En décembre dernier, Jérôme Klein, multi-instrumentiste habitué aux collaborations, sortait un premier disque en son nom, Sonder. On le retrouve cinq mois après, décidé à le défendre sur scène. Confidences d’un artiste sans attaches.
À la fois vibraphoniste, pianiste et batteur, Jérôme Klein est, depuis quelque temps maintenant, une valeur sûre de la scène jazz luxembourgeoise, logiquement embarqué dans de multiples projets proposés par d’autres musiciens.
Toutefois, après un premier EP sorti en 2018, il réaffirme sa volonté de voler de ses propres ailes avec un premier disque, Sonder, sorti fin 2021. Soit neuf titres à la couleur pop et à l’instinct jazz, combinant éléments électroniques et instruments acoustiques.
Après cinq mois de tergiversations, le voilà enfin sur scène, en compagnie de ses camarades de jeu Pol Belardi et Niels Engel, pour défendre son «bébé». L’occasion d’en savoir un peu plus sur KLEIN. et de comprendre pourquoi il ne fait rien comme tout le monde. Entretien.
Votre album, Sonder, est sorti fin décembre, et vous le défendez seulement samedi sur scène. Pourquoi cette attente?
Jérôme Klein : Il y avait des concerts prévus et on aurait dû le faire bien avant, mais voilà, il y a eu la pandémie, les changements dans les calendriers, l’expectative… En fin d’année dernière, on s’est vite rendu compte que monter sur scène allait être compliqué. On s’est dit : « Tant pis, n’attendons plus, sortons l’album! ». De toute façon, jouer à nouveau devant un public assis, avec des masques sur le nez, franchement, ça ne nous intéressait plus.
Avez-vous eu le temps de le peaufiner pour le live?
Oui, comme on répète à Tétange, la Schungfabrik a appuyé le projet et on a pu s’exercer durant une semaine de résidence. Au départ, c’était pour préparer une tournée, mais elle a été annulée… Bon, la crise sanitaire n’a pas eu que des effets néfastes : moi, ça m’a fait du bien! J’ai pu arrêter le temps, retourner en arrière, me poser des questions, changer un peu de style musical, oser aller vers la pop et moins vers le jazz… C’était profitable!
C’est bien d’avoir des aides budgétaires, même si, parfois, on ne sait pas trop quoi faire avec!
Un premier disque a-t-il besoin d’être choyé?
J’ai déjà collaboré à de nombreux albums par le passé, mais celui-ci est le premier sous mon propre nom. Effectivement, il a une importance particulière, et en tant que musicien, on y injecte toute son énergie. Après, pour qu’il soit choyé, ça ne dépend pas que de notre bonne volonté : au Luxembourg, il manque clairement des structures, comme des labels ou managers, afin que l’artiste puisse se concentrer sur sa musique.
Du fait de cette absence, on doit se débrouiller avec nos moyens, ce qui n’est pas que négatif : on apprend sur le tas, on découvre d’autres domaines et on reste proche du public. Mais ça n’est pas suffisant. Bien sûr, ça bouge, mais les aides restent surtout budgétaires. C’est bien d’avoir de l’argent, même si, parfois, on ne sait pas trop quoi faire avec!
Justement, comment vit Sonder depuis cinq mois?
Plutôt bien! On a vendu pas mal de disques sans jouer un seul concert, ce qui est plutôt pas mal. L’album a notamment eu un bon écho en Allemagne, ce qui implique au passage d’envoyer soi-même les vinyles par la poste. C’est du sport (il rit). On est même passé sur 3sat, durant une émission culturelle très suivie. Bon, ce n’était qu’une dizaine de secondes, mais moi, je prends!
Avec du recul, en êtes-vous satisfait?
Comme on évolue, il y a toujours des choses que l’on aimerait reprendre, que l’on ferait différemment. Mais au final, oui, je suis plutôt fier du résultat, notamment pour ce qui est du son, qui a pris une tournure pop. C’est très produit, même si la majeure partie de l’album a été enregistrée en live. On le doit à la production de Charles Stoltz, avec qui j’ai l’habitude de collaborer.
Au départ, il était prévu d’aller enregistrer à La Rochelle, chez Cristal Records. Finalement, avec la crise sanitaire, on a privilégié l’angle local! Charles a même acheté un piano pour l’occasion, et il est toujours là depuis. C’est une bonne chose!
On vous connaît dans le rôle de sideman et moins comme porteur de projet. Qu’est-ce que ça change un album en son nom?
C’est beaucoup plus de travail! Déjà, il faut gérer tous les musiciens. Habituellement, c’est moi qui suis en retard (il rit). Après, avec Pol et Niels, on se connaît bien. Au point que je n’ai rien écrit. Souvent, le frontman arrive avec des partitions, des choses concrètes. Là, j’avais esquissé quelques démos. Je leur ai dit : « Je veux ceci, cela » et on a essayé ensemble. C’était rapide et naturel. Même si j’avais quand même mon mot à dire.
Musicalement, était-ce important de s’exprimer en solo?
Complètement. Cet album, c’était l’occasion de poser et développer mes idées que j’avais dans les tiroirs depuis un certain temps. J’avais envie de faire quelque chose de différent, moins écrit, moins posé. Une sorte de grand mix de mes influences. De tout ce que j’aime.
Justement, mélanger la pop, le jazz et l’électronique, est-ce un moyen de ne pas choisir?
Tout à fait. Sur le disque, on saute parfois du coq à l’âne, d’un morceau classique, avec couplet et refrain, assez mordant, à des choses acoustiques, genre ballade piano-vibraphone. Il y a des enrobages électroniques et une solide base pop dans le rythme, la couleur. Bref, c’est tout un équilibre!
Ce côté hybride, est-ce une force, comme celle de toucher un public plus large, ou une faiblesse, au vu de cette difficulté à vous catégoriser?
Les deux. D’un côté, c’est une force. On est déjà connu dans le monde du jazz, et en y apportant une autre sensibilité, on peut amener un autre public à aller à la rencontre de notre musique. Idem lorsque l’on se rend à un festival pop, où les spectateurs n’ont pas l’habitude d’entendre un groupe instrumental, qui fonctionne à l’improvisation. Parallèlement, en n’étant ni l’un ni l’autre, c’est dur de nous placer quelque part. Après, il faut le reconnaître, on ne va pas jouer à 20 h sur une grosse scène. Ce que l’on fait, c’est une musique de niche qui se joue en début d’après-midi ou en fin de soirée. Avec un objectif : la découverte.
Pour cet album, le fait d’avoir choisi le piano plutôt que la batterie, toujours en retrait, est-ce à voir comme un besoin supplémentaire d’affirmation?
Non, c’est venu comme ça. J’ai commencé à composer cet album au piano et j’y suis resté fidèle. C’est de cet instrument que sont venues les sensations, les couleurs… Paradoxalement, dans ce projet, c’est le batteur qui prend le plus de place, avec un jeu tout en mouvement. On a remarqué que les gens bloquaient sur lui.
Du coup, pour le live, on l’a mis au milieu de la scène. De toute façon, le piano prenait trop de place (il rit). Finalement, on est tous les trois au même niveau. Soit on est tous dans l’ombre, soit on est tous dans la lumière.
Vous jouez du vibraphone, de la batterie et des claviers. Vous auriez pu monter un « one man band »…
(Il rit) Oui, j’aurais pu jouer de tous les instruments! Mais ce ne serait pas marrant, et c’est un privilège d’avoir de tels musiciens à mes côtés.
Samedi, ce sera la première fois que je chante sur scène. Honnêtement, j’appréhende un peu…
Sur Sonder, vous osez même chanter. C’est nouveau, ça?
Il y avait chez moi une envie de mettre des mots sur la musique, qu’elle sorte de son aspect purement instrumental. Samedi, ce sera la première fois que je chante sur scène. Pour être honnête, j’appréhende un peu… Heureusement, je ne suis pas ce genre de chanteur nu devant le public, juste avec son micro. Et ma voix, ça s’entend d’ailleurs sur l’album, est entourée d’effets. Il faut la voir comme un instrument à part entière.
Quelle est votre intention vis-à-vis du public? L’emmener en voyage?
Ça me va! C’est une musique qui vaut pour ce qu’elle est, mais aussi pour son côté visuel, chose que l’on oublie trop souvent dans le jazz. On va donc s’appuyer sur les lumières et mettre le public dans l’atmosphère.
À quel type de voyage faut-il s’attendre?
Une exploration d’une heure et demie durant laquelle on ne s’ennuie pas trop, du moins, je l’espère… Il y aura des moments de rêve, d’autres plus intenses. Ce sera un voyage plein de surprises!
Sur votre site, il y a un concert annoncé à Lviv, en Ukraine, le 25 juin, avec Claire Parsons. Est-il toujours d’actualité?
Malheureusement non, et c’est triste. Le Leopolis Jazz Festival est un excellent rendez-vous, l’un des plus beaux. En 2019, on s’est retrouvé devant 5 000 personnes en plein après-midi, avec des gens bienveillants alors que personne ne nous connaissait. On n’a jamais autant vendu de disques et signé d’autographes! Cette année, les organisateurs ont maintenu la programmation même après le début de la guerre, en pensant que ça allait s’arranger… Mais aujourd’hui, rien que rentrer dans le pays, c’est impossible.
Ça a l’air d’être un vrai crève-cœur…
Oui, d’autant plus qu’on connaît pas mal de gens sur place. Au départ, on avait prévu de louer une camionnette pour ramener des gens de là-bas. On leur a dit : « Si vous voulez venir au Luxembourg, on vous accueille à bras ouverts! » Mais ils veulent tous rester sur place pour combattre.
«Klein. Presents Sonder»
Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.
Samedi à partir de 20 h.
Support : Dorian Dumont plays Aphex Twin