Le gouvernement dit prendre «très au sérieux» la forte hausse des prix qui s’annonce pour le gaz, mais aussi l’électricité. Avec le patronat et les syndicats, des solutions devront être trouvées.
«Un hiver très rude nous attend». Ce constat posé fin juin par le ministre de l’Énergie, Claude Turmes, se traduit désormais par des chiffres qui font froid dans le dos. Le Statec confirme dans sa note de conjoncture d’août, publiée mardi, qu’à la «suite de la flambée récente sur les marchés de l’énergie, le prix du gaz au Luxembourg est censé augmenter de près de 90 % jusqu’à la fin de l’hiver et le prix de l’électricité d’au moins 35 % en janvier 2023». Les fournisseurs de gaz ont déjà fait savoir que la facture allait augmenter dès ce mois d’octobre de 80 % pour les clients.
Comment atténuer ce choc, qui vient s’ajouter à la flambée généralisée des prix, notamment pour les produits alimentaires et les carburants? Interpellé par les députés Marc Spautz (CSV) et Mars Di Bartolomeo (LSAP), le gouvernement souligne prendre «très au sérieux la flambée des prix et d’éventuels problèmes d’approvisionnement» à l’approche de l’automne et de l’hiver. Ce sont pas moins de cinq ministres qui ont signé la réponse aux deux questions parlementaires. Le Premier ministre, Xavier Bettel – rejoint par Claude Turmes (Énergie), Franz Fayot (Économie), Lex Delles (Classes moyennes) et Corinne Cahen (Famille) – ne manque pas de rappeler que des aides directes à hauteur de 923 millions d’euros et des aides sous forme de garanties à hauteur de 500 millions d’euros ont déjà été débloquées, «ceci afin de soutenir financièrement les citoyens et les entreprises».
Un troisième paquet d’aides est annoncé
Depuis le printemps, la situation s’est néanmoins aggravée, forçant le Premier ministre à convoquer à une nouvelle concertation les partenaires sociaux. Les tractations en vue de la tripartite, annoncée pour le début de l’automne, vont commencer dès ce jeudi matin par les entrevues bilatérales auxquelles sont conviés les syndicats et le patronat.
Si l’index va constituer un point de discussion majeur, il semble évident que la flambée des prix en général, et de l’énergie en particulier, va aussi se retrouver sur la table des négociations. «Dans cette situation difficile, le gouvernement veillera (…) à maintenir son soutien aux citoyens et aux entreprises», promettent les cinq ministres cités plus haut. Le dialogue social, «qui a fait ses preuves dans le passé», doit permettre de ficeler un troisième paquet de soutien.
Depuis le 1er mai, l’État prend en charge les frais de réseau du gaz imputés aux ménages. Cette mesure est censée réduire la facture de gaz de 20 %. Une enveloppe de 35 millions d’euros est débloquée pour une aide directe qui doit prendre fin le 31 décembre.
Parmi les autres aides, on peut citer le rabais à la pompe de 7,5 centimes d’euro par litre d’essence et de diesel qui va prendre fin le 31 août. Le même rabais restera de mise jusqu’au 31 décembre pour le mazout.
Tous dans un même bateau
Depuis le début de ce mois d’août, les entreprises les plus touchées par la hausse des prix de l’énergie peuvent bénéficier de deux nouvelles mesures d’aide temporaires. Ces aides sont destinées à couvrir les surcoûts en gaz naturel et en électricité des entreprises grandes consommatrices d’énergie et les surcoûts en diesel impactant les entreprises artisanales, de transport et de la construction.
Est-ce que ces mesures de soutien vont être prolongées? En attendant, le gouvernement compte lancer, en septembre, une «vaste campagne nationale» afin «d’inciter l’ensemble de la société à économiser l’énergie». Le ministre Turmes estime que chaque résident peut assez facilement réduire sa consommation de 10 %. L’État, par le biais d’une gestion énergétique plus économe des bâtiments publics, les communes, mais aussi l’industrie (lire ci-dessous), seront mis à contribution dans le cadre d’un plan national de réduction de la demande d’énergie.
Le GNL ne convainc pas Turmes
Dans l’interview accordée début août au Quotidien, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait mis en avant les «niveaux record de livraisons» de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis, de Norvège, des États du Golfe, d’Algérie et de la mer Caspienne». Les 38 milliards de mètres cubes de GNL et de gaz de pipeline non russes importés entre janvier et juin par l’UE feraient «plus que compenser la réduction de 28 milliards de mètres cubes de l’approvisionnement en gaz russe par gazoduc».
Le Luxembourg est raccordé au port de Zeebruges, un des principaux terminaux européens de GNL. Le ministre de l’Énergie, Claude Turmes, se dit néanmoins peu convaincu par le gaz liquéfié comme alternative face à des pénuries de gaz naturel. «Le recours au pétrole et au gaz n’est en rien compatible avec nos objectifs climatiques», souligne-t-il en réponse à une question parlementaire de Fred Keup (ADR).
Dans sa réponse à une récente question parlementaire des députées déi Lénk Nathalie Oberweis et Myriam Cecchetti, le ministre du Logement, Henri Kox, rappelle «qu’à partir de l’année 2023, et au regard des nouvelles réglementations de performances énergétiques, des autorisations de construire ne pourront plus être délivrées pour des logements ayant recours à des systèmes de chauffage au gaz». Il s’agit bien des nouvelles constructions. Les ménages qui se chauffent déjà au gaz ne seront pas obligés de changer de type de chaudière, même si cela est fortement recommandé par le ministère de l’Énergie.
Henri Kox révèle également, qu’entre 2016 et 2022, seuls 18 % du parc d’habitations géré par le Fonds du logement avaient le gaz comme source d’énergie principale. Avec 54 %, ce taux est beaucoup plus élevé pour les logements construits par la Société nationale des habitations à bon marché (SNHBM). La donne va fondamentalement changer avec les lotissements en cours de planification ou de construction. Le Fonds du logement ne va plus équiper que 2 % de ses maisons et appartements de chaudières à gaz. Auprès de la SNHBM, 20 % des futurs logements auront encore le gaz comme principale source d’énergie.
«Les projets de construction de logements financés par des fonds publics devraient afficher un bilan écologique exemplaire et éviter autant que possible le recours à des énergies fossiles», souligne le ministre Henri Kox.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait souligné, le 1er août dans nos colonnes, que «pour organiser des économies (d’énergie) à l’échelle européenne (…) naturellement les entreprises seront mises à contribution (…). Les économies doivent commencer par là. Et en priorité en privilégiant l’abandon du gaz au profit d’autres combustibles». Trois semaines plus tôt, René Winkin, le directeur de la Fedil, avait déjà fait part de la volonté de l’industrie luxembourgeoise de suivre cet appel : «L’ordre de grandeur pour économiser de l’énergie (…) est inférieur à 10 %. Un potentiel supplémentaire existe toutefois si on remplace le gaz par du mazout. Il y a encore des entreprises qui gardent en réserve des brûleurs, notamment pour disposer d’une solution de rechange lorsque le gaz doit être coupé pour une opération d’entretien. L’autorisation ministérielle se borne toutefois à un nombre limité d’heures par an.» Les pourparlers entre le gouvernement, l’association patronale UEL et la Fedil se poursuivent «afin d’identifier les potentiels de réduction de consommation d’énergie» dans les différents secteurs économiques.
Pour rappel, en cas de pénurie, l’industrie va figurer parmi les premiers à être privé de gaz. Un plan de délestage retravaillé est en négociation. Mardi, le gouvernement a annoncé que les entreprises auxquelles le gaz sera coupé pourront profiter du chômage partiel.
Les risques croissants de pénurie de gaz en Europe ont pour conséquence que les prix de l’électricité vont augmenter à leur tour, lors de la période froide à venir. Les plus récents calculs du Statec reposent sur deux scénarios. Avec une hausse du prix du gaz en automne et hiver de 90 % par rapport à cet été, le prix de l’électricité connaîtrait une hausse de 35 % en janvier 2023 par rapport au mois de décembre 2022. En cas de coupure totale de Nord Stream 1, le principal pipeline de gaz ralliant la Russie à l’Allemagne, le choc de prix sur le gaz au cours de l’automne-hiver prochain augmenterait de près de 140 % par rapport à l’été 2022. Ce choc serait suivi d’une augmentation de 40 % sur le prix de l’électricité en janvier 2023 par rapport à décembre 2022.
Il existe cependant une lueur d’espoir : le plan d’urgence de la Commission européenne qui prévoit de réduire la consommation de gaz en Europe de 15 % jusqu’au printemps prochain pourrait atténuer le choc redouté avec une augmentation du prix du gaz «limitée» à +60 % et de +30 % pour l’électricité. Le Statec vient aussi d’annoncer que la production nationale d’électricité, représentant 20 % de la consommation totale du Luxembourg, a baissé d’environ 2 % entre janvier et mai de cette année. La forte baisse de la production d’électricité à partir de gaz (-20 %) pèse le plus lourdement. La flambée des prix se trouve à la base de cette moindre production.
Si on comprend bien, pour espérer(?) avoir moins chaud en été, il va fallpir se les geler en hiver.