Deux jours après l’annonce de l’interdiction de la mendicité dans la capitale, l’opposition ne décolère pas et s’interroge sur sa légalité et son efficacité contre les violences.
Lors d’un conseil communal dans le cadre du budget de Luxembourg qui a eu lieu lundi, la bourgmestre, Lydie Polfer, a annoncé la nouvelle entre deux débats : à partir de vendredi, la mendicité sera interdite dans les rues de la ville entre 7 h et 22 h. Cette décision, approuvée par le nouveau ministre de l’Intérieur, Léon Gloden, a largement réjoui la majorité. «Nous, on a vraiment été choqués, on ne s’y attendait pas du tout», raconte Maxime Miltgen, membre du comité directeur du LSAP et conseillère communale à Luxembourg.
Et pour cause, cet article 42 du règlement de la police de la capitale avait déjà été proposé en mars dernier, afin d’éviter les agressions liées à la mendicité en bande, mais l’ancienne ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding, l’avait refusé pour son caractère illégal. «Le collège échevinal avait dit qu’il ne pouvait pas démontrer qu’il y avait une mendicité en bande et donc qu’il allait interdire la mendicité tout court, sans faire de distinction», se remémore Guy Foetz, conseiller communal déi Lénk jusqu’en juin 2023.
Cependant, la loi luxembourgeoise autorise la mendicité simple, comme l’avait confirmé le tribunal de police de Diekirch en novembre 2016, indiquant que seule la mendicité en réunion est punissable, à moins que la mendicité simple s’accompagne de violences. L’article 42 avait aussi été jugé illégal, car non conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. «Mendier, c’est un droit humain, c’est demander de l’aide à une autre personne», rappelle Guy Foetz. Malgré cela, sept mois plus tard et un nouveau ministre de l’Intérieur en place, la situation semble avoir changé.
«On ne peut plus rien faire contre»
«Ce qui me choque, c’est qu’une décision refusée soit désormais tournée en approbation par la même administration sans qu’il n’y ait de changement dans le texte, seulement par le fait que la couleur politique du ministre a changé», fustige Maxime Miltgen. Meris Sehovic, député déi gréng, a interrogé Léon Gloden via une question parlementaire afin de connaître ses arguments juridiques permettant d’estimer que l’interdiction est légale, en dépit du premier contrôle de légalité négatif. Hier, le Premier ministre, Luc Frieden, a simplement affirmé, sans plus de détails : «Ce gouvernement est d’un autre avis dans ce dossier que la majorité précédente».
Malgré sa vive contestation et ses interrogations, l’opposition ne peut annuler l’interdiction soutenue par la majorité du gouvernement, dont les membres du DP. «La seule possibilité, c’est qu’une personne arrêtée dépose plainte, mais nous, on ne peut plus rien faire contre.» La situation fait écho à celle qu’a connue Guy Foetz en 2021, lors de l’instauration à Luxembourg d’agents privés afin de surveiller la voie publique.
Avec Ana Correia da Veiga, également conseillère communale déi Lénk, ce dernier avait déposé un recours devant le tribunal administratif, considérant qu’il s’agissait d’une attaque à l’État de droit. «Mais on a été déboutés, car on n’a pas pu prouver que l’on avait un intérêt direct en tant que personnes et ici, c’est la même chose, on ne peut pas le faire, car nous ne sommes pas des mendiants.»
Une efficacité interrogée
Indignés par ce retournement de situation sur le plan légal, les membres de l’opposition s’interrogent également sur l’efficacité de cette mesure. «Notre code pénal couvre largement les agressions contre les personnes physiques. Pourquoi une nouvelle loi ? On peut déjà utiliser ce que la police a à sa disposition», s’interroge la conseillère socialiste. L’ancien conseiller communal déi Lénk pense également aux policiers, qui devront aussi prendre le temps de trouver des traducteurs en présence de personnes ne parlant ni luxembourgeois ni français. «Le ministre dit beaucoup de choses, mais que cela conduise à une peine, j’en doute fort. Si la personne est arrêtée et jugée, mais que le juge ne peut pas démontrer qu’il y a une mendicité en bande, il va sûrement refuser de prononcer un jugement.»
Pour ses opposants, le but réel de l’article 42 n’est pas de stopper les agressions, mais de «nettoyer les rues de la pauvreté». Ils dénoncent la mise en place d’amendes, de 25 à 250 euros d’après le texte en mars, à l’encontre de personnes dans le besoin ainsi que la stigmatisation de ces dernières. Pour Guy Foetz, «c’est du populisme, c’est pour plaire aux gens et cacher les pauvres».
Les représentants du LSAP et de déi Lénk craignent aussi les prochaines décisions du ministre des Affaires intérieures. «Ce n’est que la première étape, la deuxième, ce sera le déplacement des mendiants l’année prochaine.» Alors que la police peut, pour l’instant, déplacer de quelques mètres ceux qui bloquent des entrées, le ministre a annoncé vouloir renforcer la loi en janvier 2024, «jusqu’à les interdire de circuler dans le quartier». «Tout cela montre dans quelle direction va la politique du gouvernement, c’est triste», s’inquiète Maxime Miltgen.
Flyers, amendes et contrôles d’identité
Hier, le ministre Léon Gloden, a apporté de premières précisions sur les mesures applicables par l’article 42 lors d’une réunion de la commission parlementaire des Affaires intérieures. Appliquée afin de combattre la mendicité organisée et virulente, l’interdiction vise un public précis, selon le ministre : «Seront visés clairement ceux qui se mettent à harceler les gens et à leur courir derrière pour obtenir de l’argent». Pas de distinction pour autant entre la mendicité simple ou en bande. Dans la matinée, une réunion a également eu lieu avec la Ville et la police afin de mettre en place l’article 42. Dans un premier temps, «les services de la Ville vont distribuer des flyers» et «la présence policière sera renforcée».
En cas de non-respect de l’interdiction après cette phase d’information, «les mendiants qui ne respectent pas le règlement vont écoper de procès-verbaux (amendes), qui seront transmis au parquet, qui devra, lui, décider des suites à leur réserver». Les personnes ne voulant pas montrer une pièce d’identité seront emmenées au commissariat pour procéder à un contrôle et «la police peut appliquer l’injonction de déguerpissement existante (Platzverweis) si le mendiant virulent bloque l’accès à l’entrée d’une habitation ou d’un commerce». Dans ce cas, une personne faisant la manche pourra également être délogée.