À l’occasion du premier Festival de guitare de Luxembourg, au Conservatoire de la Ville, le luthier Renzo Salvador donne un aperçu de son métier, qu’il exerce avec le cœur et la passion.
Dans le Conservatoire de la Ville de Luxembourg, les couloirs sont vides ce dimanche matin. Et pour cause : le premier Festival de guitare de Luxembourg, qui a débuté samedi, a déjà repris. Dans l’auditorium, les élèves des conservatoires et des écoles de musique du pays se succèdent pour remporter le concours national pour jeunes guitaristes, dont le résultat a été annoncé hier soir. À l’étage, la virtuose italienne Cristina Galietto reçoit des élèves, après avoir donné, la veille, un récital qui a enchanté le public. Le son ensorcelant du luth résonne dans la salle polyvalente, alors que le Luxembourgeois Manou Schreiner donne une conférence sur l’imposant instrument, démonstrations à l’appui, avant de proposer un très beau concert.
Seul signe de vie hors des salles, un homme expose ses instruments, somptueux : deux guitares baroques et une guitare classique. La partie «admirable» de l’intervention, l’après-midi, de Renzo Salvador. Car le luthier liégeois n’est pas seulement là pour montrer son travail, il va aussi y initier les volontaires. Et déballe lames de bois, manches, moules, colles, en attendant d’accueillir les nombreux participants. «Il faut pouvoir parler à tous les âges», dit-il, alors «il est nécessaire de commencer par des gestes simples» : pour la pratique, on sera initié au fer à cintrer, mais non sans avoir su distinguer les différents types de bois et leur utilisation. Après tout, «la première chose à savoir d’un instrument, c’est : que lui demande-t-on?». La lutherie requiert un savoir phénoménal, et chaque instrument a ses spécificités et ses demandes particulières; une initiation ne peut être qu’un aperçu de ce riche travail.
«Le début de la fin»
Renzo Salvador a commencé sa profession en 1986. Partageant alors son temps entre des études au conservatoire et la peinture, il a demandé à un luthier de lui faire une guitare; ce dernier, spécialisé dans les instruments anciens, a refusé, et après avoir vu l’une de ses peintures, «inspirée de Matthias Grünewald», lui lance : «Si tu sais peindre comme ça, pourquoi ne la fais-tu pas toi-même?» «Ce fut le début de la fin!», s’exclame, en riant, Renzo Salvador. Il abandonne l’académie de musique et découvre rapidement qu’il a «plus de talent pour fabriquer les instruments que pour en jouer».
Les trois guitares qu’il a ramenées sont des fiertés toutes particulières. L’une est une «chitarra battente» vénitienne, construite autour d’une fable d’Ésope, gravée sur le manche en ivoire. «La fable était la seule exigence. Pour le reste, c’était : « Lâche-toi. » Alors on se lâche…» Il s’est plu à inscrire une énigmatique petite phrase philosophique derrière le manche, à destination du musicien : «Muspi et ecson». «C’est la phrase de Socrate, « Nosce te ipsum » (NDLR : «Connais-toi toi-même»), écrite à l’envers. Ainsi, pour que le musicien se connaisse, il doit voir cette phrase à travers son instrument… Mais puisqu’elle est écrite à l’envers, c’est une manière de dire : « Tu ne te connaîtras jamais ». On se donne des impressions (il rit), mais on s’amuse un peu, aussi.»
Travailler par passion
Les réalisations du luthier sont nées de demandes de musiciens «amateurs, amateurs fortunés et professionnels», glisse-t-il. Bref, il ne s’éloigne jamais du musicien. «Trente-six ans après ma première guitare, je continue d’être passionné par la musique que l’on joue sur mes instruments. Et puis, ces gens qui jouent, enregistrent, partent en tournée, je les accompagne un peu aussi. C’est ma façon à moi de faire de la musique.» La collaboration avec le musicien, c’est «le point le plus important» du métier de luthier, insiste Renzo Salvador, à condition que celui-ci soit «talentueux, difficile, exigeant». Malgré son apparence tout à fait normale, la guitare classique qu’il expose est chère à son cœur : «C’est une guitare en la, ce qui est assez rare. Une musicienne me l’a commandée pour ses compositions : elle a demandé un certain nombre de frets, que la guitare soit la plus grande possible mais pour les cordes les plus courtes, elle voulait de la puissance… C’était une grosse collaboration!»
Aucun de mes instruments n’est une copie (…) mais ils sont historiquement justes.
Et de souligner un point important : «Aucun de mes instruments n’est une copie. Ils sortent de mon imagination, mais ils sont historiquement justes.» Ce qui veut dire que les formes de l’instrument doivent être conforme à l’époque, le bois utilisé à la zone géographique («on n’utilise pas le même bois pour un instrument italien que pour un instrument allemand»)… Parfois, il arrive que l’on ne sache rien de l’instrument, comme ces harpes gothiques du XVe siècle qu’il fabrique également; «la seule chose que l’on a, alors, c’est notre imagination et la beauté de la musique».
Il faut que j’aime la musique qui va avec l’instrument que je construis
Le passionné de musique détaille, en italien, ses créations à Cristina Galietto, dont Renzo Salvador dit être resté «bouche bée» devant son concert. C’est maintenant au tour de la prodige de 22 ans d’être impressionnée. Le luthier, qui dit être «tombé» dans les instruments anciens après avoir longtemps fabriqué des guitares classiques, porte son credo en étendard : «Il faut que j’aime la musique qui va avec l’instrument que je construis.» C’est, en définitive, une passion, suffit d’en croire le luthier, qui refuse de compter le temps qu’il passe sur un instrument. «Je travaille dix heures par jour, six jours par semaine. Et malgré tout, luthier, ce n’est pas un métier pour rouler en Porsche! Mais je n’ai jamais l’impression de travailler. Parfois, je descends dans mon atelier à 1 h du matin pour écouter si le si bémol est sorti sur les cordes que j’ai posées», un test obligatoire qui lui «fout des angoisses» depuis toujours. Et quant à sa création favorite, Renzo Salvador reste catégorique : «Le meilleur instrument, c’est le prochain.»