Bruxelles a interdit mercredi la fusion entre le français Alstom et l’allemand Siemens au grand dam de Paris et Berlin, fervents partisans de la création d’un champion européen du ferroviaire pour faire face à la concurrence chinoise.
« La Commission a interdit la concentration parce que les entreprises n’étaient pas disposées à remédier aux importants problèmes de concurrence que nous avons relevés », a déclaré Margrethe Vestager, commissaire chargée de la Concurrence, lors d’une conférence de presse à Bruxelles. « En l’absence de mesures compensatoires suffisantes, cette concentration aurait entraîné une hausse des prix pour les systèmes de signalisation qui assurent la sécurité des passagers et pour les futures générations de trains à très grande vitesse », a ajouté la Danoise.
Cette décision était largement attendue. Grillant la politesse à l’exécutif européen, le ministre français des Finances, Bruno le Maire, a confirmé mercredi matin ce que tout le monde supputait. « Je crois que les jeux sont faits », a affirmé le ministre sur France 2, parlant d’une « erreur économique » qui « va servir les intérêts » de la Chine.
Seules 30 fusions sur 6 000 bloquées en 30 ans
Margrethe Vestager s’était inquiétée à maintes reprises des effets du rapprochement Siemens/Alstom. Il réduirait le nombre d’industriels rivaux dans l’Union, ce qui risquerait de faire monter les prix des trains pour les compagnies ferroviaires, et celui des billets pour les consommateurs. La Commission européenne, qui dispose depuis 1989 d’un droit de veto sur les grands projets de fusion, n’en a pas souvent fait usage. En près de trente ans, plus de 6000 fusions ont été approuvées et moins d’une trentaine ont été bloquées.
Depuis le début de son mandat, fin 2014, Margrethe Vestager n’avait interdit que trois rapprochements, jusqu’à ce jour. Margrethe Vestager, autrefois encensée par le président français, Emmanuel Macron, pour son intransigeance vis-à-vis des GAFA, est devenue avec le dossier Alstom-Siemens la cible d’attaques plus ou moins directes de Paris et Berlin. Les deux capitales, comme les industriels, craignent la concurrence du chinois CRRC, numéro un mondial du ferroviaire né du rapprochement de deux entreprises d’Etat contrôlées par Pékin.
«À l’encontre des intérêts européens»
CRRC fabrique 200 trains à grande vitesse chaque année, et Siemens-Alstom 35, notait récemment Bruno Le Maire. Mardi, une source gouvernementale française a estimé que le veto attendu de Bruxelles était « symptomatique d’une certaine idéologie de la Commission qui va à l’encontre des intérêts européens », regrettant une interprétation des règles « extrêmement stricte » de la part de Bruxelles.
Le même jour, le ministre allemand de l’Économie, Peter Altmaier, a également plaidé pour une politique favorisant des regroupements à l’échelle européenne, afin de créer des champions capables de jouer « à égalité » sur la scène internationale, et une révision du droit européen de la concurrence. « N’y a-t-il pas des domaines tels que l’aviation, les chemins de fer, les banques où vous devez prendre le marché mondial comme référence plutôt que l’européen? », a fait valoir le ministre.
Les deux groupes, français et allemand, avaient tenté d’amadouer la Commission européenne en proposant de vendre certaines activités. Mais les cessions d’actifs envisagées, correspondant à 4% du chiffre d’affaires cumulé des deux entités, n’ont pas convaincu. Alstom et Siemens Mobility repartiront « chacun de leur côté » en cas d’entrave à leur rapprochement, a indiqué le PDG d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, au quotidien français Le Figaro mercredi. Siemens, de son côté, a laissé entendre qu’en cas de refus, il n’excluait pas une introduction en Bourse de sa rentable branche Mobility. L’interdiction de la fusion devrait faire le bonheur des syndicats belge et français d’Alstom. Ils avaient réitéré lors d’une rencontre avec Margrethe Vestager à Paris le 21 janvier dernier leur opposition au projet, craignant d’importantes suppressions de postes.
AFP