Le compte Instagram «Balance ta start-up Luxembourg» secoue le monde de l’entreprise ces derniers jours en relayant des dizaines de messages de victimes présumées de harcèlement moral. RH Expert est la première société à en faire les frais.
Lancé il y a quelques semaines avec l’objectif d’épingler les employeurs les plus toxiques, le compte Instagram «Balance ta start-up Luxembourg» est aujourd’hui suivi par près de 3 500 abonnés et a déjà rendu public le nom d’une société où il ne ferait pas bon travailler, si l’on en croit les multiples témoignages en ligne.
Une vague de messages qui a surpris la créatrice du compte, que nous appelons Nina (prénom d’emprunt) : «Parmi les premiers signalements en privé, une dizaine de messages citaient l’entreprise RH Expert.
Après les vérifications nécessaires, notamment sur l’identité des témoins, j’ai décidé de mettre en ligne ces récits», raconte-t-elle. «Les jours suivants, j’ai reçu une cinquantaine de réactions supplémentaires, de nouveaux témoignages et des confirmations des faits rapportés, qui mettaient aussi en cause leur école, la HR Academy.» Parmi ceux-ci, Nina en postera encore une vingtaine, les plus représentatifs.
«Extrêmement violent» pour RH Expert
De quoi faire du ramdam dans le microcosme économique luxembourgeois, alors que RH Expert intervient auprès de 250 à 350 entreprises chaque mois. «Je les ai sollicités via Instagram», rapporte Nina. «Je souhaitais qu’ils puissent s’exprimer, se remettre en question et proposer des pistes de solutions. Au lieu de ça, ils m’ont bloquée.»
Du côté de la direction de RH Expert, on affirme être tombé des nues le 15 avril dernier, en découvrant les stories postées sur le réseau social : «C’est extrêmement violent et ciblé. Cela ressemble d’ailleurs davantage à un règlement de comptes qu’à une libération de la parole», souligne l’un des dirigeants, ne souhaitant pas s’exprimer sur les faits décrits dans les publications, qualifiées de «lynchage anonyme».
Il assure qu’aucune plainte n’a jamais été reçue en interne, alors que différents moyens existent pour cela : «Nous avons un département ressources humaines qui compte deux employés pour une cinquantaine de collaborateurs, une délégation du personnel, des managers, et un système de parrainage pour les nouveaux arrivés», précise-t-il, ajoutant que des outils complémentaires sont mis en place en ce moment même pour favoriser la discussion avec les collaborateurs. Des équipes qui, selon lui, ont déjà manifesté leur plein soutien à leur direction.
Un préjudice «difficilement quantifiable»
Quant au volet juridique et la possibilité de déposer une plainte pour diffamation contre la créatrice de «Balance ta start-up Luxembourg», RH Expert indique que le dossier est désormais entre les mains de ses avocats.
«Le préjudice est difficilement quantifiable à ce stade, mais il est certain que cela écorne notre image et nous éclabousse en termes d’attractivité, de marque employeur et de business. À nous de faire front, et de montrer que ce qui est décrit n’est pas la réalité», conclut ce membre de la direction.
«Bien sûr, je vais continuer»
Même si le travail de recueil de l’information et de vérification qu’elle s’impose s’avère fastidieux, Nina compte bien poursuivre, encouragée par sa communauté et la confiance qu’elle lui accorde.
«Beaucoup de gens m’écrivent que cela leur fait du bien et me remercient pour la démarche. Bien sûr, je vais continuer. Parmi les nouveaux messages qui arrivent, près d’une centaine jusqu’ici, deux à trois sociétés se dégagent de façon négative», constate-t-elle, déterminée à lever le voile prochainement en story.
Soutenue par des professionnels
Conseillée par une avocate spécialisée, la jeune femme sait qu’elle risque d’être attaquée mais reste sereine : «Si c’était le cas, je fournirais à la justice l’ensemble des éléments qui m’ont été transmis, au-delà des seuls messages, ainsi que mes vérifications, pour prouver que ma démarche est honnête», prévoit-elle.
Nina souhaite maintenant étoffer le contenu de son compte avec davantage de publications abordant les répercussions psychologiques du harcèlement moral, avec l’aide d’une psychologue du travail qui lui a proposé de collaborer. Elle a aussi été contactée par l’OGBL qui semble s’intéresser de près à son initiative, tout comme trois avocates et juristes qui lui offrent soutien et conseil.
RH Expert : «Partir pour ne plus souffrir»
Nous avons pu joindre une ancienne employée de RH Expert, qui a fini par quitter la société après plusieurs années, et reste très marquée par cette expérience. Pour protéger son identité, nous ne pouvons divulguer que de succincts éléments de son parcours, longuement décrit lors de notre entretien.
Elle se souvient ainsi du «manque de respect des collaborateurs et des étudiants», du «climat de tension maximale», d’un open space «totalement différent en fonction de la présence ou non de l’un des associés» mais aussi «du déni» dans lequel elle était plongée, persuadée qu’elle ne subissait aucun harcèlement.
Il lui faudra démissionner et suivre une thérapie pour mettre un mot sur ce qu’elle vient de traverser. «J’ai dû prendre la décision de partir pour ne plus souffrir. Il fallait préserver ma santé, et c’était la solution la plus rapide, plutôt que de signaler en interne ce qu’il se passait et d’en affronter les conséquences», analyse-t-elle a posteriori, soulignant que les employés, tous experts RH, savent bien à quel point il est compliqué de prouver le harcèlement.
Selon elle, si les membres des équipes parlent de leurs conditions de travail entre eux et s’entraident beaucoup, aucun ne prend le risque de dénoncer quoi que ce soit, par peur :
«On est manipulés, et il y a de la perversion aussi. On se dit que ce qui ne va pas vient de nous, que c’est notre faute. Je suis partie pour enfin retrouver mes valeurs», confie la jeune femme, désormais dans une situation professionnelle apaisée, et qui salue le fait que les langues se délient enfin.