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Le point de vue de riverains : la mendicité, l’arbre qui cache la forêt


Les mendiants en réseau, ciblés par l’interdiction de la mendicité pour leur agressivité, ont très majoritairement quitté la capitale où les individus seuls continuent, tant bien que mal, de faire la manche. (photos Julien Garroy)

Depuis l’interdiction de la mendicité et sa mise en pratique en janvier, les mendiants hors réseau qui sont encore en Ville-Haute subissent les contrôles de police et le ras-le-bol des riverains, dont ils ne sont pas forcément responsables.

Un mois après la première intervention des forces de l’ordre pour veiller au respect de l’interdiction, le 15 janvier, la mendicité paraît moins visible dans le quartier Ville-Haute, l’épicentre du phénomène. Devant les restaurants, sur les trottoirs, dans les halls d’entrée, personne ou presque. Lorsqu’un courageux décide de s’installer dans l’avenue commerçante de la Porte-neuve, il ne faut pas plus d’une heure avant que ce dernier ne se déplace.

«Les rues ont l’air plus calmes, car ils font attention étant donné que la police tourne plus, mais les vrais mendiants doivent continuer de faire la manche. Ils sont juste plus mobiles», constate Franck, un Mosellan employé dans un magasin du quartier depuis six ans. Vrais ou faux mendiants, le flou règne, hormis pour les habitués de la capitale.

En tant que riverain de la place du Théâtre, connue pour être fréquentée par les mendiants, Thibault sait, lui, faire la différence : «Il y a les mendiants que l’on connaît, que l’on aide, mais il y a aussi des gens qui se fondent avec eux et qui ne sont pas de vrais mendiants.

Certains ont un travail, mais se mettent dans la rue pour boire du matin au soir.» Ce sont ces «antisystèmes, mais avec un travail et des aides» que Mathilde a rencontrés lors de son arrivée à Luxembourg l’été dernier.

«En terrasse, il y avait souvent des gens qui venaient demander une cigarette, puis de l’argent. Et à côté de cela, il y avait des gens qui mettaient de la musique à fond et buvaient devant tout le monde», raconte la Messine, frontalière depuis peu. Si cette dernière comprend le besoin d’agir face à cette population qui ne fait pas la manche, l’interdiction de la mendicité n’est pas pour elle la solution.

D’autant plus qu’en comparaison avec Metz, la situation serait moins alarmante à Luxembourg. «Les deux centres-villes ne sont pas comparables, mais je trouve que proportionnellement, il y a moins de mendiants à Luxembourg. À mon avis, c’est donc plus simple de les aider que de les sanctionner.»

Thibault, riverain de la place du Théâtre : «Il y a les mendiants que l’on connaît, que l’on aide, mais il y a aussi des gens qui se fondent avec eux et qui ne sont pas de vrais mendiants.»

 

Racisme et rejet

Cynthia, vendeuse dans un magasin de chaussures, ne voit pas la mendicité du même œil. Dans la Ville-Haute, depuis près de cinq ans, elle considère que «le phénomène a pris une telle ampleur que c’est devenu ingérable». Favorable à l’interdiction, la Luxembourgeoise reconnaît toutefois qu’«ils ne sont pas tous pareils donc il faut savoir faire la part des choses».

«Certains viennent demander de l’argent aux gens, ils vous suivent et si vous ne donnez pas, ils deviennent agressifs. Ce sont eux qui sont mal vus, pas les mendiants qui ne bougent pas», précise également Martine, gérante du bar le Vis-à-Vis, à deux pas de la place du Théâtre. Il semble donc clair que les mendiants pâtissent du comportement de certains individus insistants ou agressifs.

Cynthia, vendeuse : «Ils ne sont pas tous pareils, donc il faut savoir faire la part des choses.»

 

«J’entends autour de moi qu’il y a même un racisme qui est né depuis l’arrivée de nombreux migrants et la guerre en Ukraine», glisse également Franck. «Il y a un racisme autour des mendiants et dès qu’il y en a un qui n’a pas l’air européen, c’est encore pire car certaines personnes pensent que des étrangers viennent profiter des aides.»

Alors, en Ville-Haute, simples mendiants et mendiants agressifs, faux mendiants et migrants sans abri se confondent dans les esprits. L’interdiction et le ras-le-bol sont, eux, dirigés vers les mendiants dans leur globalité. «Ceux qui font vraiment la manche se font envoyer balader par les passants avec ce genre d’ambiance», regrette Thibault.

«Je fais la police tout le temps»

«Pour quelqu’un qui gère un bistrot avec une terrasse comme moi, il faudrait la police ici. Moi, je fais la police tout le temps», lance Martine. «Les gens qui sont là tous les jours en ont marre.» Un constat basé sur l’été dernier qui a forcément changé avec l’arrivée de l’hiver et la mise en place de l’interdiction de la mendicité. Bien qu’à notre connaissance seules deux personnes aient été verbalisées, la présence renforcée a dissuadé certains mendiants.

Martine, gérante du Vis-à-Vis : «Pour quelqu’un qui gère un bistrot avec une terrasse comme moi, il faudrait la police ici.»

 

Selon les habitants et les travailleurs, les personnes issues d’un réseau, dont découle souvent la mendicité agressive, ont quitté la capitale depuis l’interdiction, à l’exception de certains individus affranchis du réseau.

Les mendiants seuls, souvent dans la rue depuis des années, sont, eux, encore présents et confrontés aux remontrances de la police qui les oblige à ranger leur gobelet et à se déplacer. Comme un coup d’épée dans l’eau pour Thibault, qui considère que «le vrai problème dans la rue, ce n’est pas la mendicité, c’est l’alcoolisme et le bazar que certains mettent».