Accueil | A la Une | Le Luxembourg défavorable à des clôtures antimigrants aux portes de l’Europe

Le Luxembourg défavorable à des clôtures antimigrants aux portes de l’Europe


Le Premier ministre Xavier Bettel (à g.) a été un des seuls, aux côtés de Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, à mettre en garde contre une «Europe forteresse».  (Photo : union européenne)

Des fonds européens pour bâtir des «infrastructures» censées renforcer la protection des frontières et lutter, ainsi, contre l’immigration illégale. La décision n’est pas pleinement soutenue par le Luxembourg.

«Ce serait une honte de construire un mur avec des étoiles européennes dessus.» Le Premier ministre Xavier Bettel a clamé haut et fort, jeudi dernier à Bruxelles, son opposition à l’utilisation de fonds européens pour construire de telles clôtures antimigrants aux frontières de l’UE. Il a fini par prêcher dans le désert. On nous confirme que le chef du gouvernement luxembourgeois a été «un des seuls (…) à s’opposer explicitement à la construction de murs (…), et de surcroît avec des fonds de l’UE». Finalement, le Premier ministre n’a cependant pas opposé son veto aux conclusions arrêtées en marge d’un sommet européen largement dominé par la visite du président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

Les décisions concernant la politique migratoire, initialement le principal sujet de la réunion extraordinaire des 27, sont pourtant de taille. Il est ainsi prévu «de mobiliser immédiatement des fonds et des moyens substantiels de l’UE pour aider les États membres à renforcer les capacités et les infrastructures de protection des frontières, les moyens de surveillance, y compris aérienne, et les équipements».

En faveur de moyens de surveillance

Le fait que le terme «mur» n’apparaît pas dans les textes serait le résultat d’un «compromis qui a pu être obtenu face à une pression considérable de la part d’un certain nombre d’États membres (NDLR : au nombre de 12) qui insistaient pour explicitement mandater la Commission européenne à financer la construction de murs aux frontières extérieures de l’UE», comme l’explique le ministère d’État dans sa réponse à une sollicitation du Quotidien. Autre satisfecit : les références inscrites – «sur demande du Luxembourg» – aux droits fondamentaux et à la mise en place de possibilités d’immigration légale.

Lire aussi l’édito de David Marques

L’Europe forteresse

Le feu vert au compromis trouvé est aussi justifié par le fait que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, reste opposée à la construction de murs frontaliers par le biais du budget européen. La validation et le financement de projets incombent, en effet, à la Commission et non pas au Conseil européen, dont le président, Charles Michel, juge qu’un tel financement est juridiquement possible. Le chancelier autrichien, Karl Nehammer, a une lecture plus offensive des textes. «Nous avons l’engagement que tous les pays situés aux frontières extérieures seront pris en considération par la Commission lorsqu’il s’agira de protéger ces frontières extérieures. Il s’agit d’une clarté sans précédent», a lancé vendredi matin celui qui figure parmi les plus fervents avocats des clôtures antimigrants.

Dans les faits, environ 17 % des frontières de l’UE, tant extérieures qu’intérieures, sont déjà dotées de barrières physiques, principalement des clôtures et des barbelés. Le terme «infrastructures», inscrit dans les conclusions, englobe le financement d’équipements de surveillance, comme des caméras, détecteurs de mouvement ou des tours d’observation. Le Luxembourg «est en faveur d’un financement d’équipement de surveillance (caméras, drones, …) ou encore de la construction de points de passage, à travers le budget de l’UE».

La crise est loin

Le débat sur les migrations est revenu en haut de l’agenda européen avec la hausse des arrivées irrégulières et des demandes d’asile qui ont mis les capacités d’accueil des pays sous pression. Le Luxembourg a enregistré en 2022 environ 2 200 demandes d’asile, auxquelles il faut ajouter l’arrivée de quelque 5 000 réfugiés de guerre ukrainiens.

Selon les chiffres officiels, les arrivées irrégulières dans l’UE ont cependant considérablement diminué depuis le pic de la crise migratoire en 2015.

En 2022, 180 686 arrivées clandestines ont été enregistrées, soit une augmentation mesurée par rapport à 2021.

La répartition est calculée en fonction des différentes routes migratoires : 105 561 arrivées par la route centrale (Italie et Malte), 43 906 arrivées par la route orientale (Grèce, Chypre, Bulgarie) et 31 219 arrivées par la route occidentale (Espagne).

En janvier de cette année, 7 400 arrivées irrégulières ont été enregistrées.

«Les murs n’ont jamais été une solution»

Xavier Bettel lance toutefois une mise en garde supplémentaire. «La construction de murs n’a encore jamais été une solution. Il suffit de regarder vers la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Si l’on décide de tout miser sur des murs, la conclusion est que nous voulons bâtir une forteresse européenne», a-t-il clamé jeudi à Bruxelles. On touche ici aux alternatives au concept contesté de forteresse. Les textes validés par les 27 mettent néanmoins principalement l’accent sur une canalisation plus poussée des flux migratoires. Le renforcement de l’action extérieure est, ainsi, mis en avant «afin de prévenir les départs irréguliers (…), de réduire la pression sur les frontières de l’UE et sur les capacités d’accueil (…) et d’augmenter le nombre de retours».

On est, donc, encore loin du souhait du gouvernement luxembourgeois de cesser de «discuter certains aspects de ce sujet complexe que constitue la migration de manière isolée au Conseil européen». Il serait préférable que les travaux sur le futur Pacte asile et migration (lire ci-dessous) se poursuivent de manière soutenue à l’échelle des ministres de tutelle. «C’est dans ce cadre que l’on pourra trouver des solutions pour une politique (…) commune qui tient compte des équilibres entre responsabilité, solidarité, gestion des frontières extérieures dans le respect du droit international et des droits fondamentaux, ainsi que des engagements envers les pays tiers en relation avec le retour et la réadmission».

Il est, pour l’instant, envisagé de clôturer ces travaux pour février 2024.

Déjà 2 048 km de frontières extérieures sont clôturés

Selon un décompte publié samedi par nos confrères belges du journal Le Soir, la fermeture physique de frontières extérieures de l’UE a connu un bond en passant de 315 km en 2014 à 2 048 km fin 2022. En tout, l’UE partage une frontière de 12 000 km avec des pays tiers. Voici quelques exemples :

SLOVÉNIE 640 km de barbelés et de clôtures à la frontière croate.

POLOGNE 186 km de clôture à la frontière russe.

HONGRIE 175 km de barbelés à la frontière serbe et 120 km de barbelés à la frontière croate.

BULGARIE 295 km de barbelés à la frontière turque.

GRÈCE 40 km de clôture à la frontière turque et 32 km de clôture à la frontière macédonienne.

ESPAGNE Clôture et barbelés à Ceuta et Melilla.

AUTRICHE Clôture à la frontière slovène.

FRANCE Dizaines de km de clôtures autour du port de Calais.

Un commentaire

  1. Ben voyons, facile à dire quand on ne risque rien, étant situé au milieur de l’Europe.
    M. Bettel devrait lire « Skin in the Game » de Nassim Nicholas Taleb.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.