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«Little Duke» : Andy Bausch paye son tournage


Réflexion sur le temps qui passe et sur la vieillesse, Little Duke, par son ton plus grave et mélancolique, se pose comme «une réaction à Rusty Boys», précédent film d’Andy Bausch (au c.). (Photo : Paul Thiltges Distributions)

Un pub irlandais figé dans un Luxembourg entre deux époques : c’est le décor principal du prochain long métrage d’Andy Bausch, dans lequel le cinéaste reçoit… avec l’art et la manière.

Quelques tables, des chaises et des tabourets. Sur le comptoir, d’innombrables clopes fumées sont écrasées dans un cendrier en verre. Des tapisseries à motifs, dans des tons kaki, beige et marron, que le temps, la fumée et les rayons de soleil ont passé, recouvrent les murs. À gauche, un billard. Au fond, une cuisine.

Derrière l’imposant comptoir du pub sont accrochés des portraits d’acteurs célèbres – irlandais, forcément : Peter O’Toole, Maureen O’Hara… – et d’inconnus, sans oublier un cliché très solennel du Grand-Duc Jean et de la Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte.

«Bienvenue au Little Duke!», lance Andy Bausch en pénétrant dans cet antre qui nous transporte dans un autre temps, à deux détails près : la vue tout à fait contemporaine, depuis les fenêtres, sur une rue du Grund, et l’odeur, qui trahit un lieu en réalité tout neuf.

Le cinéaste est particulièrement fier du décor, impressionnant travail qu’il doit à la cheffe décoratrice, Audrey Hernu. On touche avec les yeux, bien entendu, mais la magie opère immédiatement, avant que l’on s’attarde sur les mille et un détails qui rendent l’endroit plus vrai que nature; si tout est artificiel, on l’oublie sans peine.

La fonctionnalité du lieu n’en a pas moins été pensée selon les besoins du tournage : deux tireuses à bière fonctionnent, sur les quatre dont dispose le comptoir. Au sol, à la place du patron, une trappe s’ouvre qui mène à la cave, celle où l’on change les fûts et entrepose les caisses de boissons. Mais celle qui apparaîtra à l’écran a été recréée à part, derrière le décor du pub.

Le réalisateur, casquette éternellement vissée sur la tête, tourne dans le Little Duke depuis une dizaine de jours, mais il n’en est pas moins pris d’une agitation presque enfantine lorsqu’il fait faire le tour du propriétaire.

«En réaction à Rusty Boys»

Little Duke, c’est aussi le titre du prochain film d’Andy Bausch. Et pour cause : le bar en est le décor principal. «Plus d’un quart du film» y prend place, indique le réalisateur. Entièrement créé dans le studio 1 du Filmland, à Kehlen, le pub de fiction est l’héritage laissé par un père adoptif à deux amis sexagénaires, interprétés par André Jung et Luc Feit.

Criblé de dettes et nécessitant d’être remis à neuf, l’endroit est dans le viseur de promoteurs immobiliers qui souhaitent rénover tout le quartier. Les deux amis – «l’un réaliste, l’autre optimiste incorrigible», précise le synopsis – sont alors soumis à un dilemme : faut-il céder à la pression des spéculateurs ou rester fidèle à son éthique, et ainsi remettre le pub d’aplomb, à l’âge de la retraite?

Quand je veux faire un film, on espère toujours que ce sera une comédie. Après toutes ces années, j’en suis réduit à cette obligation?

Je crois que tout mon cinéma flotte dans une temporalité floue

«J’ai fait ce film en réaction à Rusty Boys, en quelque sorte», admet le vétéran du cinéma luxembourgeois, qui a sacrifié sa pause déjeuner pour discuter de ce nouveau projet de passion autour d’une bière (après tout, on est bien dans un pub). Depuis la sortie de sa folle épopée du troisième âge, en 2017, Andy Bausch a vogué entre les documentaires, dont l’impeccable Lost in the 80s (2019) et les projets de fiction avortés. «Quand je veux faire un film, on espère toujours que ce sera une comédie. Après toutes ces années, j’en suis réduit à cette obligation?»

Une temporalité floue

Le «troublemaker» ne cache pas non plus une pointe d’amertume en mentionnant que le Film Fund n’a pas répondu positivement à la demande de soutien déposée par Paul Thiltges et Adrien Chef, les producteurs de Little Duke, mais préfère tirer de cette leçon l’énergie pour diriger un film fièrement indépendant.

Écrit juste après l’aventure Rusty Boys, et avec le même coscénariste, Frank Feitler, Little Duke sera plutôt orienté vers le drame, avec, au centre de l’intrigue, un «bopa» qui, en plus de gérer les problèmes d’argent de son bar, s’occupe de son petit-fils, délaissé par une mère junkie.

Difficile de dire – le principal intéressé l’admet lui-même – si Little Duke sera la quintessence du cinéma d’Andy Bausch, soit une œuvre qui regroupe les thèmes, les esthétiques et les préoccupations chers au cinéaste. Mais il y a un peu de cela, c’est certain.

Chronique actuelle d’un Luxembourg vu à travers le filtre d’un lieu figé dans le temps – «je crois que tout mon cinéma flotte dans une temporalité floue», glisse-t-il alors qu’il se tient debout entre un téléphone à cadran fixé au mur et une imposante télévision à tube cathodique –, Little Duke s’intéresse encore une fois aux petites gens; le contraste entre ville basse et Ville-Haute devient même, dans son film, une parabole sur les disparités sociales.

«Il ne manque que les crachoirs au sol!»

Quelques idées issues de projets rêvés ou jamais faits ont même fini par trouver une place dans ce nouveau film. Celui qui ambitionnait un temps de réaliser un western n’a-t-il pas, désormais, son propre saloon? Amusé, il remarque : «Il ne manque que les crachoirs au sol!»

«Il y a trente ans, je voulais porter à l’écran Superjhemp», se rappelle-t-il également; une envie qui lui est passée depuis un petit moment, mais on ne manque pas de souligner que c’est le même André Jung à avoir enfilé le costume du superhéros national au cinéma qui tient le haut de l’affiche dans Little Duke. Et à en croire le story-board qu’Andy Bausch a dessiné, c’est bien pour lui et Luc Feit qu’il a écrit les deux rôles principaux.

Dans son cinéma, rien, vraiment rien, n’est laissé au hasard… Y compris quand il apprend, après coup, que la maison dont la façade sera celle du Little Duke a longtemps été occupée par un homme que tout le quartier surnommait… «Herzog», «le duc»!

Les équipes commencent à revenir plus en nombre sur le lieu de tournage lorsque la pause est finie. Silence complet, demande-t-on, pour un test son, avant que ne résonnent les premières notes d’Amazing Grace, joué à la cornemuse. Les plans de l’après-midi requièrent un peu plus de préparation que ceux du matin.

Sortie en 2023

Dans la cuisine du pub, des techniciens posent une bâche dans une grande cuve en bois : «On doit tourner un plan où les personnages fument à la fenêtre, pendant qu’il pleut dehors. Il vaut mieux éviter de mettre de l’eau partout…». Avant d’y retourner, Andy Bausch fait valoir une dernière fois son amour pour ce décor.

Aujourd’hui, le Little Duke n’existe plus : les derniers plans ont été tournés vendredi et le décor a été détruit dans la foulée. Mais pas avant, a promis le cinéaste, d’y partager une bonne bière avec toute l’équipe, ni d’avoir tourné des gros plans panoramiques du décor, pour en montrer toute la subtilité et l’attention portée à tous ces détails qui ne seront pas vus.

«Peut-être que j’utiliserai ces plans pour le générique. C’est une idée», dit Andy Bausch. Réponse au premier semestre 2023, lorsque le film sera visible sur les écrans. Pour l’instant, une fois le décor tombé, le réalisateur et toute son équipe se dirigeront notamment au Pfaffenthal ou encore à la BnL, pour un tournage qui prendra fin à la mi-juin.

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