La remise en cause du droit à l’avortement le 24 juin dernier par la très conservatrice Cour suprême des États-Unis a fait l’effet d’une bombe. Mais ce n’est sans doute là qu’un début.
La fuite de documents émanant de la Cour suprême laissait présager le pire dès le mois de mai. Un mois plus tard, le couperet tombait définitivement : le 24 juin, la très conservatrice Cour suprême révoquait l’arrêt historique Roe vs Wade qui autorisait depuis près de 50 ans le droit à l’avortement au niveau fédéral, assurant jusqu’alors aux Américaines de pouvoir avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) sur tout le territoire.
C’est désormais à chaque État de décider s’il autorise ou non l’avortement sur son sol. Résultat : à ce jour, 13 États l’ont formellement interdit et cinq en ont fortement limité le recours. Dans d’autres, la procédure d’interdiction est pour l’instant suspendue à des décisions de justice. Au final, plus de la moitié des États pourrait refuser ce droit aux femmes.
Cette décision qui a fait l’effet d’une bombe aux États-Unis et bien au-delà de leurs frontières, a été une surprise pour le président des Républicains du Luxembourg (Republicans overseas Luxembourg), James O’Neal. «Jusqu’à présent, les juges manquaient de courage. C’est une bonne chose de constater qu’ils ont su prendre une décision controversée», déclare ce constitutionnaliste dans l’âme.
«Je comprends très bien que dans notre monde moderne, le droit à l’avortement est essentiel pour beaucoup de femmes qui veulent établir leur autonomie, mais je comprends aussi la logique constitutionnelle de la Cour», poursuit-il. Pour lui, «il y a trop de centralisation aux États-Unis, et cette tendance à centraliser le pouvoir est dangereuse».
Les démocrates s’étaient en revanche préparés à un tel revirement sociétal, entre les nominations controversées de trois juges de la Cour suprême par Donald Trump (tout particulièrement les ultra-conservateurs Neil Gorsuch et Amy Coney Barrett) et les signaux favorables aux opposants à l’avortement envoyés par la Cour déjà plusieurs mois auparavant (cette dernière avait notamment refusé d’empêcher l’entrée en vigueur d’une loi plus restrictive à l’avortement au Texas).
«Ce n’était qu’une question de temps», déplore Will Bakker, trésorier des Démocrates du Luxembourg (Democrats abroad Luxembourg), parti largement majoritaire au Grand-Duché qui rassemble près de 350 membres. «Nous étions au fait que ceux qui avaient mis en avant les noms de ces juges auprès du président Trump avaient dans l’optique qu’une décision aussi drastique soit prise : ce sont des extrémistes religieux et des personnes qui souhaitent aider les riches et les corporations à redistribuer le pouvoir aux puissants qui sont derrière tout cela.»
Droits des Afros-Américains et mariage gay dans le viseur
La décision de la Cour suprême de révoquer le droit à l’avortement n’est en effet qu’une mesure conservatrice parmi d’autres : en juin, elle a aussi consacré le droit des Américains à sortir armés de leur domicile, elle a limité le pouvoir de l’État fédéral à lutter contre le changement climatique par le biais de l’Agence pour la protection de l’environnement (dont l’objectif était de réguler les émissions des centrales à charbon), et elle a rendu des décisions favorables à une présence de plus en plus importante de la religion dans la sphère publique, en autorisant notamment l’octroi d’argent public pour les écoles confessionnelles.
Et elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : certains droits des Afro-Américains et des couples homosexuels sont désormais dans son collimateur. Ainsi, la Cour, qui a entamé sa nouvelle session au début du mois d’octobre, pourrait revenir sur la discrimination positive (qui permet aux universités de sélectionner leurs candidats sur des critères raciaux pour assurer une certaine diversité) et détricoter une loi des droits civiques permettant aux Afro-Américains de se voir assurer des représentants politiques.
La révision des lois antidiscrimination pourrait aussi permettre aux commerçants de refuser de servir des couples homosexuels au nom de leurs convictions religieuses. Le juge Clarence Thomas a en outre émis le désir d’abroger un arrêté consacrant le droit à la contraception.
Des positions qui inquiètent vivement Will Bakker : «Le fait que leur nomination à vie protège ces juges signifie qu’ils vont être en service pendant des décennies. C’est très contrariant pour l’Amérique, et la direction que prennent les événements me fait peur pour mes proches.»
«Ne va-t-on pas trop loin avec la discrimination positive qui peut s’apparenter à une discrimination inversée? Le mariage gay entre-t-il bien dans la Constitution?», interroge pour sa part James O’Neal. «Je suis un républicain libertarien. Pour moi, le plus important, c’est la liberté individuelle et réduire la taille du gouvernement. Je veux que les citoyens soient responsables de leur vie. Je ne veux pas que le gouvernement me dise ce que je dois faire et ne pas faire. Et avec la liberté, il y a aussi la responsabilité», résume-t-il.
«Les républicains parlent toujours de la Constitution, mais savent-ils vraiment ce qu’elle contient? Le droit de porter une arme par exemple était bien plus restrictif aux origines!», attaque Will Bakker. La Cour suprême est en effet compétente sur tous les cas relevant de la Constitution. Constitution dont les Américains dans leur ensemble sont extrêmement fiers et qui garantit la stabilité politique du pays depuis plus de 200 ans.
En vigueur depuis 1789, c’est l’une des plus anciennes au monde encore appliquées. Problème : au vu de son ancienneté, il est parfois possible d’interpréter des mots et des idées datés en fonction de sa sensibilité politique.
De là à élaborer une nouvelle Constitution, qui signifierait instaurer une deuxième République, impensable! «On ne peut nier les avantages de la stabilité et le génie de la Constitution et le Parti démocrate n’appelle pas à en changer la structure!», rétorque immédiatement le démocrate Will Bakker.
Des décisions qui pèsent sur les élections
Impossible pour le républicain James O’Neal de nier toutefois que ces décisions polémiques et la baisse de la confiance de la population envers la Cour suprême qui a suivi (elle obtient désormais l’approbation 40 % des sondés, contre 58 % en 2020) risquent de porter préjudice au Parti républicain lors des prochaines élections de mi-mandat, qui se tiendront le 8 novembre prochain.
«D’après une étude, c’est le vote des femmes de plus de 50 ans qui va faire basculer l’élection. Or pour beaucoup d’entre elles, le droit d’avorter est fondamental», souffle-t-il. «Mais le Parti républicain regroupe plusieurs factions très différentes, et ce qui nous préoccupe tous le plus, ainsi que les Américains, c’est l’économie et l’inflation.»
À l’inverse, les démocrates voient dans ces controverses une véritable opportunité de remporter la bataille. «Ces décisions m’aident clairement lorsque je dois convaincre les Américains du Luxembourg d’aller voter. Il y a quelques mois encore, les gens se reposaient sur le fait que Biden est à la Maison-Blanche. Ils me disent aujourd’hui « Bien sûr que je vais aller voter »», se frotte les mains Will Bakker.
Surtout, c’est aussi une chance pour les États-Unis de renouveler la politique, en rappelant l’importance du travail que peut mener le congrès. Will Bakker : «Les représentants politiques qui avaient peur d’aborder certains sujets parce qu’ils étaient polémiques ou considérés comme des acquis, peuvent désormais les défendre ouvertement, c’est le cas de la défense du droit à l’avortement. En outre, trop de gens, y compris des représentants politiques, pensent que la loi ne compte pas tant que ça, que le président des États-Unis et la Cour suprême font le gros du boulot. Pourtant, la législature peut avoir du poids et doit pour cela devenir plus musclée.»
Le démocrate poursuit : «La Cour suprême tend à être une force conservatrice. Lorsqu’elle a été une force pour protéger les droits des gens, c’était aussi parce que le président ou le congrès ont utilisé leur pouvoir pour la contraindre. Il y a une place pour changer les choses.» Et un moyen de temporiser le pouvoir de la Cour suprême.
Élections de mi-mandat
Les élections de mi-mandat (ou midterms en anglais) se tiendront le 8 novembre. Comme leur nom l’indique, elles ont lieu au milieu du mandat présidentiel (qui dure quatre ans) pour élire les membres de la Chambre des représentants (qui compte 435 sièges) ainsi qu’un tiers environ des sénateurs (34 sur cent) – les deux assemblées formant le Congrès américain.
Le Congrès est l’organe législatif, il est donc chargé d’élaborer, discuter et voter les lois et peut également soumettre des amendements à la Constitution. Ces élections sont donc cruciales pour l’orientation politique des deux prochaines années. D’après les derniers sondages d’opinion, démocrates et républicains sont au coude-à-coude.