La défense n’a laissé aucune piste inexplorée pour tenter de décrocher l’acquittement des cinq prévenus. Elle jette un pavé dans la mare quant à la réponse pénale à donner à l’art urbain.
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Taguer illégalement, est-ce un crime, un délit ou une erreur de jeunesse répréhensible par une contravention ? Telle est la question que se posent les protagonistes d’une affaire qui occupe la 7e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg depuis deux semaines. Le ministère public a requis jeudi des peines de prison allant de 6 mois avec sursis à 18 mois à l’encontre des cinq prévenus, tandis que leurs avocats s’évertuent par tous les moyens légaux à leur disposition à leur éviter une condamnation, une inscription au casier judiciaire et surtout le remboursement des sommes demandées par les parties civiles.
Seck et Sior, s’il s’agit d’eux, ainsi que Size, Tame et Skiz sont accusés d’avoir réalisé près de 250 tags, notamment sur des infrastructures routières et ferroviaires au Luxembourg dans une période de temps aussi «floue» que les règles du milieu auquel les cinq jeunes hommes ont appartenu.
La représentante du ministère public a décidé qu’il s’agissait de délits. Unanimement, la défense est convaincue du contraire : les prévenus sont passibles de contraventions de police. La chambre correctionnelle est donc incompétente pour les juger et les faits sont prescrits. Le délai de prescription est d’un an en cas de contravention. Une situation idéale.
«Les copies ne peuvent être exclues»
Pour assurer leurs arrières et ceux des prévenus, les avocats ont également brandi la présomption d’innocence et tenté de semer le doute dans l’esprit du tribunal car le doute profite à l’accusé. Et dans cette affaire, les doutes peuvent facilement être éveillés et entretenus. Notamment en ce qui concerne les pratiques et les manières de fonctionner des tagueurs.
Parquet et police affirment que les tags sont des signatures uniques, l’ADN du tagueur en quelque sorte. Tagueur qui évolue avec une équipe, une bande organisée. Tous les tags Seck sont attribués à un seul et unique tagueur qui a rassemblé et organisé une bande BFT (Back for Trouble) autour de lui. Selon les articles de loi retenus par le ministère public, le présumé Seck pourrait être condamné à une peine allant jusqu’à 15 ans de réclusion, a expliqué Me Rollinger vendredi matin.
Si le tribunal penche du côté de la défense, les présumés Seck et Sior – 193 tags illégaux à leur actif – ainsi que les trois autres prévenus écoperaient de contraventions. Après avoir soulevé le libellé obscur et l’irrecevabilité des poursuites, Me Rollinger, auquel se sont ralliés Mes Penning, Frank et Tosi, a largement exposé ses arguments pendant deux heures pour tenter de décrocher l’acquittement des prévenus. Il a commencé par démonter «la théorie de la signature unique», témoignages d’artistes urbains luxembourgeois à l’appui. «Les jeunes se font la main sur des tags existants», lance-t-il. «Les copies ne peuvent être exclues.» Elles peuvent être des imitations, des marques de respect ou des provocations.
Des graffitis au far west
Elles sont donc tout sauf imputables avec certitude à un seul auteur. Il en veut pour preuve deux tags imputés à son client alors qu’il était hospitalisé à deux reprises ainsi que l’infinité de styles différents des inscriptions Sior. Une copie est, selon lui, une occurrence en plus du tag et un échelon supplémentaire vers la reconnaissance de la version originale. «Il taguait, mais pas les tags qui lui sont reprochés», ajoute l’avocat dont le client conteste silencieusement les faits.
Le tag Sior le poursuit pourtant jusqu’en Autriche, où il étudie, et en Grèce. «Le monde du graffiti est un univers sans règles où chacun fait ce qui lui plaît», poursuit l’avocat après avoir donné lecture de jurisprudences et de décisions de tribunaux allemands, apparemment plus au fait sur la question que les tribaux luxembourgeois qui ont rarement eu à juger pareille affaire.
Au Grand-Duché, quatre articles qui ne nomment pas les graffitis en tant que tels et une loi spéciale qui repose sur un règlement de police des chemins de fer s’offrent aux juges. Pour la majorité des faits au dossier, le ministère public a retenu les articles 526 et 528 qui s’appliquent en cas de «destruction ou de dégradation des tombeaux, monuments, objets d’art, titres, documents et autres papiers» d’utilité publique et «de denrées marchandises ou autres propriétés mobilières d’autrui». Auxquels peut s’ajouter la circonstance aggravante de bande organisée prévue par l’article 529 du Code pénal.
Après avoir donné une leçon de français et d’interprétation de textes au tribunal, Me Rollinger a plaidé en faveur des articles 557 et 563 du Code pénal. Pour les décrocher, l’avocat a dégainé la loi spéciale «qui déroge à la loi générale» sans quoi «le législateur n’aurait pas pris la peine de la créer» et de prévoir des amendes pour les tags réalisés sur le réseau des CFL.
«L’article 557 doit s’appliquer pour toutes les autres infractions», a ajouté l’avocat avant de conclure sa démonstration par l’absurde en taguant une maison de poupées. «Si quelqu’un tague cette maison de poupées qui est le bien mobilier de quelqu’un d’autre, il encourt entre une et trois années de prison. Si la même personne tague la façade de la maison d’un particulier, elle encourt une amende de 250 euros.»
Le prononcé est fixé au 6 juin prochain.