Le président du F91, Gerry Schintgen, s’occupe du micro de la sélection nationale depuis dix ans. Il a déjà hurlé sur 50 buts des Roud Léiwen.
Il y a des voix qui restent dans les têtes à vie. Les enfants des années 60, 70 et 80, au Luxembourg, ont beau être devenus grands, voire vieux, ils sont nombreux encore aujourd’hui à avouer avoir été «biberonnés» par le timbre du célèbre Pilo Fonck, alors reporter chez RTL, suiveur en chef notamment des exploits de la génération 95. Et les gamins d’aujourd’hui ? Ceux qui vont pousser dans un nouveau stade, beau, qui résonne, souvent plein, bien plus que ne l’a jamais été le vieux Josy-Barthel ? Est-il concevable que ceux-là, dans vingt ans, aient cultivé un amour inconditionnel pour la voix de Gerry Schintgen, l’homme dont les cordes vocales donnent depuis maintenant dix ans toute sa couleur et son relief à la période faste que traversent les Roud Léiwen, pas à la radio, mais en direct ?
On avait peur de ne même pas pouvoir jouer les hymnes
Gerry Schintgen a commencé à faire parler son enthousiasme national au micro le 10 septembre 2013. Et on ne lui a pas laissé le choix. Il y a alors quelques années qu’il occupe la charge à Dudelange, en alternance avec l’inénarrable Bob Claude, dont le frère, Pierre, travaille à la fédération. C’est ce dernier qui a décroché son téléphone pour convoquer un beau jour celui qui n’est alors pas encore président du F91 : «Il ne m’a pas demandé si je pouvais faire le micro contre l’Irlande du Nord. Il m’a dit « mardi, tu fais le micro contre l’Irlande du Nord.»
La veille, le lundi, les U21 jouent d’ailleurs au Nosbaum contre les Pays-Bas. Gerry Schintgen le lui fait remarquer, car cela va lui occasionner quelques menus désagréments d’organisation qui vont l’empêcher d’être vraiment concentré sur cette curieuse et inattendue mission pour les A. «Pierre m’a dit « ah oui, tiens, il va falloir que tu fasses aussi le match des espoirs, parce que je n’ai plus personne ! ».»
S’il s’est lancé dans cette aventure, c’est parce que le speaker de l’époque vient de «démissionner» après un problème technique lors d’un match qui s’est déroulé à la Frontière. À ce moment-là, être au micro de la sélection nationale est une angoisse permanente. Parce que la fonction ramène tous ceux qui s’y collent, invariablement, au Barthel, où la sono est aussi délabrée que l’enceinte. «Je me rappelle qu’on avait toujours peur de ne même pas pouvoir jouer les hymnes.»
Je n’étais pas assez bon. Vous pouvez l’écrire comme ça
Pourtant, c’est là, dès l’Irlande du Nord, que son euphorie commence à faire merveille. «Les gens disent que j’ai une voix faite pour ça», consent-il. Elle est puissante, sans retenue et ne cache pas l’intense joie qu’il a à annoncer un but de cette sélection à laquelle il aspirait quand il évoluait avec les U18 ou les U21. «Mais je n’étais pas assez bon et vous pouvez l’écrire comme ça», s’amuse-t-il 35 ans plus tard.
Schintgen et ses emportements en direct répondent à une période faste, enfin. Le Dudelangeois n’a raté qu’une rencontre internationale en dix années. Soit 47 matches passés en cabine, pour 13 victoires et 11 nuls, mais aussi 50 buts luxembourgeois annoncés avec cette puissance qui le caractérise. «On ne m’a jamais dit que je ne pouvais pas être enthousiaste, alors cette joie sort spontanément. Et ça fait du bien.»
Aujourd’hui, le président dudelangeois, qui continue de tenir son poste en cabine au Nosbaum, où il a commencé dans la violence d’une défaite 10-0 en amical contre Cologne («Ça en faisait, des buteurs, à annoncer»), ne se voit pas dire adieu avant longtemps à la sélection. Il a beau savoir que «les joueurs ne (le) connaissent même pas», il a l’impression «de faire partie de l’équipe, et c’est plus sympa d’en faire partie aujourd’hui qu’il y a dix ans».
Mon rêve, ce serait quand même de présenter un match là-bas, un jour
Certes, cela reste une organisation. Il faut notamment discuter avec les fan-clubs, pour synchroniser les efforts. Schintgen l’assure, l’ambiance, c’est un travail d’équipe, et contre Malte ce vendredi, ou au pire contre le Liechtenstein, sous réserve que les moyens techniques le permettent, il devrait se fendre d’une innovation majeure et être sur le terrain, dans les seize mètres, face au M-Block, pour annoncer les noms des joueurs. Dans l’arène donc, pour pousser encore un peu plus loin la communion.
Le football luxembourgeois lui doit bien ça. Participer encore un peu plus pleinement à la fête serait de bonne guerre : en U21, son éventuelle éclosion a été empêchée par la possibilité qu’avait alors Paul Philipp d’emmener pour les rencontres internationales deux joueurs plus vieux de l’équipe A. L’un étant systématiquement Carlo Weis, libéro historique des Lions, le n° 5 Gerry Schintgen se retrouvait toujours sur le banc. Son seul vrai grand souvenir international restait jusque-là, donc, cet Euro-1984 disputé en URSS. Pour une défaite 5-0 contre les Russes, notamment, au stade olympique, devant 40 000 spectateurs, mais aussi face à l’Allemagne de l’Ouest d’Olaf Thon ou Olaf Marschall (4-0) ou contre l’Angleterre (2-0).
De retour après une semaine de compétition, il rate «largement» son examen du bac, parce qu’il n’a pas ouvert les bouquins qu’il avait promis à sa directrice de potasser. Il le passera finalement en 1985 et s’engagera deux semaines plus tard à la BIL, où il travaille toujours, quand il n’est pas en voyage à Wembley, en amoureux du football anglais. «J’y étais encore la semaine dernière. Le speaker ne fait pas des choses différentes devant 85 000 spectateurs que moi au Grand-Duché. Mon rêve, ce serait quand même de présenter un match là-bas, un jour.» Il y serait tellement à sa place…