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La rentrée littéraire se dévoile (encore)


Dans Les heures heureuses, Pascal Quignard invite le lecteur à se fondre dans ses pas, ceux d’un solitaire, pour dévorer les grands espaces. (Photo DR)

C’est la seconde semaine de rentrée ! Au programme d’ici la fin octobre, pas moins de 466 romans et récits. Une rentrée illuminée par le texte-événement de Pascal Quignard et le coup de cœur pour Imogen Binnie. Et pour que le plaisir soit total, Le Quotidien a sélectionné douze autres livres aussi enthousiasmants !

L’événement

Les heures heureuses, Pascal Quignard. Albin Michel

Pascal Quignard invite le lecteur à se fondre dans ses pas, ceux d’un solitaire, pour dévorer les grands espaces. (Photo DR)

Depuis près de 55 ans et L’Être du balbutiement (1969), on le croise régulièrement. Parfois, lors de Tous les matins du monde. Cet été dans Le Dernier Royaume. C’est le temps d’un douzième de cette somme, titré Les Heures heureuses. Pour l’occasion, Pascal Quignard a changé de maison d’édition – juste un détail tant l’essentiel de son œuvre demeure. Une fois encore, il invite le lecteur à se fondre dans ses pas, ceux d’un solitaire, pour dévorer les grands espaces.

Une fois encore, tout Quignard est dans ces pages en belles digressions : la liberté; l’amitié avec la romancière Emmanuelle Bernheim décédée en 2017; la passion pour l’Histoire… L’écriture est ciselée. Ainsi, Les Heures heureuses est bien plus qu’un roman, un journal : c’est un objet littéraire non identifié avec son lot de changements de rythme, voire de style. Les deux premiers chapitres évoquent l’importance de l’heure; dans le suivant, l’auteur présente son projet : «Dans ce livre où je veux quitter la lettre, il me faut recueillir ces ultimes vestiges : les chiffres et les dates. Les heures qui les assemblent.»

Il y a aussi la plage d’Ischia où se baignait l’amie déjà malade et «les heures heureuses». La mort rode, la question est posée : «Qu’est-ce qu’une tombe? Un corps sous une pierre. Qu’est-ce qui est inscrit sur cette pierre? Un nom, une date». Un texte essentiel.

Glory, NoViolet Bulawayo. Éditions Autrement

Habituellement peu porté à l’enthousiasme, le quotidien londonien The Times évoque tout de même «400 pages de pyrotechnie verbale et de magie animale». L’éditeur français, quant à lui, parle d’«un roman satirique incisif, inventif et édifiant», et en 2022, le livre est finaliste du Booker Prize. Glory, le nouveau roman de NoViolet Bulawayo, née au Zimbabwe, installée aux États-Unis.

Après Il nous faut de nouveaux noms (2014), l’auteure propose un conte cinglant, une farce animale avec un pays où les bêtes vivaient heureux. Jusqu’à l’arrivée des colons, d’une guerre d’indépendance et d’un nouveau dirigeant : un cheval tyrannique, surnommé «la Vieille Carne». Alors, il installa une dictature avec le cercle d’Elus, de cruels Défenseurs et son épouse, l’ânesse Merveilleuse…

Mes pas dans leurs ombres, Lionel Duroy. Éditions Mialet-Barrault

Encore et toujours, écrire la vie. Surtout pour la comprendre. Avec une vingtaine de romans à son CV, Lionel Duroy est aussi un voyageur. Ainsi, dans son nouveau livre, Mes pas dans leurs ombres, il propose une itinérance jusqu’en Roumanie. Et nous offre la compagnie d’Adèle Codreanu. Elle est journaliste et reconnaît ne s’être jamais intéressée à ce pays que ses parents ont fui avant qu’elle naisse. En reportage à Bucarest, elle fait une découverte : pourquoi les Roumains ont exterminé 400 000 juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Et elle s’interroge : pourquoi ses parents n’ont-ils jamais rien raconté ? Pourquoi ? Alors, elle lit Appelfeld et Hilsenrath. Oui, même si les Roumains refusent de l’admettre, l’horreur a été commise…

Les Naufragés du Wager, David Grann. Éditions du Sous-Sol

Journaliste de belle réputation et une des plumes du prestigieux New Yorker, David Grann murmure à l’oreille d’Hollywood. Ainsi, les magnifiques Martin Scorsese et James Gray ont adapté sur grand écran certains de ses livres. Et, avec Leonardo DiCaprio, Scorsese a même déjà acquis les droits pour le cinéma de sa nouvelle livraison : Les Naufragés du Wager.

Une fois encore, David Grann mêle journalisme et fiction, et se montre grand obsessionnel de la vérité. Dans ce livre qui a nécessité pas moins de cinq ans de travail, l’auteur plonge en 1740. Le Wager, navire britannique, est envoyé pour récupérer les trésors d’un galion espagnol, échoue au Cap Horn. Des naufragés se réfugient sur une petite île. Mutineries et cannibalisme au programme !

Le Portrait de mariage, Maggie O’Farrell. Belfond

La mariée a 15 ans, s’appelle Lucrèce de Médicis et est la troisième fille du grand-duc de Toscane. Le marié est le redoutable duc de Ferrare. On est au temps de la Renaissance qui fait décor du Portrait de mariage, dixième roman de la Nord-Irlandaise Maggie O’Farrell, remarquée pour son Hamnet, délicat portrait de l’épouse de Shakespeare. En ce jour de mariage à Ferrare, la foule fait fête au nouveau couple – elle ignore que la jeune épouse a été mariée contre son gré.

Évidemment, le marié n’attend rien de sa femme qu’un héritier – personne ne pourra s’opposer à sa volonté et son goût immodéré de pouvoir. Pis : lorsqu’elle pose pour le portrait de mariage, Lucrèce comprend qu’elle ne pourra pas échapper à ce destin. Un roman mené au pas de charge !

Western, Maria Pourchet. Stock

C’est le roman coup-de-poing de cette rentrée! À la manœuvre : Maria Pourchet. Après l’étourdissant Feu (2021), elle revient avec Western. Soit une femme, un homme. Soit Aurore et Alexis pour une fable brillante et décapante. Elle a quitté son job, toute proche du «nervous breakdown».

Avec son fils, elle a alors filé à Cajarc, dans le Lot, direction la maison de sa mère décédée, qui ne l’avait toutefois pas prévenue qu’elle avait vendu la bâtisse en viager. Elle y découvre Alexis. Il est comédien connu et a quitté, peu avant la première, Dom Juan dont il devait assurer le rôle-titre. Aurore va apprendre qu’Alexis s’est enfui avant que le scandale ne le rattrape : une jeune comédienne qu’il avait harcelée s’est suicidée. Débute alors un discours amoureux…

Les Insolents, Ann Scott. Calmann-Lévy

Il y eut La Grâce et les Ténèbres (2020). Voici Les Insolents, le nouveau livre de la toujours remarquable Ann Scott. Romancière surdouée tout en discrétion, elle se glisse jusqu’à nous régulièrement, toujours avec élégance. C’est encore le cas avec Alex, Margot et Jacques, trois inséparables. Pourtant, compositrice de musique de films, la première décide de fuir Paris. Cap à l’ouest, le Finistère, cette fin de terre pour, à 45 ans, se réinventer.

Arrivée dans un «nulle part», elle vit ailleurs et seule – c’était son rêve, Margot et Jacques sont, eux, restés à Paris. Qui a fait le bon choix de vie ? Une fois encore, Ann Scott raconte l’époque. Le contemporain. Une fois encore, c’est parfaitement réussi. Un grand et beau roman d’atmosphère !

Le coup de cœur

Nevada, Imogen Binnie. Gallimard

Imogen Binnie, 44 ans aujourd’hui, est une trans MtF (male to female) mais ne se considère pas comme une porte-parole de la cause. (Photo DR)

En 2013, un petit éditeur militant de Brooklyn publiait Nevada. Ce fut un succès d’estime – autant dire que les ventes furent quasi inexistantes. En 2022, un éditeur américain de grand renom réédite le livre d’Imogen Binnie. C’est le succès critique et public – et en voici la VF. Deux façons de commenter ce roman : un formidable «road novel» ou le premier roman trans. Au choix !

Imogen Binnie, 44 ans aujourd’hui, est une trans MtF (male to female) mais ne se considère pas comme une porte-parole de la cause, et assure ne pas avoir écrit un texte autobiographique. C’est vrai que son héroïne, Maria, est trans mais tout en dérision punk. Elle bosse dans une librairie d’occasion et malgré la transition, sent que sa vie lui échappe. Quand on l’interroge sur son existence, elle balance : «Chienne de vie». On lit : «Maria passe grave pour une connasse dans cette histoire : une mytho, manipulatrice». Ça déménage, l’écriture est fracassée.

Sur un coup de tête, Maria démissionne, «emprunte » la voiture de sa compagne Steph qu’elle vient de quitter, se fait une ligne d’héro, roule avec chien et chat direction le grand Ouest, de New York à Reno (Nevada). Partir pour mieux se (re)trouver? Elle fait connaissance de James – elle perçoit qu’il est trans aussi mais il ne le sait pas encore! Livre coup de cœur, Sur la route version trans, Nevada est le roman de la conquête du «queer spirit». Un roman culte… pour toutes et tous!

L’Hôtel des oiseaux, Joyce Maynard. Éditions Philippe Rey

Un destin de femme conté par l’excellente Joyce Maynard. Début en 1970, une bombe explose dans un sous-sol à New York. Parmi les poseurs de bombe, une jeune femme est tuée – la mère de Joan, 6 ans. Sa grand-mère la récupère pour lui offrir une vie meilleure, lui change son prénom – elle sera Amelia. Deuxième temps : adulte, mariée et mère, artiste de renom, elle est confrontée à événement tragique.

Nouvelle fuite, direction un pays d’Amérique centrale. Elle s’arrête dans un hôtel aux murs délabrés mais dont la propriétaire, Leila, est chaleureuse. Dans L’Hôtel des oiseaux, d’autres fracassé(es) de la vie font escale alors qu’Amelia ne compte pas ses forces pour retaper l’établissement que l’on dit empli de mystères. Aura-t-elle une troisième chance ?

Lapvona, Ottessa Moshfegh. Fayard

Un voyage dans le temps avec Lapvona, nouvel ouvrage de l’écrivaine Ottessa Moshfegh. Jusqu’alors, elle nous avait éblouis avec trois romans (dont Mon année de repos et de détente) et un recueil de nouvelles. Un voyage dans le monde médiéval et grand-guignolesque. Avec Marek, fils de berger aussi fanatique que crasseux. Sa mère ? Il ne l’a jamais rencontrée. Son père Jude ? Il le frappe.

Alors, le gamin se réfugie près d’Ina, sa vieille nourrice aveugle. On la dit guérisseuse, elle parle aux oiseaux. Un jour, Marek va au village, tue par accident l’héritier d’un puissant qui, pour se dédommager, l’adopte. Nouvelle vie pour Marek qui découvre le luxe et l’irréligion. Au même moment, le village est victime de la sécheresse et de la famine…

Psychopompe, Amélie Nothomb. Albin Michel

Comme chaque depuis 1992 et Hygiène de l’assassin, honorer le rendez-vous livresque avec Amélie Nothomb. Cette année encore, la romancière membre de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique est là avec Psychopompe, texte plus long qu’à l’accoutumée (160 pages) et met un terme ainsi à une trilogie qui comptait Soif et Premier Sang.

Il y avait le Père, le Fils… et maintenant, le Saint-Esprit, glisse-t-elle avec humour. Et, plus que jamais, elle se confie dans ces pages. Évoquant ses années d’adolescente (un drame survenu à 12 ans) et de jeune fille vivant ici où là au gré des affectations de son diplomate de père, elle avoue ses deux passions : les oiseaux et l’écriture. «Écrire, c’est voler», assure-t-elle.

Le Vieil Incendie, Elisa Shua Dusapin. Zoé

Scénariste, elle travaille sur l’adaptation de W ou le Souvenir de l’enfance de Georges Perec. Elle n’a quasiment plus de contact avec sa famille depuis de nombreuses années. Elle débarque dans un village du Périgord pour vider la maison de son père, mort il y a peu. Agathe y retrouve sa sœur cadette Véra, qu’elle n’a pas vue depuis une quinzaine d’années.

Lorsqu’elles étaient adolescentes, la première avait promis à la seconde souffrant d’aphasie de ne jamais la quitter – elle est pourtant partie. Dans son quatrième roman, Elisa Shua Dusapin raconte les retrouvailles avec Agathe, dont le métier et le quotidien sont les mots, et Véra enfermée dans le silence. La communication n’est pas simple. Des souvenirs reviennent. Un roman empli et de violence et de douceur.

Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde, Wole Soyinka. Seuil

Premier prix Nobel de littérature africain en 1986, le dramaturge et romancier nigérian Wole Soyinka est aussi discret que rare. Pas moins d’un demi-siècle a-t-il fallu attendre pour lire son nouveau roman, Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde. Ça valait la peine d’attendre : entre les mains, un livre de 540 pages pour une épopée aussi foisonnante que loufoque.

Pour décor, son pays natal, ce Nigeria, géant d’Afrique avec ses 220 millions d’habitants. Avec Soyinka, ça grouille de personnages dont le Premier ministre sir Goddie, le gourou religieux omnipuissant Papa Davina, le chirurgien Kighare Menka ou encore l’ingénieur Duyole Pitan-Payne, superstar avec son poste aux Nations unies… Humour et corruption sont au pouvoir !

Le Plus Court Chemin, Antoine Wauters. Verdier

Des souvenirs en fragments. De tout et de rien qui fait une vie, une enfance. C’est Le Plus Court Chemin, nouveau livre d’Antoine Wauters qu’on avait apprécié pour Mahmoud ou la montée des eaux. Son ouvrage mène inévitablement en Ardenne, à Fraiture. Wauters y a grandi dans les années 1980, il y avait la famille, les grands-parents, l’oncle et la tante flamands Priit et Annaatje qui venaient rendre visite de temps à autre…

Il y avait l’école et la maîtresse surnommée Cheval, les paysages, le ruisseau où batifolaient les libellules. Le Plus Court Chemin, c’est le puzzle de la vie de Wauters. De la nôtre, aussi. C’est également le plus beau des voyages dans le passé de l’enfance, cette époque où les mots précisent ce temps d’avant les mots.

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