La dépression est un trouble mental fréquent, mais loin d’être anodin. Dans sa forme la plus sévère, elle peut même conduire au suicide. Pas moins de 10% de la population au Luxembourg dit éprouver des symptômes dépressifs.
Envie de s’isoler, difficultés à trouver le sommeil, manque d’appétit, sentiment de vide et de tristesse… La dépression est un trouble psychiatrique fréquent, qui a un impact important sur la vie quotidienne.
«La dépression est une vraie maladie, et une maladie grave, dangereuse même, car dans certains cas, la personne peut ne plus avoir envie de vivre, et donc vouloir mettre fin à ses jours. On sait aujourd’hui que dans les trois quarts des cas, une personne qui se suicide souffrait d’une dépression», alerte Fränz D’Onghia, psychothérapeute cognitivo-comportementaliste et chargé de direction au service information et prévention de la Ligue luxembourgeoise d’hygiène mentale, D’Ligue.
C’est l’intensité et la durée des symptômes qui vont permettre de distinguer la dépression d’une simple déprime passagère. Parmi les symptômes caractéristiques d’une dépression, on retrouve ainsi l’anhédonie, c’est-à-dire la perte d’intérêt et de plaisir à faire des choses que l’on aimait faire auparavant; la tristesse (avec souvent des pleurs); les troubles du sommeil; les troubles de l’appétit; les troubles cognitifs (perte de concentration et de la mémoire); un ralentissement psychomoteur (le fait de se déplacer plus doucement, de ne plus parvenir à retenir ses émotions); une perte de libido; la dévalorisation de soi et les idées suicidaires.
«Pour parler de dépression, il faut avoir l’un des deux principaux symptômes, à savoir l’anhédonie ou la tristesse, et au moins quatre autres des neuf symptômes. Il faut aussi que ces symptômes durent au moins deux semaines. Une déprime, quant à elle, s’en va généralement au bout de quelques jours», explique Fränz D’Onghia.
À la base de toute dépression, il y a le stress
Les causes de la dépression sont multiples. Pour l’Organisation mondiale de la santé, cette maladie «résulte d’une interaction complexe entre des facteurs sociaux, psychologiques et biologiques».
Pour le psychanalyste Éric Sobel, «les origines renvoient fréquemment à la relation aux autres, très souvent à la perte, à la déception et même parfois au sentiment d’abandon».
«On parle d’approche biopsycho-sociale. Il y a des gens qui n’ont pas les « gènes dépressifs », mais qui vont quand même développer une dépression, et inversement. Car il y a aussi un facteur social (comment j’ai appris à gérer les situations difficiles, l’influence de l’entourage, etc.). Et il y a en plus un aspect psychologique : ma façon de gérer mes pensées et mes émotions. La personnalité a un rôle à jouer. Ainsi, le fait d’être introverti par exemple présente plus de risque», résume Fränz D’Onghia, qui insiste par ailleurs : «Mais à la base de toute dépression, il y a le stress.»
Que celui-ci soit issu d’une accumulation quotidienne d’éléments perturbants ou qu’il vienne d’un événement traumatique, c’est le stress qui va entraîner la personne dans un déséquilibre psychique. «Lorsqu’un événement stressant arrive, on fait quelque chose pour le diminuer : on prend un bain, on fait du sport, on discute avec des amis… Mais à un moment donné, soit à cause du cumul, soit parce que le stress est énorme (comme lorsqu’on se retrouve pris dans un attentat), le niveau de stress n’est plus acceptable. On tombe alors dans une fragilité. Notre tension psychique augmente et les stratégies que l’on avait mises en place pour diminuer le stress ne sont plus efficaces. D’ailleurs, parfois, ces stratégies sont mauvaises, comme le fait de se réfugier dans l’alcool ou de consommer des drogues. Petit à petit en tout cas, arrive la phase de crise.»
La personne est alors complètement submergée par ses émotions. Le moindre effort lui coûte énormément et, parfois, même le simple fait de vivre est trop douloureux.
La dépression peut toucher tout le monde, quels que soient l’âge ou le sexe. Diverses études montrent toutefois que les femmes sont généralement plus affectées par cette maladie et que la majorité des dépressions survient avant 30 ans. Les enfants ne sont donc pas exempts, et peuvent souffrir de dépression. L’OMS rappelle d’ailleurs que «la dépression est l’une des principales causes de morbidité et d’invalidité chez les adolescents». Le suicide des plus jeunes reste néanmoins une conséquence rare sur le territoire du Grand-Duché. «Il n’y a pas eu de suicide d’enfants de moins de douze ans ces vingt dernières années, et les suicides en dessous de 15 ans sont rares», assure Fränz D’Onghia. «Toutefois, je fais beaucoup d’ateliers auprès d’enseignants et nombre d’entre eux sont surpris de l’état psychique des jeunes enfants. Mais peut-être que de nos jours on est plus attentifs à toutes ces questions aussi.»
Si l’épisode est mal soigné, mal contrôlé, il peut se répéter
Différents moyens sont à la disposition des personnes qui souffrent de dépression pour sortir de cette maladie. Il existe en effet une gradation dans la dépression, qui peut être légère, moyenne ou sévère. Ce n’est en tout cas pas un état d’être ou une maladie chronique. Les experts parlent d’ailleurs «d’épisode dépressif».
«La dépression a un début, un déroulement et une fin. Mais si l’épisode est mal soigné, mal contrôlé, il peut se répéter. On parle alors de récidive. Et un cas sur deux récidive», indique Fränz D’Onghia.
Lorsque la dépression est légère, il n’est ainsi pas forcément nécessaire de consulter un médecin ou un psychologue. Les traitements dits psychosociaux peuvent tout à fait suffire : avoir une activité physique, passer du temps à l’extérieur, ne pas rester seul et interagir avec des gens et avoir une alimentation saine, riche en oméga 3 (que l’on retrouve notamment dans les poissons gras et qui ont prouvé leur efficacité pour diminuer les symptômes dépressifs) peuvent suffire à aller mieux. Sans oublier le fait d’avoir un bon rythme de sommeil (siestes interdites !).
Mais lorsque la dépression est plus intense, une psychothérapie peut s’avérer nécessaire, voire indispensable, en sus des recommandations psychosociales.
Les écoles, et donc les méthodes, diffèrent. À chacun de trouver la voie qui l’aide au mieux. «Le psychothérapeute cognitivo-comportementaliste va donner des exercices, comme par exemple sortir au moins 30 minutes chaque jour au cours de la semaine à venir. Il va aussi essayer de voir quels sont les schémas de pensée de la personne et essayer de les restructurer. Car lorsqu’on est dépressif, on a tendance à penser que l’on est nul, qu’on a tout raté dans sa vie», résume Fränz D’Onghia.
«Face à ces souffrances, le psychanalyste accompagne les personnes dépressives en leur offrant un espace d’écoute et un accueil bienveillant», explique pour sa part Éric Sobel. «Un espace où tout jugement est laissé à la porte et où il est possible d’essayer de comprendre pourquoi et comment la dépression a pu surgir, pourquoi et comment la situation s’est enlisée. Il s’agit de mettre du sens là où celui-ci semble avoir disparu et de remettre en mouvement des processus qui se sont figés. Souvent en adéquation avec un traitement médicamenteux transitoire, le temps de travail est différent pour chaque patient en fonction de son rythme, de son histoire, de ses singularités et des caractéristiques de sa dépression. La psychanalyse fait ainsi du sur mesure et vise à permettre aux patients de retrouver un élan vital.»
La prise de médicaments est en effet souvent un passage nécessaire, surtout en cas de dépression sévère.
Tout semble vécu chez la personne dépressive comme une véritable contrainte
«Coupée de ses sensations, écrasée par des engagements divers, tout semble vécu chez la personne dépressive comme une véritable contrainte, une absence de force. Cela peut même aller jusqu’à l’impossibilité de se lever le matin. La culpabilité dépressive est étouffante au point de ne laisser aucune marge de manœuvre au sujet. Les « je suis nul », « cela ne sert à rien » ou encore « je vais en finir » sont légion et dévoilent ce rapport intérieur despotique entre un souverain et son subordonné. Ce rapport devenu unique et envahissant entraîne la personne dépressive un peu plus loin d’elle-même. Elle prend ainsi l’habitude de ne plus s’entendre, de ne plus s’écouter, de ne plus se sentir. Pire, la solution d’isolement est souvent privilégiée et contribue à aggraver la situation», décrit Eric Sobel.
«Dans la dépression sévère, la personne est souvent totalement immobilisée par sa dépression. Elle n’a même pas la force d’aller voir un psy», signale Fränz D’Onghia. «Dans ces conditions, on ne peut pas faire de psychothérapie. Il faut une aide médicamenteuse pour rebooster la personne, lui redonner un peu d’énergie, diminuer un peu son humeur dépressive pour qu’elle retrouve la force nécessaire pour pouvoir commencer une psychothérapie.»
Un travail de longue haleine commence alors. En fonction du nombre de séances et de l’espacement de celles-ci ainsi que de la «discipline» du patient, le travail sera plus ou moins long, mais il faut compter six mois minimum. «Généralement, quand on commence à prendre des antidépresseurs, on est parti pour une année au moins. Même après que les symptômes ont disparu, il faut continuer à prendre ces médicaments pour éviter la rechute. Quand on n’a plus de symptômes de dépression, on peut commencer tout doucement à diminuer l’intensité des médicaments et, au bout de 6 à 9 mois, après la fin des symptômes, on peut les arrêter complètement», estime Fränz D’Onghia.
Si les antidépresseurs ont un certain nombre d’effets secondaires, ils n’ont cependant pas d’effet d’accoutumance, contrairement à d’autres médicaments psychotropes. Il ne faudra pas en prendre plus pour obtenir les mêmes résultats. Mais seul un professionnel compétent peut être apte à décider de la fin du traitement.
Tatiana Salvan