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[L’album de la semaine] Young Fathers passe à l’âge adulte


Ceux qui suivent la carrière des Young Fathers savent que le trio d’Édimbourg aime les surprises.

D’abord, il y a eu un premier disque en 2014, Dead, qui a gagné le Mercury Prize (le meilleur album britannique de l’année) au nez et à la barde de tous les favoris du moment. Puis un second l’année d’après, White Men Are Black Men Too, encore plus réussi et addictif que le précédent, fort de ses tubes sauvages et déglingués (Shame, Rain or Shine, Old Rock n Roll). Enfin, pour compléter la trilogie, arrivait en 2018 Cocoa Sugar, marquant un virage pop plus prononcé, certes bien maîtrisé, mais conventionnel. En un mot, trop sage. Heavy Heavy, d’une certaine façon, en est le contrecoup.

Malgré une bonne réception et un succès critique, Young Fathers a ressenti le besoin d’un retour aux sources, d’aller rechercher cette fougue animale qui le caractérise si bien. Et ainsi rester fidèle à sa philosophie : «Définir aisément une musique est un échec artistique», clament régulièrement Alloysious Massaquoi, Kayus Bankole et Graham «G» Hastings. Leur musique en est la meilleure des preuves, jouant en permanence à l’équilibriste entre leurs origines respectives (l’Écosse, le Liberia et le Nigeria) et les styles, en pagaille : pop, électronique, punk, gospel, afrobeat, hip-hop, tambours d’Afrique et samples de soul rugueux à souhait. Avec un chant tribal, proche de l’incantation, pour ficeler le tout.

Vous laissez sortir les démons et vous faites avec

Oui, il fallait retrouver du lien et cette fibre collective propre à cette bande qui vibre à l’unisson. Surtout que cela a failli partir en éclats en raison de la crise sanitaire, propice à l’éloignement. En guise de réponse, vitale, Young Fathers a eu une bonne idée une fois que tout s’est apaisé : quitter les studios d’enregistrement souvent trop moelleux, aux sons lissés, pour repartir à l’ancienne, dans la cave, au cœur d’un studio fait maison qui autorisait tous les possibles, à portée de main. Un lieu sans contrainte, où seules les vibrations comptent. «Vous laissez sortir les démons et vous faites avec. On donne un sens à tout ça après!», résume sur Bandcamp Kayus Bankole, ce qui montre bien comment a procédé le collectif.

Heavy Heavy porte en lui ce vent de liberté regagnée. Il y a cette énergie portée à l’instinct, ces voix qui se mêlent en chorale, et cette urgence qui colle à la peau, comme si la moindre chanson allait être la toute dernière. Mais il n’a pas non plus oublié son prédécesseur, à qui il emprunte certains préceptes : des chansons d’à peine plus de trois minutes et une plus grande sensibilité pour les mélodies accrocheuses. À cela s’ajoute enfin une colère moins contenue. Alors que Cocoa Sugar était animé d’une tension plus intérieure, là, elle s’affirme franchement, surtout que ce ne sont pas les sujets qui manquent : capitalisme, racisme…

Pour exorciser tout ça, les vaudous d’Édimbourg laissent une nouvelle fois éclater tout leur savoir-faire, et ce, en adoptant le sens de la mesure (33 minutes pour être exact). Jamais bien loin de la référence qu’est TV on the Radio, Young Fathers est en tout cas de la même trempe, toujours prompt à éviter la facilité et les cases trop étroites. Le groupe semble même avoir gagné en plénitude. L’apanage, peut-être, de l’âge adulte, plus assuré, car ayant traversé un lot inévitable de joies et de coups durs. Pour les surmonter, faire de la musique entre copains, de manière spontanée, pourrait déjà être un début de réponse.

 

Young Fathers – Heavy Heavy

Sorti le 3 février

Label Ninja Tune

Genre pop / expérimental

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