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La dérive de Michel Houellebecq


Un entretien entre le philosophe Michel Onfray et Michel Houellebecq publié dans la revue «Front populaire» a suscité l'ire des organisations musulmanes en France. (Photo : AFP)

Ne rien publier lors de la récente rentrée littéraire et en être quand même la vedette : voilà l’exploit réussi par Michel Houellebecq, tenu pour «mégalomane et provocateur», avec des propos ciblant une fois encore les musulmans.

Prendre encore et encore par tous les sens le top 15 des auteur(es) français(es) qui ont le plus vendu en 2022, dominé une fois encore par Guillaume Musso. Consulter les parutions de la rentrée littéraire d’hiver avec Philippe Besson, Laure Groff, Raphaël Haroche, Pierre Lemaitre ou encore Lydie Salvayre. Chercher encore et encore, pas trace de son nom…

Et pour cause : il ne publie pas de nouveau roman en ce mois de janvier 2023. Pourtant, il a réussi l’exploit : celui ne pas être en librairie tout en étant la véritable vedette du moment, et pas seulement dans le microcosme franco-littéraire.

Prix Goncourt en 2010 pour La Carte et le Territoire, Michel Houellebecq fait, une fois encore, l’actualité. Avec un goût de scandale – ce dont il est coutumier, tant par ses écrits que par ses déclarations. Et il n’en a pas fallu plus pour que surgisse «l’affaire Houellebecq».

Dernière frasque en date : la publication dans la revue souverainiste Front populaire d’un entretien «libre» sur une quarantaine de pages entre son fondateur, l’omniprésent philosophe Michel Onfray, et Michel Houellebecq, donc, 66 ans.

Charge contre les musulmans

L’échange a duré plusieurs heures, agrémenté, dit-on, d’une consommation pas modérée de bouteilles… Dans l’entretien, l’auteur de Domaine de l’extension de la lutte (1994), de Soumission (2018) ou d’Anéantir (2022) a développé des thèmes récurrents dans ses romans. Dans le flot des mots marmonnés (marque de fabrique du personnage), deux passages ont fait parler au-delà des frontières du Quartier latin où se font et défont les réputations littéraires.

Le premier : «Je crois que le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser, en somme que leur violence diminue, qu’ils respectent la loi et les gens. Ou bien, autre bonne solution, qu’ils s’en aillent.» Le second : «Quand la Reconquista, modèle de reconquête, a débuté, l’Espagne était sous domination musulmane. On n’est pas encore dans cette situation. Ce qu’on peut déjà constater, c’est que des gens s’arment (…) Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamiste, je pense qu’il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans, bref des Bataclan à l’envers.»

L’indignation d’une communauté

Rapidement, la Grande Mosquée de Paris, par son recteur Chems-Eddine Hafiz, a déposé plainte contre l’écrivain pour «incitation à la haine». Discrètement, le grand rabbin de France Haïm Korcia a organisé une rencontre entre Michel Houellebecq et Chems-Eddine Hafiz.

Le premier s’est engagé à «polir» son texte qui doit paraître prochainement en livre. Le second a suspendu sa plainte, mais explique qu’il la redéposera si, à ses yeux, le texte de l’écrivain demeure, en version livresque, du même acabit que celui publié dans la revue de Michel Onfray.

De son côté, enfin, le Conseil français du culte musulman (CFCM) confie maintenir sa «plainte pour mille et une raisons», pointant «cette catégorie d’intellectuels (…) investis d’une mission, celle de lézarder la cohabitation entre tous les Français, en jetant l’opprobre sur les musulmans, accusés de tous les maux, bien que tout le monde sache qu’ils sont les premières victimes de ce que Houellebecq et ses acolytes font mine de combattre, mais qu’ils encouragent, en vérité, à plus de radicalisme et de violence, c’est-à-dire les extrémistes religieux (…). Leur attitude est absolument opposée à la saine relation qui doit exister entre toutes les franges de la société française».

Charlie Hebdo : «La banalisation d’un rouge-brunisme»

Dans le monde tant intellectuel que politique français, même s’il fait débat en privé, le sujet Houellebecq pose problème. Parce que, longtemps tenu pour homme de gauche, l’écrivain a glissé à droite (certains disent à l’extrême droite). Parce que, aussi, il n’en est pas à sa première sortie fracassante.

Ainsi, en septembre 2001 dans la foulée la parution de son roman Plateforme, il lance dans un entretien : « (…) Et la religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré (…) L’islam est une religion dangereuse, et ce, depuis son apparition».

Commentaire de Pierre Assouline, à l’époque directeur de la rédaction de Lire et aujourd’hui écrivain et membre de l’Académie Goncourt : «Il faut au moins lui reconnaître de la suite dans les idées.»

À Charlie Hebdo, longtemps soutien de l’écrivain au nom de la liberté d’expression, on est catégorique : «Il a dépassé les bornes! Avec leur entretien, Houellebecq et Onfray mettent les mains dans le pâté. C’est la banalisation d’un rouge-brunisme porté par une nébuleuse de gens qui comptait encore beaucoup de pro-Poutine il y a un an».

Réputé mégalomane, provocateur et menteur, Michel Houellebecq est le symbole de «la radicalisation d’un auteur à succès». Est-ce une raison, bonne et suffisante, pour justifier des dérapages incontrôlés (du moins, en apparence) et inqualifiables? La réponse est dans la question.

Houellebecq vs Ernaux

Dans un flot impressionnant sur la toile, les commentaires emplissent les pages. On lit tout et aussi n’importe quoi. Et aussi des propos définitifs. Par exemple : «En préférant l’outsider Annie Ernaux au favori Houellebecq, les jurés du Nobel n’ont donc sans doute pas préféré une œuvre littéraire à une autre. Ils n’ont peut-être même pas préféré une femme à un homme. Ils ont offert à notre temps un miroir avantageux, préférant une littérature qui caresse le lecteur dans le sens du poil à une littérature qui met le doigt là où ça fait mal.»

En quelques mots, était ainsi résumé ce qui fait figure d’un match. D’un côté, Michel Houellebecq, l’écrivain français contemporain le plus lu dans le monde et, de l’autre, Annie Ernaux, 82 ans, la première Française prix Nobel de littérature – décerné le 6 octobre dernier.

Quelques jours plus tard, celle qu’on surnomme «la papesse de l’autofiction» lançait une attaque violente contre l’auteur. Extrait : «Il a des idées totalement réactionnaires, antiféministes, c’est rien de le dire! J’avais beaucoup aimé son premier livre, Extension du domaine de la lutte, conseillé par mon autre fils. C’était vraiment neuf, cette idée que la lutte allait se jouer sur l’apparence physique. Mais ensuite…»

Elle poursuit, remontée : «J’ai arrêté de le lire à cause de son image des femmes, des mères, des femmes mûres, sa manière de décrire les peaux, les seins qui tombent. Quitte à avoir une audience avec ce prix, étant donné ses idées délétères, franchement, mieux vaut que ce soit moi! J’ai lu son Goncourt, La Carte et le Territoire, mais l’écriture… Il n’y en a pas. Alors il est très traduit, parce que c’est extrêmement facile à traduire.» Bonjour, l’ambiance!

La presse de droite à sa rescousse

À travers les propos de l’auteure des Années (2008) ou du tout récent Jeune Homme (2022), surgissent surtout deux conceptions, deux approches de la littérature et deux visions et convictions politiques. Résumé, on dira qu’Annie Ernaux est une femme de gauche et que Michel Houellebecq penche à droite.

La première, féministe revendiquée, ne cache pas sa sympathie intellectuelle pour Jean-Luc Mélenchon et son parti La France insoumise. Ainsi, on l’a vue, peu après sa réception du Nobel, en tête d’une manifestation à Paris «contre la vie chère» d’ami(es) insoumis(es).

Après avoir été encensé par la presse de gauche, le second, lui, a glissé progressivement vers une moins recommandable où il a ses «ronds de serviette», tant au quotidien Le Figaro, l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le mensuel Causeur ou Front populaire.

Et un journaliste-historien ne manque pas de rappeler que, dans les années 1930-50, Louis-Ferdinand Céline, l’auteur du Voyage au bout de la nuit (1932), était encensé par la gauche française avant d’être récupéré par la droite (et l’extrême) quand celle-ci a découvert que, dans ses écrits, figuraient nombre de thèses  (comme l’antisémitisme) dont certaines passibles de sanctions judiciaires. Un destin qui résonne fort dans celui de Michel Houellebecq.

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