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Le statut des lanceurs d’alerte dans l’UE toujours aussi incertain


Quatre mois après la condamnation des deux lanceurs d'alerte de l'affaire LuxLeaks, l'Union européenne n'a toujours pas pris de mesure législative. (photo archives Editpress)

Condamnés au Luxembourg, « immunisés » en France: deux récentes décisions de justice illustrent les différences de traitement des lanceurs d’alerte en Europe. Interpellée, l’UE hésite encore à s’emparer de ce dossier sensible, débattu mercredi au Parlement européen.

La justice luxembourgeoise a tranché : Antoine Deltour et Raphaël Halet, à l’origine du scandale LuxLeaks, sont des « lanceurs d’alerte » qui ont servi « l’intérêt général ». Mais faute de texte pour les protéger, elle les a condamnés, le 29 juin, à de la prison avec sursis. Autre affaire, autre décision, le lendemain en France : les lanceurs d’alerte doivent, selon la Cour de cassation, bénéficier d’une « immunité » vis-à-vis de leur employeur. La Cour ne s’appuie pas sur la loi française en la matière, en discussion cette semaine au Sénat. C’est d’elle-même qu’elle veut « protéger les lanceurs d’alerte » par cet arrêt amené à faire jurisprudence.

Face à ces décisions divergentes, les regards se tournent vers l’Union européenne, appelée à clarifier la situation de ceux qui décident de se mettre en danger pour révéler des scandales au grand public. Mais « nous n’avons pas la compétence », assure Pierre Moscovici, commissaire européen en charge de la fiscalité. La Commission a déjà été interpellée sur cette question il y a quelques mois, au moment des débats sur la sulfureuse directive « Secret d’affaires », adoptée en avril, mais qui doit encore être transposée dans les législations nationales des États membres.

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Les détracteurs de ce texte, qui vise à protéger les « savoir-faire » et les informations commerciales sensibles des entreprises face à l’espionnage industriel, estiment qu’il menace les lanceurs d’alerte. A l’issue de nombreux débats, le texte a inclus quelques lignes pour protéger les journalistes et les lanceurs d’alerte, quand ces derniers révèlent des fautes ou une activité illégale, à condition de l’avoir fait pour « protéger l’intérêt public général » ou « un intérêt légitime » reconnu par la loi.

Un premier pas, mais qui n’aurait pas forcément changé la donne dans le cas des LuxLeaks. Cette affaire n’a en effet pas mis au jour une activité illégale, mais des accords passés par les entreprises avec l’administration luxembourgeoise pour payer moins d’impôts. Des pratiques « moralement douteuses », a admis la justice luxembourgeoise, mais pas au point d’exonérer ceux qui les ont révélées. Et comment par ailleurs décider de ce qui sert ou non « l’intérêt général »?

Initiatives symboliques

Chaque affaire devrait être étudiée « au cas par cas » et laissée à « l’interprétation au juge », répond Alain Lamassoure, eurodéputé français du parti de droite Les Républicains, qui plaide en faveur d' »un texte cadre » au niveau européen, portant spécifiquement sur les lanceurs d’alerte. Peu importe la légalité ou non des faits dénoncés s’ils contreviennent à « l’esprit de la loi », dit-il, imaginant qu' »une autorité indépendante » pourrait être « chargée du recueil des dénonciations ».

Quant à savoir si l’UE est compétente, « une base juridique, ça se trouve », insiste-t-il. Le groupe des Verts au Parlement européen a déjà tenté sa chance, en rédigeant une « proposition de directive » sur le sujet – bien que le Parlement n’ait pas de pouvoir de proposition législative. Il s’est basé sur deux articles du traité de Rome, l’un sur « la politique sociale », l’autre sur « l’amélioration des conditions de travail ».

Que peuvent faire de plus les députés? Pas grand chose, sinon appeler la Commission, comme ils le feront cette semaine à Strasbourg, à « proposer aussi vite que possible un cadre juridique clair pour garantir la protection effective des lanceurs d’alerte ». Ils inviteront aussi les États membres à « réviser leur législation actuelle », pour l’instant très inégale, selon les Verts, entre les « dispositions solides » de l’Irlande et l’absence de protection en Espagne, en Grèce ou au Portugal.

Faute de proposer un nouveau texte législatif, Pierre Moscovici et sa collègue Vera Jourova, commissaire européenne chargée de la Justice, devraient se contenter de formuler la même proposition: selon une source européenne, ils demanderont aux États membres de légiférer sur la question de manière coordonnée. Une simple recommandation, dont les Etats feront ce qu’ils voudront.

Le Quotidien/AFP