Liette a poignardé son mari et prévenu ses amies avant d’alerter les secours. Son attitude jette un doute sur le caractère accidentel de sa version des faits et la possible implication de son fils.
Liette aimerait pouvoir revenir en arrière, a affirmé mardi matin cette petite dame replète d’une voix à peine audible à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Avant l’après-midi du 12 septembre 2019. Avant d’être accusée d’avoir poignardé son mari à mort à leur domicile de Tétange avec un couteau de cuisine. La lame de 19 centimètres a transpercé l’épaule gauche et le dos à dix reprises. Le cœur et un poumon sont touchés et Nicolas, 62 ans, succombe au beau milieu de la cuisine.
Aux policiers qui l’ont interpellée, Liette a évoqué «une perte de contrôle» à mettre sur le compte d’années de violences conjugales physiques et psychiques endurées en silence, relate le policier qui a mené l’enquête. Le lendemain, les déclarations de la prévenue «étaient plus vagues», a-t-il souligné. Une dispute aurait éclaté au moment du retour au domicile de la victime vers 16 h 10. Liette a raconté que son époux se serait saisi du couteau, l’aurait brandi en la menaçant avant de la frapper à la tête et de la griffer à la poitrine ainsi qu’à l’aine avec l’arme. Elle l’aurait blessé à l’épaule avec le couteau en tentant de le désarmer. La suite est trouble. Liette prétend seulement ne pas avoir eu «l’intention» de tuer son époux.
L’affaire paraît claire : Liette ne supportait plus l’enfer que lui faisait vivre son époux et a agi guidée par l’affect. Pourtant, elle pourrait être plus complexe d’après ce qui transparaît des rapports des experts entendus mardi, des constatations de l’enquêteur et des questions posées par la présidente de la chambre criminelle, qui veut écarter toute ambiguïté. De plus, Sascha, le fils du couple, est cité en tant que coprévenu. Le jeune homme de 38 ans ne devrait pas intervenir au cours des deux semaines de procès. Il sera représenté par son avocat, Me Frank Rollinger, qui accuse le parquet de faire «des suppositions» quant à son rôle dans l’affaire. L’avocat a rappelé que l’enquêteur lui-même n’est pas parvenu à le déterminer après trois années d’enquête.
«Il ne me terrorisera plus»
La justice a des soupçons et compte sur ce procès pour les lever. À commencer par les accusations de violences conjugales. Rien ne les prouverait : ni dépôt de plainte à la police, ni rapports médicaux, ni demande d’aide auprès d’un tiers. Seule une lettre retrouvée sur la table de la cuisine par les policiers en ferait état. La prévenue aurait souffert en silence, jusqu’au jour des faits. Le médecin légiste qui a examiné la sexagénaire n’a pas pu les confirmer. Il a également émis un doute concernant l’origine des griffures imputées à l’époux. Elles étaient «trop régulières» et le médecin n’exclut pas que Liette ait pu se les infliger elle-même.
Un détail qui, additionné à d’autres découverts sur les lieux du crime, peut laisser penser que la scène du crime a pu être modifiée, sinon que l’acte a pu être réfléchi. Trois heures se sont écoulées entre le retour de la victime à son domicile et l’appel passé aux secours. Liette a dans un premier temps prévenu son fils et ses amies de son geste, en leur disant, selon les propos de l’enquêteur, «qu’il ne me terrorisera plus». Une de ces amies a découvert le corps sans vie de Nicolas gisant dans une mare de sang et a prévenu les secours à 19 h 26.
La présidente de la chambre criminelle compare la scène, photographies à l’appui, à «un carnage». Ce qui rend l’état de propreté absolue des autres pièces de la maison à l’arrivée des forces de l’ordre d’autant plus étrange, relève l’enquêteur. La prévenue aurait pourtant indiqué avoir couru à travers la maison en panique après avoir commis son geste et ne pas avoir nettoyé des traces éventuelles.
Une suite d’hypothèses
Un expert en identification génétique a estimé que, potentiellement, si aucune trace de sang n’avait été retrouvée ailleurs dans la maison, c’est parce qu’elles avaient pu être nettoyées. De même que l’arme du crime, qui «a pu être nettoyée avant d’être replacée» sous le corps de la victime. Aucune trace ADN n’a pu être relevée sur l’arme du crime baignée du sang de la victime.
Autres détails troublants : les poubelles étaient vides et propres, les lits étaient défaits et les draps de lit avaient disparu, a ajouté l’enquêteur de la police judiciaire. «Ils ont pu tout mettre dans un sac, prendre un bus et aller s’en débarrasser, mais ce ne sont que des hypothèses», avance la juge, qui voit dans cette «hypothèse (…) un indice d’une possible implication de Sascha». La prévenue est, elle, formelle : personne ne l’a aidée. Son fils aurait quitté le domicile de ses parents à 15 h.
Suite de ce procès qui s’avère passionnant jeudi après-midi. Outre l’enquêteur, des experts psychiatres et une dizaine de témoins vont se succéder à la barre dans les jours à venir pour tenter de lever les zones d’ombre du dossier.