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[Littérature] Leïla Slimani à Neimënster : « Il ne faut pas se faire des nœuds dans la tête »


Leïla Slimani : «J'entends souvent des lecteurs qui me disent qu'ils ont lu mon roman dans un état de grande tension.» (Photo : AFP)

Avec son second roman, Chanson douce, Leïla Slimani a remporté le prestigieux prix Goncourt. La jeune romancière franco-marocaine évoque cette reconnaissance, avant sa venue au Luxembourg jeudi.

Invitée par l’Institut Pierre-Werner jeudi, l’auteur francophone le plus lu de l’année dernière évoque, pour Le Quotidien, son livre à succès –bientôt adapté au cinéma – et le coup de projecteur du Goncourt, un prix «merveilleux» qu’il faut aborder le plus «naturellement possible».

Chanson douce, prix Goncourt 2016, récit d’un infanticide, est seulement le second roman de Leïla Slimani, née au Maroc il y a 35 ans, mais il frappe par sa virtuosité stylistique et sa pertinence sur le sujet tabou des rapports de domination dans notre société. Un livre choc que son auteur racontera demain à Luxembourg, du côté de Neimënster. Pour Le Quotidien, elle n’élude aucun sujet : la notoriété soudaine, son rapport aux lecteurs, les ateliers d’écriture de la NRF, au siège de Gallimard, auxquels elle a participé pour achever son premier livre, sans oublier ses prises de position.

Le Quotidien : Comment se sont passés ces trois derniers mois après le Goncourt ?

Leïla Slimani : Normalement! Bien sûr, j’ai eu beaucoup de sollicitations et d’obligations inhérentes au Goncourt, mais ma vie quotidienne reste la même, si ce n’est que j’ai moins de temps, notamment pour écrire. Pour le moment, en tout cas!

Un Goncourt, de toute façon, ça ne se refuse pas, non?

Évidemment. C’est même un beau cadeau qu’on m’a fait là! Un écrivain qui ne serait pas content d’avoir le Goncourt, cela est difficile à imaginer. Il reste le prix le plus merveilleux que l’on puisse avoir.

Vous êtes même devenue l’auteur francophone le plus lu de 2016. Qu’est-ce que cela vous fait ?

C’est d’autant plus étonnant que Chanson douce est un livre avec une thématique difficile, qui peut heurter pas mal de gens. Surtout quand on sait que la majorité des lecteurs sont en réalité des lectrices, et que beaucoup de femmes pourraient avoir peur d’aborder un sujet comme l’infanticide. Je suis heureuse, aussi, que ce livre n’ait pas eu un impact éphémère, court. Non, il se lit et se partage dans un temps long. Il s’est d’ailleurs installé dès septembre, a commencé à être apprécié bien avant les résultats du Goncourt. C’est très gratifiant!

Comment avez-vous appréhendé cette notoriété soudaine ?

Il faut aborder les choses le plus naturellement possible, sans se faire de nœuds dans la tête. Si ce sont des sollicitations qui me plaisent, pour lesquelles je me sens légitime, alors, j’y vais! Inversement, quand je pense que ça n’a rien à voir avec ce que je suis ou mon travail, je les refuse. J’essaie d’être guidée par l’envie et de ne pas me faire une montagne de choses qui ne sont pas infranchissables.

Cette mise en lumière vous permet, en tout cas, de prendre la parole sur des sujets importants, qui vous sont chers, comme l’homophobie et la condition de la femme au Maroc, ou Donald Trump. Le Goncourt peut-il alors être vu comme une tribune ?

(Elle coupe) Non, mon avis, je l’ai toujours donné, sauf qu’on l’entendait sûrement moins! J’écris d’ailleurs régulièrement – et depuis longtemps – des chroniques pour un journal marocain. Je ne me suis jamais tue, sauf que là, je suis un peu plus sous le feu des projecteurs.

Votre soudaine renommée a mis également en avant les formations à l’écriture, qui vous ont permis d’achever votre premier livre, Dans le jardin de l’ogre (2014). Ça a offert au public la possibilité de voir un autre aspect du métier d’écrivain…

Oui, mais parallèlement, il y a eu pas mal d’erreurs, d’amalgames sur le sujet. En France, durant les ateliers d’écriture, on n’apprend pas à écrire. De toute façon, à mes yeux, c’est impossible, contrairement à ce que peuvent dire les Américains… C’est quatre séances de trois heures par mois où l’on partage des textes que l’on a déjà écrits. On se les lit, on en fait des commentaires… Tout est spontané, on ne cherche pas à modeler l’écriture personnelle de chacun. Ces ateliers, ce sont des lieux de discussion et de partage pour des gens qui ont parfois besoin d’un petit déclic, d’être un peu guidés. Ça n’a rien à voir avec les pratiques aux États-Unis ou dans les pays anglo-saxons où on travaille sur la technique, les constructions romanesques… Ce sont des trucs au long court, avec une vision marketing des choses. Résultat : ça formate l’écriture et beaucoup de jeunes auteurs écrivent de la même manière, avec les mêmes codes…

Que pense le public du livre ?

J’entends souvent des lecteurs qui me disent qu’ils l’ont lu dans un état de grande tension, et qu’il leur a procuré beaucoup de plaisir. Je suis toujours, également, émue que les gens ne soient finalement jamais dans le jugement avec les personnages, et qu’ils soient surpris de la manière dont j’ai traité cette histoire.

Beaucoup de lecteurs évoquent cette première phrase, bouleversante : « Le bébé est mort. » Difficile de commencer un roman de façon aussi abrupte…

Oui, c’est vrai qu’on m’en parle souvent… C’est, en effet, une entame « coup-de-poing » qui peut déstabiliser, mettre effectivement mal à l’aise. Certaines personnes ont même eu besoin de poser, un temps, le livre, avant de le reprendre, comme dans un besoin de souffler…

Votre emploi du temps dantesque vous offre-t-il le loisir de penser à un troisième roman ?

Réfléchir, oui, toujours, mais malheureusement, il ne me laisse pas encore le temps de me mettre à table pour écrire. Je vais aussi bientôt avoir un bébé. Je suis donc aussi occupée par pas mal d’autres choses…

Entretien réalisé par Grégory Cimatti

Neimënster – Luxembourg. Jeudi à 19 h. Leïla Slimani présentera son œuvre, en lira quelques extraits et répondra aux questions du public.