Claude Haegi, ancien maire de Genève et figure de la coopération transfrontalière, ne comprend pas l’attitude du Luxembourg sur le sujet. Il regrette un manque d’implication du Grand-Duché sur un sujet majeur pour les pays concernés.
Quelle suite va être donnée à ce projet de recommandation du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, vous qui en avez assuré la présidence par le passé ?
Claude Haegi : Il va maintenant être étudié en Comité des ministres. Chacun va peser les mots du projet, on ne vit pas dans le coup de foudre. Quoi qu’il en soit, ce que nous avons vécu aujourd’hui est important : ce rapport sur la « répartition équitable de l’impôt dans les zones transfrontalières » existe, il exprime quelque chose de fort pour les citoyens concernés. C’est de leurs impôts qu’il s’agit, des bons choix qu’il convient de faire avec.
Nous ne parlons pas de la même chose
Vu du Luxembourg, avoir un responsable suisse qui défend les compensations financières, ça paraît être le monde à l’envers.
Le Luxembourg a été absent des débats. J’aurais voulu, modestement, leur communiquer cette envie de partage. Nous vivons des situations similaires avec la main- d’œuvre frontalière, mais nous ne parlons pas de la même chose quand on parle de codéveloppement. Le délégué luxembourgeois envoyé s’est lancé dans une énumération de petits projets financés qui n’a rien à voir avec une vraie politique de partage. Genève ne signe pas des chèques en blanc aux communes françaises voisines. Il y a un comité franco-suisse qui suit la destination des fonds, nous discutons, nous nous assurons que les compensations financières sont utilisées dans des projets structurants (NDLR : comme la mobilité ou la construction de bâtiments scolaires).
À Genève, ce sont des partis droitiers et populistes qui tentent de remettre en cause le système des compensations. Mais la majeure partie des responsables politiques a cet esprit important de vouloir faire des projets en commun. C’est l’envie réelle de construire un territoire ensemble qui nous porte.
Sur la frontière ici, paradoxalement, il y a même des élus français qui s’opposent avec véhémence à la mise en place de compensations. Ils disent qu’ils ne veulent pas « faire les poches au Luxembourg », qu’il ne faut pas « aller mendier ».
Le discours qui voudrait que la coopération transfrontalière n’est pas un problème d’argent est faux. C’est un problème d’argent. Ce n’est pas « que » un problème d’argent, mais il faut être lucide. Vous voulez des projets structurants pour un territoire économique qui déborde vos frontières ? Il faut s’en donner les moyens. Nous avons mis en place les compensations financières en 1973. C’est bénéfique, y compris pour Genève, qui concrètement n’a pas la place pour loger tous ses actifs. Nous avons besoin des territoires frontaliers, nous sommes tournés vers eux, et si on supprimait ces fonds, certaines communes se retrouveraient dans une situation intenable. Ça serait vraiment conflictuel, et ce n’est pas ce que nous voulons avec nos voisins.
Interview avec Hubert Gamelon
Le modèle genevois
C’est un fait méconnu, mais une zone franche fiscale a existé dès 1815 entre Genève et les territoires français voisins! Cette zone franche, adaptée à une économie montagnarde, n’était plus en phase avec le développement du tertiaire à Genève. Car une zone franche, par définition, apporte peu de ressources fiscales, ce qui convient mal à l’accueil des flux de frontaliers. C’est justement cet appauvrissement qui a mené à l’accord franco-genevois entré en vigueur en 1973.
Cet accord prévoit que 3,5 % de la masse salariale des frontaliers français est reversée par Genève aux communes concernées via un passage logistique par l’État français. La somme s’élevait à 258 millions d’euros en 2018.
« Le modèle ne fait pas débat en soi »
Benoît Sourd, journaliste au Messager (hebdomadaire haut-savoyard), est un spécialiste du transfrontalier. Il nous explique : « le modèle des compensations financières ne fait pas débat en soi. Ça marche depuis longtemps comme ça. Les discussions deviennent plus délicates quand il s’agit de co-financer des projets importants. Plus globalement, la vie transfrontalière n’est pas toujours apaisée. Nous avons aussi des problèmes de bouchons par exemple.» Quand on lui livre la vision très politisée sur le sujet, sur le versant franco-luxembourgeois entre élus français, il répond : « la plupart des maires du bassin frontalier sont Divers droite chez nous. Les compensations fiscales ne sont absolument pas vécues comme un projet qui serait forcément marqué à gauche. D’ailleurs, l’un des meilleurs connaisseurs du sujet est le maire de Thonon-les-Bains, Jean Denais, qui est Divers droite ».