Accueil | A la Une | [Gardiens de la nature] Vinsmoselle : «Si on reste sans rien faire, ça ne pourra pas marcher»

[Gardiens de la nature] Vinsmoselle : «Si on reste sans rien faire, ça ne pourra pas marcher»


Le directeur de Vinsmoselle, Aender Mehlen, et son vigneron-président, Josy Gloden (2e en partant de la gauche), ont souhaité mettre la coopérative sur une nouvelle voie. (Photos : alain rischard)

Les domaines Vinsmoselle viennent d’adhérer au label Fair’n Green, une certification qui promeut les bonnes pratiques environnementales et sociales. Le directeur Aender Mehlen explique le sens de cette démarche.

Carte d’identité

Nom : Aender Mehlen

Âge : 49 ans

Fonction : directeur général des domaines Vinsmoselle

Profil : titulaire d’une thèse en microbiologie obtenue à Münich, il a passé l’essentiel de sa carrière en tant que contrôleur des vins à l’Institut viti-vinicole de Remich. Le président de Vinsmoselle, Josy Gloden, l’a convaincu de rejoindre la coopérative. Il a pris ses fonctions en février 2022.

La coopérative regroupe 170 membres. A-t-il été facile de l’engager sur un chemin prônant davantage de vertus, notamment en termes de biodiversité et de protection environnementale ?

Aender Mehlen : L’idée était déjà venue il y a cinq ans, avant que j’en devienne le directeur. Mais à l’époque, il avait été difficile de convaincre tous les vignerons, et ça ne s’était pas fait. Aujourd’hui, je ne dirais pas non plus que tout le monde est enthousiaste. Il reste des sceptiques qui se demandent si les efforts qu’ils vont devoir réaliser se concrétiseront sur le plan économique. Il est certain qu’ils devront travailler de façon différente, avec un plus grand respect de la nature et que cela leur coûtera peut-être plus cher. C’est possible. Mais depuis cinq ans, la motivation de la direction, du conseil restreint et de la majorité des vignerons a permis de signer notre adhésion à Fair’n Green.

En quoi est-ce si important pour vous ?

Les consommateurs font de plus en plus attention à ce qu’ils mangent et ce qu’ils boivent. J’ai lu que 55 % d’entre eux regardaient si la bouteille portait une certification de durabilité avant de l’acheter. Ce chiffre monte à 67 % chez les 18-25 ans. Est-ce que nous allons gagner plus d’argent maintenant que nous aurons le logo? Je ne sais pas encore, mais j’ai dit aux vignerons qu’avec ça, nous ne perdrons certainement pas de parts de marché. Les grandes enseignes et les grands négociants de vin sont sensibles à cette démarche. En Allemagne, certains ne prennent que des domaines qui sont certifiés. Ce type de label aide aussi beaucoup pour entrer dans les monopoles d’État scandinaves.

Nous garderons le label si nous progressons d’au moins 3 % tous les ans

L’aspect marketing est donc essentiel dans votre décision.

Forcément, mais ce n’est pas du marketing pur. Le logo Fair’n Green ne sera pas affiché en grand sur l’étiquette, plutôt dans une taille normale sur la contre-étiquette. Mais il ne faut pas nier que l’aspect marketing joue aussi.

Vous dites depuis longtemps être persuadé que les critères du bio aujourd’hui seront les standards de demain. Cette certification est-elle un objectif ou simplement une étape sur le chemin du bio ?

Il serait insensé de dire que Vinsmoselle pourrait passer au bio du jour au lendemain. Nous sommes nombreux et, aujourd’hui, beaucoup de vignerons s’y opposeraient catégoriquement. Je peux le comprendre, d’autant qu’on ne fait pas de bio sous la contrainte, il faut y croire. Mais il faut aussi voir que ce secteur est en pleine évolution et je reste effectivement convaincu que le bio d’aujourd’hui sera la normalité de demain. Avec cette certification, nous allons avancer pas à pas. Peut-être que dans cinq ou sept ans, nous nous rendrons compte que nos vins sont meilleurs parce que l’on n’utilise que de l’engrais organique. Peut-être que grâce à Fair’n Green, nous serons parvenus à conquérir un nouveau marché. Si ces réussites convainquent les sceptiques, alors nous pourrons aller plus loin. Si l’ensemble des vignerons respectent tous les critères Fair’n Green, nous ne serons plus très loin du bio… Mais il nous faut du temps et ne brusquer personne.

A lire aussi

Vinsmoselle se verdit

L’avantage d’un label comme celui-ci, c’est qu’il n’impose pas immédiatement les bonnes pratiques à l’ensemble des vignerons de la coopérative ?

Oui, c’est certain. Pour recevoir le label, nous avons été audités et la situation actuelle a été notée 61/100. Il faut 50, au minimum, pour être certifié. Les responsables du label nous ont dit que c’était une bonne base. Chaque année, les vignerons devront nous livrer beaucoup de données : les quantités de produits utilisées, leur consommation d’énergie (mazout, essence, électricité)… Un audit sera réalisé chaque année et nous garderons le label si nous progressons d’au moins 3 % tous les ans. Donc, si certains rechignent à changer tout de suite, ceux qui feront leurs efforts nous permettront de gagner un peu de temps. Mais ça ne pourra pas durer éternellement.

Au Luxembourg, on utilise peu d’herbicides ou d’insecticides, ce qui vous donne des points. Quels sont les aspects qui vont vous demander le plus d’efforts ?

La question de l’énergie sera importante. Surtout pour nous, qui disposons de beaucoup de vieux bâtiments mal isolés. Il va falloir progresser là-dessus. Heureusement, nous avons installé des panneaux solaires sur l’extension de notre cave de Wellenstein. Nous produisons déjà près de 50 % de l’électricité que nous y consommons et nous sommes en train d’agrandir ce parc pour monter à plus de 70 % dès le printemps 2024. Mais ce qui m’intéresse chez Fair’n Green, c’est qu’ils ont une vision à 360 degrés sur notre activité. De la vigne jusqu’à la livraison de nos bouteilles. Les emballages sont très importants pour baisser nos émissions de CO2 par exemple. On sait que la fabrication des bouteilles en verre en produit beaucoup, qu’elles sont lourdes à transporter, ce qui n’est pas bon au niveau des émissions… Donc, nous cherchons des bouteilles plus légères. Les BIB (NDLR : Bag-in-Box) n’ont pas une bonne image, mais pour les vins d’entrée de gamme, ils sont parfaits. Cette année, nous vendons notre Glühwein dans des pouches (NDLR : une pochette flexible) incassables, très légères et au bilan carbone très faible.

Vous qui avez poussé pour obtenir cette certification, pensez-vous qu’elle finira par faire consensus ?

Il y a eu des discussions, tout le monde n’était pas content. Mais j’ai dit aux réticents qu’il était essentiel que nous fassions quelque chose, que nous bougions sur ces questions. Si on reste sans rien faire, ça ne pourra pas marcher. J’ai bon espoir que ceux qui ne sont pas encore convaincus le deviendront un peu plus tard en voyant que ça fonctionne. Bien sûr, il va falloir que ça nous rapporte quelque chose.

Bio, raisonné… quelle différence?

On a vite fait de se perdre dans les différents labels posés sur les bouteilles de vin… Pour le bio, c’est facile : il y a l’eurofeuille avec les étoiles blanches sur fond vert qui garantit que le cru répond à la législation européenne. Le label AB, français, signifie la même chose. Pour faire ces vins, les vignes n’ont jamais été traitées avec des produits chimiques (herbicides, pesticides…).

Les labels Demeter et Biodyvin mettent en avant les domaines biodynamiques. Ceux-ci sont forcément bios, mais en plus, ils instaurent des pratiques en lien avec les cycles naturels, en osmose maximale avec l’environnement. Force est de constater que beaucoup des meilleurs producteurs mondiaux sont en biodynamie (Romanée-Conti et Leflaive en Bourgogne, Pontet-Canet, Palmer et La Lagune à Bordeaux, Zind Humbrecht en Alsace, Domaine des Roches Neuves dans la Loire…).

L’agriculture raisonnée regorge de labels, plus ou moins pertinents. À côté du Fair’n Green de Vinsmoselle, on trouve aussi Terra Vitis, HVE… Ici, on peut toujours utiliser des produits phytosanitaires, mais dans un cadre limité et contrôlé. La transparence doit être de mise si le label est sérieux.