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En Europe, la colère enfle chez les agriculteurs


La colère des agriculteurs est «multifactorielle» et résulte de décisions nationales et européennes. (Photo : afp)

Des Pays-Bas à la Roumanie en passant par l’Allemagne et la France, les agriculteurs sont en ébullition face au prix du carburant, à la concurrence ukrainienne et aux contraintes européennes.

La fronde du monde agricole est partie en juin 2022 des Pays-Bas, deuxième exportateur mondial de produits alimentaires derrière les États-Unis. Un projet gouvernemental visant à faire baisser les émissions d’azote en réduisant le cheptel pousse des milliers d’agriculteurs dans la rue. Au volant de leurs tracteurs, ils bloquent les autoroutes et protestent devant les domiciles de responsables politiques. Après des mois de contestation, la révolte contre l’exécutif se traduit par un raz de marée électoral d’un jeune parti rassemblant des agriculteurs, le «Mouvement agriculteur-citoyen» (BBB), qui fait une entrée en force au Sénat en mars 2023.

L’«exaspération» a aussi gagné ces derniers mois la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Hongrie ou la Bulgarie, où les producteurs dénoncent essentiellement la «concurrence déloyale» de l’Ukraine, accusée de brader le prix de ses céréales. Dans la foulée de l’offensive russe, l’UE a suspendu en mai 2022 les droits de douane sur tous les produits importés d’Ukraine et créé des «corridors de solidarité» pour permettre à Kiev de faire transiter ses stocks de céréales. Sauf que beaucoup de denrées ont fini par s’accumuler chez ses voisins européens.

Pressions sur les gouvernements

Vent debout contre cet afflux de blé ou de maïs, les agriculteurs bulgares et roumains ont sorti leurs tracteurs pour bloquer les postes-frontières avec l’Ukraine. En Pologne, les manifestations ont poussé à la démission en avril 2023 le ministre de l’Agriculture. Les exploitants ont tout de même commencé à bloquer en novembre, avec les routiers, les points de passage avec l’Ukraine. Un blocus suspendu le 6 janvier après un accord avec le gouvernement, qui prévoit des subventions. En Roumanie, les agriculteurs ne lâchent pas la pression sur le gouvernement, manifestant contre des taxes jugées exorbitantes.

Au-delà des cultivateurs polonais et roumains, les organisations agricoles appellent à restreindre les importations accusées de plomber les prix – en écho aux critiques récurrentes sur les accords de libre-échange négociés par Bruxelles.

Distorsions au sein de l’UE

En Allemagne, les agriculteurs ont lancé une semaine de manifestations avec des convois de tracteurs bloquant les routes dans tout le pays contre un projet du gouvernement Scholz d’augmenter les taxes sur le diesel agricole. La coalition gouvernementale au pouvoir a accepté d’échelonner la suppression de l’exonération jusqu’en 2026 et promet moins de bureaucratie.

Le malaise prend de l’ampleur également dans les campagnes françaises, où les agriculteurs protestent aussi contre la hausse des coûts de production et les obligations environnementales croissantes. Depuis jeudi soir, ils bloquent des autoroutes dans le sud-ouest et se rassemblent sur des ronds-points. La mobilisation a été endeuillée hier par le décès d’une femme sur un barrage routier. Son mari et sa fille ont été grièvement blessés.

Premier poste du budget européen, la nouvelle politique agricole commune (PAC) entrée en vigueur en 2023 a en effet renforcé les obligations environnementales (jachères, haies…). Une majorité d’agriculteurs refusent de se passer des pesticides (considérés comme un «moyen de production») «sans solution alternative» dans une France qui veut voir leur usage considérablement réduit d’ici 2030. Il y a un an déjà, les betteraviers français, privés des insecticides néonicotinoïdes dont certains restent utilisés en Allemagne par exemple, avaient paralysé la capitale, à bord de plus de 500 tracteurs. Ils espèrent voir l’Europe autoriser les nouvelles techniques d’édition du génome (NGT) et dénoncent pour l’heure des «distorsions énormes de concurrence» au sein de l’UE.

La contagion pourrait toucher d’autres pays. «Les (syndicats agricoles) italien et espagnol parlent aussi de manifestations», affirme la présidente du COPA, l’organisation des syndicats agricoles majoritaires européens, Christiane Lambert. Au Royaume-Uni, des producteurs de fruits et légumes manifestaient lundi devant le Parlement à Londres pour protester contre les contrats d’achats «injustes» qui les lient à la grande distribution.

Une colère «multifactorielle»

À quelques mois des élections européennes de juin, l’enjeu est explosif. Les ministres de l’Agriculture de l’UE appellent donc à répondre à une colère aux causes très diverses. «La colère des agriculteurs est multifactorielle, ce n’est pas nécessairement pour les mêmes raisons qu’ils manifestent d’un pays à l’autre», mais au niveau européen, leurs préoccupations «doivent être mieux prises en compte», a averti le ministre belge David Clarinval, dont le pays occupe la présidence tournante de l’UE.

La Commission de Bruxelles lancera demain un «dialogue stratégique» avec le secteur, destiné à désamorcer la colère du monde rural. Au programme : les revenus des agriculteurs, la durabilité des pratiques, l’innovation technologique, la compétitivité. Elle doit également dévoiler prochainement ses intentions sur la reconduction de l’exemption douanière, qui expire en juin.

Lire aussi l’édito de Laurent Duraisin

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