Se lancer dans une œuvre de Robert Rodriguez est une invitation à la fois réjouissante et déroutante, simplement parce que l’homme est capable du meilleur comme du pire.
Ce sale gosse du cinéma hollywoodien aime en effet les chemins de traverse, qu’il arpente bille en tête et sans boussole, quitte à se perdre en route. Accompagné, il a laissé toutefois de beaux souvenirs : Planet Terror et From Dusk Till Dawn avec Quentin Tarantino, Sin City avec Frank Miller ou encore Alita : Battle Angel avec James Cameron.
En solo, par contre, en dehors de ses films d’action fauchés, style série B (Desperado, Machete, El Mariachi), il n’a pas été toujours très inspiré, comme en témoignent l’affreuse saga Spy Kids et Les Aventures de Shark Boy et Lava Girl, sans oublier sa récente contribution à Netflix (C’est nous les héros). Bref, le laisser en roue libre, c’est l’assurance d’une surprise, souvent plus mauvaise que bonne. Et c’est avec cette appréhension que l’on attaque Hypnotic, d’autant plus que celui-ci, comme le dit le dossier de presse, reste fidèle à l’approche du cinéaste, caractérisée par «l’autosuffisance»…
Sur le papier, l’idée de départ n’est néanmoins pas trop mauvaise, bien qu’elle ait déjà été suggérée par le passé, notamment par David Zucker dans… Y a-t-il un flic pour sauver la reine ? Dans la farfelue comédie, le méchant de service racontait que le criminel parfait est celui qui s’ignore l’être, avant d’enclencher une télécommande hypnotisant la personne visée, désormais corvéable à souhait. Ici, pas besoin d’artifice car on est en présence d’un puissant mentaliste, qui se fait appeler Lev Dellrayne (le ténébreux William Fichtner) et qui, d’un regard ou en une seule phrase, sème le chaos et dévalise une banque sans froisser son costume.
Avec un tel énergumène, «personne n’est en sécurité», prévient une source anonyme, ce qui n’a pas l’air de troubler outre mesure le policier Danny Rourke (Ben Affleck), justement charger d’arrêter ces braquages. C’est qu’il vient juste de sortir du bureau de la médecine du travail, déprimé qu’il est à la suite de la disparition de sa fille. Déterminé à la retrouver, il apprend rapidement que celle-ci semble liée à ces étranges phénomènes paranormaux. Dans un jeu du chat et de la souris, il va alors remonter la piste, glaner des indices, et essayer de distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas.
Une aventure pleine de sensations fortes, dopée aux stéroïdes
On l’aura compris, Hypnotic ramène à ce sentiment qu’il convient de douter de tout, sensible aujourd’hui avec le développement aveugle de l’intelligence artificielle et les théories du complot qui fleurissent sur la toile. Côté cinéma, le film se tourne vers d’autres thrillers du genre, comme Scanners (1981), Total Recall (1990) ou Matrix (1999). Robert Rodriguez préfère parler de l’influence du classique d’Alfred Hitchcock de 1958, Sueurs froides, une «aventure pleine de sensations fortes», dopée avec lui aux «stéroïdes».
Une dernière référence s’impose finalement sur toutes les autres : Inception de Christopher Nolan (2010), dont il emprunte sans gêne certains concepts, de ces paysages sens dessus dessous (à vous donner la nausée) à cette construction labyrinthique, sorte de gros mille-feuilles mental aux multiples couches de réalité qui dégoulinent. Avec ces «hypnotiques» qui refaçonnent le monde à leur guise, tout semble en effet envisageable, et malheureusement envisagé par le réalisateur, qui multiplie à outrance les fausses pistes et les rebondissements, et ce, jusqu’au générique de fin.
Certains salueront l’aspect artisanal de l’entreprise (à tempérer vu la hauteur du budget, évalué à 60 millions de dollars). D’autres loueront peut-être son côté foutraque audacieux, mais il faut bien reconnaître que le puzzle proposé est sans queue ni tête. En effet, à trop jouer avec l’illusion, plus rien n’est crédible, et ce n’est pas Ben Affleck, mâchoire serrée et comme gavé aux antidépresseurs, qui va sauver le film de la faillite. Hypnotic s’apprécie alors pour ce qu’il est : un gentil «nanard» qui fleure bon les années 1990 et la VHS. On dit souvent que Robert Rodriguez ne se prend pas au sérieux. Ça se respecte, mais il y a plus fâcheux : c’est apparemment aussi le cas pour son public.