le juste montant d’un loyer au Luxembourg. Dans les grandes lignes, si un propriétaire est libre de fixer le montant d’un loyer, celui-ci ne doit pas dépasser 5 % du capital investi (montant de l’achat, coût de l’entretien, des rénovations, etc.) dans le bien par le propriétaire en question.
Mais avant de se retrouver au tribunal, ce locataire du quartier relativement huppé de la capitale a dû passer plusieurs étapes. Explications.
Logeant dans un appartement meublé au sein d’un bâtiment de quatre unités construit en 1957 et détenu depuis par le même propriétaire, ce résident, que nous appellerons «monsieur R.», a voulu trouver un colocataire. Sans succès, notamment à cause des meubles jugés très vétustes. Lorsqu’il a demandé à son propriétaire de changer le mobilier, celui-ci a refusé. Échaudé, monsieur R. a commencé à s’intéresser au sujet et est tombé sur cette fameuse loi de 2006. Après analyse, le locataire s’aperçoit qu’il serait en droit, selon l’interprétation de cette loi, de demander une révision à la baisse de son loyer de 1 700 euros par mois (200 euros de charges comprises) pour un appartement de 90 m2 et demande à son propriétaire un loyer de 1 100 euros par mois (charges comprises). «Je suis conscient que mon loyer actuel est tout à fait correct en comparaison des prix du marché locatif. Mais indépendamment du marché, c’est bien la loi qui doit s’appliquer», a-t-il assuré hier devant le juge de paix.
Évidemment, le propriétaire a refusé la demande. Le locataire a donc décidé de porter le dossier devant la commissions des loyers de la Ville de Luxembourg, qui a pour mission de régler ce type de litige et même d’exercer une certaine médiation entre les deux parties.

«Que j’aille habiter à Thionville»

Mais c’est là que l’histoire se corse. Devant cette commission, le cas du locataire a été très vite traité avec un certain mépris et il a même été encouragé à retirer sa «plainte». «Le président de cette commission aurait dû au minimum demander le montant du capital investi au propriétaire pour se faire une idée de la situation. Chose qu’il n’a pas faite et que le propriétaire n’a toujours pas été en mesure d’apporter. En plus de me demander si je ne voulais pas me retirer, car de toute façon il allait prendre une décision en ma défaveur», a souligné le locataire devant le juge de paix. Avant d’ajouter : «Le président de la commission a jugé avec condescendance, pour ne pas utiliser un autre mot, en affirmant que je devais remercier mon propriétaire de me faire payer si peu pour un appartement au Limpertsberg et que si je voulais payer un loyer moindre, il fallait que j’aille habiter à Thionville.»

Plus qu’échaudé, le locataire a donc porté l’affaire devant la justice. «D’après mes calculs, étant économiste, et les informations recueillies, j’ai pu estimer que l’appartement a coûté, en 1957, entre 600 000 et 1 million de francs luxembourgeois (soit entre 15 000 et 25 000 euros). En application de la loi de 2006, je serais donc en droit de demander un loyer entre 500 et 700 euros. Mais encore une fois, le propriétaire n’a toujours pas fourni de preuve du capital investi», a pesté le locataire devant le juge de paix.

Face aux arguments du locataire, l’avocate du propriétaire a mis en avant que la démarche du locataire était surtout motivée par son incapacité à trouver un colocataire. De plus, «mon client n’a jamais demandé d’augmentation de loyer. Et depuis 2014, le locataire a signé le contrat de bail et donc était parfaitement d’accord avec le montant du loyer qui est, je le rappelle, pas déraisonnable au vu des prix pratiqués au Limpertsberg», a souligné l’avocate du propriétaire. Ce dernier, également mécontent de la situation, a renchéri par l’intermédiaire de son avocat : «Mon client demande désormais, comme la loi l’autorise, que le loyer passe à 2 000 euros ainsi qu’une indemnité de 1 000 euros pour les frais occasionnés. Nous demandons également qu’un expert, au frais du locataire, soit mandaté pour évaluer le montant d’un loyer juste.»

Enfin, le locataire s’est insurgé en demandant pourquoi il devrait supporter les frais d’un expert, jugeant que si tel était le cas, cela voudrait dire que s’il n’a pas les moyens de supporter des frais d’avocats et d’experts, un locataire payant trop de loyer au sens de la loi serait dès lors condamné à voir ses droits bafoués.
Le juge rendra sa décision le 16 janvier. Affaire à suivre.

Jeremy Zabatta

7 ans de procédure et 21 440 euros de gain

En 2014, après un combat de sept ans devant les tribunaux, un locataire habitant à Bettembourg avait réussi, avec la loi de 2006 sous le bras, à faire plier son propriétaire : celui-ci avait dû baisser le loyer de 600 à 250 euros.
Contacté par nos soins, ce locataire témoigne : «Il a fallu du courage et de la motivation. Après, il faut dire que j’ai toujours été engagé politiquement auprès de déi Lénk et dès le début j’ai suivi les débats autour de cette loi. Une fois en vigueur, disons que j’ai vérifié par moi-même si elle était applicable. J’ai été aussi bien entouré.»
Au final, le tribunal d’Esch-sur-Alzette a donné gain de cause à ce locataire et le propriétaire a été obligé de rembourser 21 440 euros de loyers et de charges trop payés.

Deux approches différentes

Méconnue de la population au Luxembourg, qui est à 70 % propriétaire, la loi de 2006 encadrant le montant des loyers n’encombre pas les commissions des loyers des communes. Du côté du Luxembourg, qui concentre environ 60 % du marché locatif du pays, là aussi, les affaires sont rares. Selon le président de la commission des loyers de la capitale, Jean-Marie Bauler, «il y a eu 11 affaires en 2018 et 19 l’année dernière». Mais pour cet avocat de métier, il n’y a de toute façon pas de raison de voir une augmentation des cas, même si cette loi était plus connue de la population. «Si l’on devait appliquer strictement la loi, je pense qu’un grand nombre de propriétaires pourrait demander des loyers plus élevés», juge-t-il, statistiques à l’appui.
Ces deux dernières années, sur les 30 affaires portées devant la commission des loyers à Luxembourg, dont sept en cours, 14 ont été initiées par des propriétaires et 16 par des locataires. Sur les 23 affaires closes, 12 ont vu le propriétaire avoir gain de cause ou obtenir en sa faveur un arrangement ou un retrait du dossier. «Dans la grande majorité des cas, on peut voir que les demandes des locataires ne sont pas fondées, dans la mesure où ils saisissent la commission en s’appuyant sur cette loi de 2006 alors que la raison du litige avec le propriétaire ne concerne pas cette règle des 5 % du capital investi, mais un différend autre», assure Jean-Marie Bauler.
Du côté de Differdange, le discours est tout autre. Gary Diderich, le président de la commission des loyers de la Cité du fer mais également échevin portant les couleurs du parti politique déi Lénk, a une approche un peu plus sociale. «Je ne peux pas donner tort à Jean-Marie Bauler, mais je rappelle que le but de la commission des loyers est aussi de faire une sorte de médiation. Quand un litige annexe entre le propriétaire et le locataire pousse ce dernier à saisir la commission pour faire baisser son loyer car il y a un vice dans le bien, nous arrivons alors à faire bouger les choses. Et souvent le propriétaire accepte de modifier, réparer, remplacer quelque chose et le locataire accepte le montant de son loyer. Parfois, c’est aussi simple que ça. De plus, bien souvent, ce sont des organismes sociaux qui éclairent les locataires sur cette disposition légale.»