L’histoire des associations nous plonge dans celle des gens. C’est un vent de liberté qui a soufflé au XIXe siècle, permettant au peuple d’avoir une vie culturelle. Une exposition lui est consacrée.
Le Lëtzebuerg City Museum innove en proposant une exposition sur l’histoire des associations du pays : «Komm, mir grënnen e Veräin!» («Allez, on monte un club»). A priori, l’initiative peut paraître surannée, à l’image d’associations classiques qui peinent à recruter. Mais créées au XIXe siècle, elles racontent beaucoup sur notre société et sur une époque dont il est parfois dur d’imaginer le quotidien.
«Nous avions beaucoup de matière, mais au final nous avons surtout utilisé les objets transmis par les associations qui ont participé à la création de cette exposition», explique Gilles Genot, le conservateur. Quatre-vingts, en tout, se sont impliquées dans le projet. Un conservateur qui était peu enthousiaste à son arrivée en 2019 pour réaliser l’envie qui maturait depuis un moment au musée. Il faut dire que presque rien n’a été réalisé sur le sujet au Grand-Duché et la tâche était d’ampleur.
«Il y avait déjà des prémices d’associations avant le XIXe siècle, des corporations, des personnes qui se réunissaient autour d’une même idée, des confréries ou encore la franc-maçonnerie», explique le conservateur entre un billard, une horloge ancienne et un tableau de Guillaume Ier. Un décor digne des «clubs de lecture ou des gentlemen’s clubs, qui réunissaient la haute bourgeoisie et les garnisons qui étaient encore présentes dans le pays. Nous sommes en 1815, le Grand-Duché vient d’être créé au congrès de Vienne.»
Une ouverture sur le monde
Il faut imaginer une société où les notions de loisirs, de temps libre existaient très peu et presque exclusivement pour les personnes très privilégiées. «Le métier du père était le métier du fils», note l’historien. Un déterminisme social qui n’est pas propice à une ouverture sur le monde. Quand «en 1848 la première Constitution du pays donne le droit à la population de s’associer, de se réunir, c’est la folie. Beaucoup d’associations se créent, surtout dans le milieu de la culture, du chant, de la musique et du théâtre.»
Alors que la révolution industrielle est en marche, l’ouvrier d’usine accède à une vie culturelle et peut par exemple entrer dans une fanfare. Au début, cette petite révolution se déroule surtout dans la capitale avant de se propager dans tout le pays. L’objet le plus ancien de l’exposition qui témoigne de cette nouvelle énergie, c’est le drapeau de 1854 des pompiers volontaires de la ville basse du Grund.
Rapidement le sport devient aussi un incontournable de la vie associative, mais Gilles Genot a fait le choix de ne pas tomber dans les idées préconçues et d’accorder à ce secteur un espace pas trop important. De la même manière qu’il n’a pas souhaité s’appesantir sur l’histoire de chaque association, préférant offrir une photographie de l’ensemble d’une société.
La Société des Arquebusiers est l’association la plus ancienne du pays, puisqu’elle existait sous forme de fraternité depuis 1402. Aujourd’hui elle est toujours bien vivante, mais les adhérents ne font plus du tir et tapent désormais dans des balles de tennis.
Des enjeux essentiels
Forcément, la religion occupait une part importante de la vie quotidienne et ça se ressentait dans les associations. Dans la même salle consacrée au sujet, sont exposés les objets de l’association Flamma qui militait alors pour l’autorisation de l’incinération des morts, un acte autrefois condamné par le Vatican. Flamma comptait 14 000 membres. Il faut dire qu’elle servait aussi de mutuelle. En cas de décès d’un adhérent, elle venait chercher le corps et le transportait à l’étranger pour le faire incinérer jusqu’à ce que le Luxembourg se dote en 1972 de son propre crématorium à Hamm.
Les débats de société de l’époque peuvent se lire au travers de cette exposition, car chaque prise de conscience sociétale se traduit par la création de nouvelles associations, comme par exemple celles contre l’abus d’alcool au XXe siècle, ou contre la tuberculose, alors que l’hygiène devient une préoccupation plus importante. Des associations pour la protection des animaux se créent ou encore l’ASBL Landwûol qui voulait lutter contre l’exode rural. La technologie aussi fait son apparition dans le milieu associatif avec la photographie, l’aviation, l’automobile (notamment l’ACL)…
La loi bien connue de 1928 donne un cadre légal aux associations. Actuellement on estime, puisqu’il n’existe aucun registre, le nombre d’associations actives dans le pays à environ 7 000. Un nouveau projet de loi est en cours d’élaboration, car elle ne colle plus à toutes les structures existantes aujourd’hui comme les ONG ou les partis politiques.
Les associations aussi doivent s’adapter, voire se réinventer pour perdurer à l’heure des réseaux sociaux. Plus besoin d’adhérer pour avoir une vie sociale et trouver de la convivialité. L’épidémie de covid a encore davantage mis à mal ce modèle, pourtant la plupart des personnes ont un jour adhéré à une association. Les ASBL jouent en ce moment un rôle fondamental dans la solidarité avec les réfugiés ukrainiens.
Le nazisme plonge le milieu associatif dans l’obscurité
Une petite salle très sombre surprend. Au sol, on marche sur une croix gammée projetée. De 1929 à 1932, le règlement des associations change et sur environ 2 000, 800 vont cesser leurs activités.
Sous l’occupation allemande, les membres sont obligés d’utiliser le salut nazi entre eux. La propagande nazie est imposée même au sein du foyer de ceux qui persévéraient, puisque les enfants des membres devaient participer aux jeunesses hitlériennes. Les drapeaux des ASBL étaient si possible cachés par l’Union des associations de résistance et ont été restitués à la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme celui des pêcheurs endurcis, exposé au musée de la Ville.
L’exposition «Komm, mir grënnen e Veräin!, La vie associative dans la ville de Luxembourg depuis le XIXe siècle», est visible au Lëtzebuerg City Museum à partir d’aujourd’hui et jusqu’au 15 janvier 2023.
Le catalogue de l’exposition paraîtra au cours du second semestre 2022. Les thèmes de l’exposition y seront approfondis ou complétés
La scénographie et le graphisme ont été imaginés en collaboration avec Lars Jürgens de l’Atelier Schubert (Stuttgart).