Dix jours après le coup de tonnerre de l’arrestation à Tokyo de Carlos Ghosn, les détails de ce qui lui est reproché se précisent, avec au cœur de l’enquête une dissimulation de revenus aux autorités boursières.
Toujours en garde à vue, le patron de l’alliance automobile Renault-Nissan-Mitsubishi Motors est soupçonné par le parquet d’avoir minimisé ses revenus chez Nissan d’un milliard de yens par an (7,7 millions d’euros) sur la période d’avril 2010 à mars 2015, dans des documents publics remis par la société aux autorités financières nipponnes.
Selon une source proche du dossier, il a procédé en connaissance de cause en raison de l’entrée en vigueur d’une loi imposant aux administrateurs les mieux payés de divulguer leurs rémunérations. « Tout d’un coup, M. Ghosn s’est retrouvé obligé de publier ses revenus (qui s’élevaient à l’époque à 2 milliards de yens), et à partir de ce moment-là il a commencé à les diviser en deux parties: un montant déclaré, un autre non déclaré censé en théorie lui être versé au moment où il se retirerait du groupe », assure cette source.
« Des documents signés » de sa main
Le Franco-libano-brésilien aurait « demandé à ses assistants de s’assurer » que les revenus qui devaient lui être versés ultérieurement soient cachés aux autres divisions de la compagnie. « Des documents existent, signés par Carlos Ghosn », mentionnant les différentes sommes, qui étaient conservés dans le secrétariat, au secret. Les montants annuels non déclarés ont grandi au fil du temps, atteignant sur l’exercice 2017-2018 la somme de 1,7 milliard de yens, précise la source.
Le but de la manœuvre, selon la presse, aurait été d’éviter les critiques des actionnaires et des employés, dans un pays où les PDG perçoivent des émoluments plus modestes qu’ailleurs. Greg Kelly, bras droit de Carlos Ghosn arrêté en même temps que lui, a reconnu l’existence d’un tel mécanisme mais il a déclaré aux enquêteurs avoir « consulté les experts de l’Agence des services financiers sur la question et s’être vu répondre qu’il n’y avait pas de problème », a rapporté jeudi le quotidien Yomiuri Shimbun, sans nommer ses sources. Carlos Ghosn dément également « tout acte illégal », disant s’en être remis à Greg Kelly, lui-même avocat, ajoute le journal.
Emploi fictif de sa sœur
L’Agence des services financiers s’est refusée à tout commentaire. Nissan reproche en outre à son ancien patron, révoqué la semaine dernière de la présidence du conseil d’administration, « l’utilisation frauduleuse à des fins personnelles de fonds ». L’enquête mentionne l’existence de résidences au Brésil et au Liban achetées par l’intermédiaire d’une filiale basée aux Pays-Bas, a précisé la source, et de « plusieurs appartements en location à l’usage exclusif de M. Ghosn ».
Au cours de ses auditions, Greg Kelly a expliqué qu’il préparait la revente des propriétés acquises par Nissan à la suite d’interrogations des commissaires aux comptes, selon la chaîne publique NHK. Les médias ont aussi fait état d’un emploi fictif dont aurait bénéficié sa sœur, laquelle aurait selon eux reçu une rémunération de 100 000 dollars environ par an depuis 2002 pour des activités de conseil, dont il n’a pas été trouvé trace.
A ce stade, Carlos Ghosn est détenu pour un seul motif d’accusation (dissimulation de revenus sur cinq années). Sa garde à vue peut durer au total 22 jours pour ce seul chef. Mais si l’enquête est élargie, il pourrait en théorie être de nouveau arrêté et sa détention être prolongée.
LQ/AFP