Accueil | A la Une | [Interview] Yuriko Backes «pas opposée par principe» à une adaptation du barème d’imposition

[Interview] Yuriko Backes «pas opposée par principe» à une adaptation du barème d’imposition


La ministre des Finances précise que la marge de 500 millions d’euros a priori réservée pour des allègements fiscaux ciblés «n’est pas encore acquise définitivement».  (Photo : Hervé Montaigu)

La revendication d’une adaptation du barème d’imposition à l’inflation va-t-elle devenir réalité ? La ministre des Finances, Yuriko Backes, se dit prête «à parler de tout», mais reste d’avis qu’en cette situation de crise, «il ne serait pas responsable de décider une telle dépense structurelle».

Ce mardi après-midi, le gouvernement va accueillir à tour de rôle le camp patronal et le camp syndical pour préparer la tripartite, convoquée pour vendredi. En amont des nouvelles tractations pour amortir un possible choc inflationniste en 2024, mais aussi compenser la troisième tranche indiciaire, la ministre des Finances, Yuriko Backes, a accepté de dresser un état des lieux sur les finances publiques et la marge de manœuvre qui en découle.

Vous avez annoncé dès la fin janvier qu’une marge de 500 millions d’euros allait se dégager du budget de l’État 2022 pour procéder à des allègements fiscaux ciblés. Vous comptiez pourtant attendre jusqu’au printemps pour être fixée. Ce montant est-il gravé dans le marbre ?

Yuriko Backes : Il n’est pas encore acquis définitivement. L’année budgétaire court jusqu’à fin avril. Si les recettes sont en principe arrêtées, ce n’est pas forcément le cas pour les dépenses. Mes services, avec l’Inspection générale des finances, sont en contact avec les ministères pour avoir une image précise sur les dépenses qui sont encore envisagées. Ce que l’on peut néanmoins retenir, c’est que l’on a enregistré en 2022 davantage de recettes et moins de dépenses que ce qui avait été budgétisé.

Sur la base des calculs effectués, on arrive à un ordre de grandeur de 500 millions d’euros. Ce qui m’importait était d’être la plus transparente possible vis-à-vis de la Chambre des députés et du public. Il faut néanmoins rappeler qu’il s’agit d’un déficit qui s’annonce moins important que redouté, et non pas d’un surplus financier dégagé par le budget.

L’adaptation du barème jugé «indispensable» par les syndicats

Le calcul a encore été répété en début de semaine dernière par l’OGBL, le LCGB et la CGFP. Sans ajustement du barème d’imposition à l’inflation, le pouvoir d’achat «n’est compensé qu’au niveau du brut, alors qu’il continue à diminuer sur le net». Pour un salaire moyen, une tranche indiciaire de 2,5 % brut représenterait, donc, seulement une augmentation nette de 1,75 %. «Il est largement temps que cette augmentation de la pression fiscale rampante et cachée arrive à sa fin», martèle le camp syndical dans une lettre adressée au Premier ministre, Xavier Bettel.

Leur demande pour obtenir une «entrevue urgente» avec le chef du gouvernement a au moins été acceptée. Cet après-midi, une réunion bipartite aura lieu au château de Senningen, à J-3 du début de la tripartite.

Les syndicats rappellent que l’adaptation du barème constituait déjà une «revendication principale» lors de la tripartite organisée fin septembre. Cette revendication n’a cependant pas été reprise dans l’accord final, au grand dam des représentants du salariat.

Aujourd’hui, ils reviennent à la charge. «Dans le contexte d’une inflation toujours élevée, cette adaptation est devenue indispensable aux yeux des organisations syndicales afin d’assurer le maintien du pouvoir d’achat des salariés et pensionnés», soulignent OGBL, LCGB et CGFP. Le camp syndical souhaite discuter dès aujourd’hui «des modalités concrètes d’une telle adaptation». Selon eux, le barème «doit impérativement faire partie des discussions tripartites à venir».

Quels facteurs pourraient influencer les chiffres avancés ?

Il y en a plusieurs. Il se confirme que la croissance pour 2023 sera plus importante que ce qui avait été prévu en automne dernier, aussi bien par la Commission européenne (NDLR : 1,7 %) que par le Statec (NDLR : 2,2 %). Cela aura un impact sur les chiffres. Je dois dire que je me réjouis de ces nouvelles positives, car il y a quelques mois, l’atmosphère était tout autre, avec le risque d’une récession, voire d’une stagflation, qui menaçait l’économie européenne.

On n’en parle plus, mais tout peut à nouveau basculer. La guerre en Ukraine ne va pas s’arrêter demain, et il pourrait même y avoir une nouvelle escalade. Le contexte d’ensemble est extrêmement volatile. Mon travail et ma responsabilité m’invitent à faire preuve de prudence.

«Si nous transposions toutes les mesures proposées par l’opposition, la dette publique dépasserait de loin les 30 % (du PIB)», clame Yuriko Backes. Sa responsabilité serait de «faire preuve de prudence». (Photo Hervé Montaigu)

Maintenez-vous votre position sur le fait que les 500 millions d’euros seront redistribués par le biais de crédits d’impôts ciblés ? Ou existe-t-il encore des discussions pour tout de même adapter le barème d’imposition à l’inflation, une mesure réclamée par le camp syndical, mais aussi par plusieurs partis – dont le LSAP, qui est membre de la coalition ?

Aussi bien lors de la crise sanitaire que maintenant en pleine crise économique, le gouvernement a débloqué d’importants moyens. Le montant global se chiffre désormais à 5,5 milliards d’euros. À chaque fois, des mesures ciblées ont été prises pour venir en soutien aux gens et aux entreprises au lieu d’adapter les barèmes. Il ne faut pas oublier que le crédit d’impôt énergie a davantage profité aux gens en bas de l’échelle salariale qu’aux gens plus fortunés. Le Statec confirme que personne n’a perdu en pouvoir d’achat. Cela a été important pour le gouvernement. On a jugé qu’en cette période de gestion de crise, c’était une meilleure option d’accorder des aides ciblées et échelonnées que de décider de mesures structurelles, comme une adaptation du barème à l’inflation.

Or, une croissance plus appuyée que prévu changerait la donne. Je ne me suis par principe jamais positionnée contre une adaptation complète du barème. Mais ce que j’ai dit, c’est que dans une situation de crise, où l’on n’a pas de visibilité sur l’évolution à moyen terme, il ne serait pas responsable de décider une telle dépense structurelle. Cela a été l’approche du gouvernement, qui a mis en œuvre des mesures socialement plus ciblées.

La discussion sur les barèmes ne semble donc pas encore tout à fait close ?

Je suis ouverte à parler de tout. Mais les décisions qui sont à prendre doivent être adaptées à la situation et aux chiffres qui sont à notre disposition. Il est important de faire preuve de responsabilité. Car il ne suffit pas de se projeter jusqu’en octobre, il s’agit aussi de se montrer responsable à long terme. Cela fait partie intégrante de ma « job description«  et cette position est partagée par l’ensemble du gouvernement. Les finances publiques doivent être durables. Dans le cadre de ce qui est viable d’un point de vue budgétaire, le gouvernement va prendre des décisions responsables.

Les agences de notation partent du principe que nous allons rester en dessous des 30 % de dette publique

Où en sont les tractations à l’approche des bipartites de ce mardi et de la tripartite prévue vendredi ? Et est-ce que les 500 millions d’euros de marge vont faire partie de l’enveloppe pour négocier un accord ?

Les analyses sont en cours sur la base des données conjoncturelles les plus récentes. Lors de la tripartite, le Premier ministre est le chef de file. La décision de convoquer les partenaires sociaux repose sur les prévisions du Statec, qui prédit pour début 2024 un choc inflationniste si les mesures visant à plafonner les prix de l’énergie ne sont pas reconduites.

L’ordre du jour comprend les compensations pour les entreprises dans le cadre du versement de la troisième tranche indiciaire, annoncée pour l’automne, et la prolongation temporaire (« phasing-out« ) des mesures d’aides, qui arrivent à échéance au 31 décembre.

La compensation de la troisième tranche indiciaire n’a pas été inscrite dans le budget 2023. S’y ajoutera la possible prolongation de mesures d’aides en 2024. Est-ce qu’une enveloppe a déjà été fixée pour aborder les négociations tripartites ?

Je ne vais pas avancer aujourd’hui de montant pour ne pas anticiper les pourparlers à venir. Il ne nous a pas été possible d’inscrire dans le budget 2023 les compensations mentionnées, mais nous les avons désormais incluses dans nos calculs. Il nous faut agir de manière réaliste.

Le principe retenu en septembre 2022 est que l’État compensera uniquement le coût de l’index entre le moment de son déclenchement et la fin de cette année. Pouvez-vous le confirmer ?

C’est bien le cas. C’est inscrit noir sur blanc dans le dernier accord tripartite.

L’emprunt de 3 milliards d’euros annoncé jeudi a-t-il été contracté pour disposer d’une marge financière supplémentaire lors de la tripartite ?

Non, il n’y a pas de lien avec la tripartite. Il ne s’agit pas d’une décision politique, mais d’une décision technique. La Trésorerie de l’État planifie la gestion des liquidités et a anticipé une probable hausse supplémentaire des taux d’intérêt. Il existe aussi d’autres emprunts à rembourser au cours de l’année.

Est-ce que la limitation de la dette publique à 30 % du PIB peut encore être remise en question ?

Cette limite est inscrite dans l’accord de coalition. Il est vraiment important pour notre pays de la respecter et j’y tiens. C’est la trajectoire pluriannuelle qui est plus importante encore que le chiffre exact. Les agences de notation partent du principe que nous allons rester en dessous des 30 % de dette publique. Il est judicieux de continuer à respecter la limite et de travailler à l’intérieur de ces paramètres.

D’ailleurs, lors de mes récents déplacements en Amérique du Nord, en Asie et aussi à travers l’Europe, j’ai pu constater que le fait d’avoir une dette inférieure à 30 % et d’être doté d’un triple A est très important pour notre image, notre attractivité et notre compétitivité.

Avec la marge (financière) qui existe, nous ne pouvons pas tout faire. Les bons choix doivent être faits

Peu importe l’issue des négociations tripartites à venir, le Premier ministre donne raison à ceux qui réclament la réforme fiscale, inscrite dans l’accord de coalition 2018-2023. Il faudra plus que probablement attendre la prochaine législature pour que cette réforme soit réalisée. Néanmoins, êtes-vous également convaincue de la nécessité de s’attaquer à cette réforme ?

Le Premier ministre a entièrement raison dans ce qu’il dit. J’espère recevoir la possibilité de pouvoir à l’avenir travailler dessus. Une réforme est indispensable. Mon parti reste convaincu que l’individualisation de l’imposition est nécessaire pour préparer l’avenir. Notre société a évolué. Même si le système fiscal a été adapté au fil des ans, je pense qu’il reste beaucoup à faire. Il est toutefois irréaliste de penser que cela pourra se faire avant octobre.

Lors des débats sur le budget 2022, en décembre dernier, les partis de l’opposition vous ont fustigée pour le peu de marge de manœuvre financière dont le prochain gouvernement va disposer, au vu d’une dette record, avec une dette publique qui pointerait à 29,6 % à l’horizon 2026. Partagez-vous cette argumentation ?

Si nous transposions toutes les mesures proposées par l’opposition, la dette publique dépasserait de loin les 30 %. On ne peut pas réclamer toute une panoplie de mesures sans tenir compte de leur lourd impact sur les finances publiques. Je ne dis pas que les mesures proposées sont toutes mauvaises. Il y en a certaines que je partage.

Mais, comme je viens de le dire, il faut les remettre dans le contexte et faire des choix en tenant compte de l’argent qui est à notre disposition. Avec la marge qui existe, nous ne pouvons pas tout faire. Les bons choix doivent être faits, ce que, je pense, le gouvernement a réussi à faire en cette période de polycrises.

Vous ne craignez donc pas que la marge financière pour mener de plus amples réformes soit trop réduite pour le prochain gouvernement ?

Vu que j’espère que mon parti fera toujours partie de la prochaine majorité, mon intention n’est certainement pas de me lier les mains. Il faut continuer à mener une politique responsable, solidaire et réaliste. Une politique réaliste ne peut qu’être bâtie sur les données dont on dispose. Elles évoluent et il faut, donc, toujours s’y adapter. Le défi de la politique est de s’adapter constamment aux paramètres qui évoluent, que ce soit dans le bon ou le mauvais sens.

Le camp patronal insiste sur la compensation de l’index

Les représentants de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL) étaient sortis peu satisfaits de la tripartite de fin septembre. Leur feu vert à l’accord final est étroitement lié à l’engagement du gouvernement à compenser «entièrement l’impact» d’une troisième tranche indiciaire en 2023 sur les entreprises. Il reste toutefois à savoir quelle forme prendra cette compensation et ce qu’entend le gouvernement par «entièrement». 

Les tractations vont s’ouvrir dès cet après-midi lors de la bipartite avec une délégation gouvernementale, emmenée par le Premier ministre, Xavier Bettel. À l’automne dernier, les patrons avaient déploré que l’accord tripartite était insuffisant pour obtenir une prévisibilité sur une durée de 18 mois, comme ils l’avaient réclamé en amont. «Si les mesures contenues dans cet accord ont le mérite de soutenir surtout le pouvoir d’achat des ménages et en partie les entreprises, (il) ne permet pas pour autant de donner une plus grande prévisibilité aux entreprises, ne levant qu’un pan des incertitudes qui pèsent sur l’avenir socioéconomique du pays», avait ajouté début octobre la Chambre de commerce.

Quel sera le catalogue de revendications de l’UEL? La priorité majeure sera certainement la compensation partielle du troisième index. Après un premier index tombé le 1er février et en attendant celui reporté de juin 2022 à avril 2023, le Statec annonce une nouvelle tranche indiciaire pour fin 2023.