Cinq tagueurs encourent des peines de prison pour des tags commis il y a dix ans. Ils ont l’impression de payer pour ceux qui ne se sont jamais fait prendre le pouce sur la bombe.
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«Nous sommes les pigeons», lance Me Penning convaincu que le parquet a voulu «statuer un exemple» dans l’affaire des graffitis illégaux qui occupe la 7e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg depuis deux semaines. Sa représentante venait de requérir des peines de 18 mois de prison à l’encontre de son client, le supposé Seck, et du jeune homme soupçonné d’être le tagueur Sior ainsi que 9 mois de prison contre Size dont «l’attitude durant l’audience» aurait aggravé le cas.
Ces peines pourront être assorties du sursis simple probatoire avec obligation d’indemniser les victimes. Tame, lui, encourt une peine de 6 mois de prison commuable en travail d’intérêt général. La magistrate avait requis la même peine la veille contre Skis. Elle a principalement retenu les articles 526, 528 et 529 du Code pénal qui font des tags des délits.
Un ou plusieurs Seck ?
S’il «n’y a pas mort d’homme» comme l’a constaté Me Penning, pour le parquet, il y a «une ribambelle» de délits dont la grande majorité – 120 – est attribuée à celui qui signe Seck. Ou ceux. Pour l’avocat, son client n’était pas le seul Seck en circulation à l’époque des faits. Il a d’ailleurs un alibi pour deux tags lui étant attribués, avance l’avocat, et d’autres tagueurs ont pu vouloir lui faire une dédicace. «Size a indiqué que tous les tags Size n’étaient pas les siens et l’enquêteur lui-même a reconnu que certains étaient plus mauvais que d’autres. Pourquoi Seck devrait-il tout le temps être Seck ? Il y a également une infinité de styles de tags Seck», argumente l’avocat, constatant que le dossier soulève davantage de doutes que de certitudes. Une opacité propre au milieu.
Philippe Penning regrette que les cinq prévenus soient punis pour «quelque chose de toléré par la société, voire d’encouragé», alors que «tous les autres continuent de taguer». Eux qui apportaient juste de la couleur sur le béton grisâtre. Il regrette une enquête de police qu’il juge à charge et «un deux poids, deux mesures» de la part de l’administration des Ponts et Chaussées qui, en fonction de leur directeur, poursuivent ou non les tagueurs illégaux. Il conteste également «les montants exorbitants» réclamés par les parties civiles. Près de 500 000 euros.
«Une épée de Damoclès»
«L’État et les CFL n’ont pas besoin de cet argent», estime-t-il. «L’obligation de les indemniser dans une période de cinq ans, comme le prévoit le sursis probatoire, sera comme une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes.» C’est pourquoi il demande au tribunal de prononcer un sursis simple, de réduire les montants réclamés à de plus justes proportions et d’individualiser leur répartition entre les différents prévenus.
Tout n’est pas noir dans ce réquisitoire que la représentante du parquet a rédigé avec un code couleur pour permettre aux parties défenderesses de s’y retrouver. «Le parquet est resté sous la limite des deux ans de prison. Ce qui permet une suspension du prononcé et pas d’inscription au casier judiciaire» si le tribunal décidait d’accorder sa clémence aux cinq prévenus.
«Ils savaient que ce qu’ils faisaient était illégal»
Me Frank, qui défend Size, s’est ralliée à Me Penning et à Me Rollinger qui plaidera ce matin. Elle a soulevé la possibilité d’une «simple déclaration de culpabilité» en cas de dépassement du délai raisonnable et plaidé en faveur d’une suspension du prononcé en faveur de son client qui «sera suffisamment condamné au civil». Plus subsidiairement, elle a demandé l’application de l’article 20 du Code pénal qui prévoit une peine d’amende uniquement. Size aurait agi par naïveté, sans penser aux conséquences que ces tags auraient sur sa vie future.
L’instruction de l’affaire a commencé en septembre 2015 pour Size et les présumés Seck et Sior qui ont été inculpés en décembre 2015. Les faits sont antérieurs. Le parquet les considère à partir de 2011 pour Seck et Sior, soit à leur majorité. Deux ans plus tard pour les trois autres prévenus. Pour sa représentante, «ils savaient que ce qu’ils faisaient était illégal». Pas de doute là-dessus. Leur manière de procéder en témoignerait. «Ils ont utilisé de la peinture pour que leurs tags durent dans le temps et puissent être visibles le plus longtemps possible» et ils recouvraient des surfaces appartenant à des infrastructures d’utilité publique. «Leur intention est caractérisée par le simple fait de déposer de la peinture. L’infraction est instantanée» et «le mobile indifférent».
La représentante du ministère public a basé son réquisitoire sur plusieurs jugements qui ont fait jurisprudence. Me Rollinger tentera de déconstruire son argumentaire ce matin après que Me Tosi aura avancé ses arguments de défense pour Tame.