L’abolir ou le réformer ? Le travail détaché, qui permet à des Européens de travailler en France en cotisant dans leur pays d’origine, est un sujet emblématique de la campagne présidentielle, qui oppose europhiles et eurosceptiques.
Qu’est-ce qu’un travailleur détaché ?
Il s’agit d’un ressortissant de l’Union européenne, envoyé par son entreprise dans un autre État membre pour une mission temporaire. Le travailleur bénéficie du noyau dur de la réglementation du pays d’accueil (salaire minimum, conditions de travail), mais continue de payer les cotisations sociales dans son pays d’origine, selon la directive européenne de 1996. La France, qui a accueilli 286 000 salariés détachés déclarés (+25% sur un an) en 2015, est le deuxième pays d’accueil derrière l’Allemagne. Le BTP est le premier secteur concerné et la Pologne le principal pays d’origine, avec 46 800 travailleurs détachés en France. Mais l’Hexagone est également le troisième pays d’envoi, derrière la Pologne et l’Allemagne. Environ 140 000 Français sont détachés dans des pays de l’Union, essentiellement en Belgique, Allemagne, Espagne, au Royaume-Uni et en Italie.
Quels problèmes pose le travail détaché ?
Le détachement fait l’objet de nombreux détournements: non-déclaration, rémunérations très inférieures au Smic, dépassement des durées maximales de travail, hébergement indigne, etc. Selon un rapport sénatorial de 2013, la fraude concernerait entre 220 000 et 300 000 travailleurs détachés illégalement en France. Ces fraudes engendrent une concurrence déloyale envers les entreprises respectant la loi.
Comment lutte-t-on contre les fraudes ?
Durant le quinquennat Hollande, l’arsenal répressif et les contrôles ont été renforcés, par les loi Savary, Macron et El Khomri. L’amende maximale pour fraude au détachement a été portée de 10 000 à 500 000 euros, à raison de 2 000 euros par salarié détaché et de 4 000 euros en cas de récidive. Les contrôles, passés en moyenne de 500 à 1.500 par mois, avaient débouché, à fin mars, sur 33 suspensions de chantiers et 5,4 millions d’euros d’amendes. Les lois ont aussi responsabilisé les donneurs d’ordres, qui sont désormais solidaires de leurs sous-traitants en cas de non versement des salaires notamment. Dans le bâtiment, le gouvernement a lancé une nouvelle carte d’identification professionnelle, qui doit être déployée d’ici à fin septembre. Obligatoire sur les chantiers, elle doit faciliter les contrôles de l’inspection du travail. Enfin, au niveau européen, la France est en première ligne, avec l’Allemagne, pour réclamer une révision plus protectrice de la directive de 1996. Elle veut notamment ajouter le logement digne dans le noyau dur des droits des travailleurs détachés et lutter contre les « entreprises boîtes aux lettres » qui n’ont aucune activité dans leur pays d’origine.
En finir avec le détachement, « clause Molière »… Est-ce possible ?
Plusieurs candidats promettent de ne plus appliquer la directive de 1996 et ainsi d’interdire le détachement de travailleurs en France. C’est notamment le cas de Marine Le Pen (FN), de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) ou encore de Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France). François Fillon (LR), de son côté, menace de suspendre son application s’il n’obtient pas, avant fin 2017, une « renégociation complète » de la directive. Il s’est par ailleurs dit favorable à la « clause Molière », adoptée par certaines collectivités de droite, qui impose la langue française sur les chantiers. Mais la commissaire européenne Marianne Thyssen assurait en mars que la France n’avait « pas le droit de suspendre » la directive, qui est « une loi européenne qui découle du principe de libre-circulation », et que la « clause Molière » était une « discrimination contraire à législation européenne ». Elle mettait par ailleurs en garde la France contre les conséquences de telles mesures, qui, par réciprocité, pourraient léser les 140 000 travailleurs détachés par la France. Par exemple, qu’adviendrait-il si l’Allemagne imposait la maîtrise de la langue de Goethe pour accéder à son marché du travail ?
Que proposent les autres candidats ?
Partant du principe que ce n’est pas le travail détaché qui pose problème, mais ses dérives, Benoît Hamon (PS) et Emmanuel Macron (En Marche!) veulent s’inscrire dans le processus, enclenché par le gouvernement actuel, de révision de la directive de 1996. Macron prône notamment de limiter à un an la durée maximale de détachement, au lieu de trois ans. Mais la tâche s’annonce rude, car certains pays de l’Est freinent des quatre fers, de peur de perdre en compétitivité. La révision de la directive, proposée en mars 2016 par la Commission européenne, doit être adoptée par le Parlement européen, puis obtenir une « majorité qualifiée » au Conseil européen.
Le Quotidien/AFP