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[Gardiens de la nature] Trop de lumière dans la nuit


Pour sensibiliser la population aux effets de la lumière la nuit, Daniel Gliedner organise des balades nocturnes autour de la nouvelle lune. (photos E. N.)

L’excès d’éclairage nocturne n’est pas encore considéré comme une véritable priorité au Luxembourg. Seul Daniel Gliedner, du Parc naturel de l’Our, possède une expertise approfondie et neutre sur la question.

Nos nuits sont trop éclairées. Ce n’est pas un problème nouveau, on en parle depuis longtemps, mais on peine toujours à le résoudre. Pire, il s’intensifie : chaque année, la luminosité nocturne augmente de 10 % en Europe. Au Luxembourg, toute cette problématique est principalement portée par un seul homme : Daniel Gliedner, embauché en tant que conseiller en éclairage pour le Parc naturel de l’Our, mais qui travaille en fait dans tout le pays.

Il définit simplement la pollution lumineuse : « Là où la lumière brille la nuit sans que ce soit souhaitable ni nécessaire». Pour y répondre, il propose une formule tout aussi limpide : «Il faut illuminer ce qu’il faut, comme il faut et quand il faut». Fin de l’histoire? Pas vraiment. Ce n’est pas parce que les énoncés sont clairs qu’ils sont forcément partagés…

Car illuminer les nuits pose de vrais problèmes. Cela peut-être contre-intuitif tant cette possibilité semble être un progrès amenant modernité et sentiment de sécurité, mais elle perturbe profondément les êtres vivants et leurs écosystèmes. «Au même titre que les routes et les clôtures, la lumière fragmente l’habitat nocturne parce que les animaux qui sont habitués au cycle circadien (NDLR : le rythme jour/nuit) ne la traversent pas», souligne Daniel Gliedner. Non seulement l’éclairage a un impact néfaste la nuit, mais aussi le jour puisque, faute de repères, les insectes, les oiseaux, les amphibiens, les mammifères et même les poissons sont désorientés.

Si la cause a du mal à avancer, le progrès technique permettrait pourtant aujourd’hui de résoudre une bonne partie du problème. «Depuis les années 1960, la lumière des globes équipés de lampes à décharge arrosait tout autour davantage le ciel que le sol et pas du tout au pied du poteau», précise Daniel Gliedner. Il suffisait alors d’un marteau et d’un tournevis pour en assurer l’entretien. Et jusque dans les années 1990, les lampadaires n’ont d’ailleurs que très lentement évolué.

Aucune loi sur ce thème

Depuis, les éclairages LED sont arrivés et avec eux un nouveau paradigme, mais aussi un effet pervers. S’ils consomment beaucoup moins d’énergie (-85 % entre 2013 et aujourd’hui, dans le meilleur des cas), ce qui est une excellente nouvelle, ils délivrent également beaucoup plus de lumière. Et pas la meilleure. Le spectre initial émis par les lampadaires nouvelle génération va essentiellement des ultraviolets au bleu, soit précisément les couleurs que l’on devrait éviter la nuit. La lumière bleue, celle émise par les téléphones portables par exemple, bloque la production de mélatonine, cette hormone qui règle notre cycle jour/nuit en provoquant notamment l’endormissement.

Malgré tout, ces lampadaires restent de bien meilleurs outils que les anciens, puisqu’ils sont entièrement paramétrables. Chacun d’entre eux est équipé d’un «moteur» LED à lentilles, de filtres et de commandes configurables, de sorte qu’ils peuvent être adaptés dans des milliers de cas de figure. Encore faut-il savoir s’en servir, ce qui n’est pas simple. À la place du marteau et du tournevis, il faut désormais un ordinateur et de solides compétences en techniques d’éclairage et d’énergie, ainsi qu’en informatique.

Photo : naturpark our

Le nec plus ultra est de programmer ces systèmes pour qu’ils éclairent à la demande. Il est possible, par exemple, de les munir de détecteurs de mouvements et de modules pour qu’ils communiquent entre eux. «Nous avons notamment équipé un parking à Vianden de cette façon et les résultats sont spectaculaires, avance Daniel Gliedner. Les luminaires ne s’allument plus que 0,4 % du temps : pendant 99,6 % de la nuit, ils sont éteints ! »

Dans la même commune, le procédé pourrait prochainement être reproduit sur l’esplanade, au bord de l’Our, ce qui permettrait de ne pas perturber les poissons. «Sur des installations dans des endroits similaires qui existent déjà, nous avons constaté que seul 12 % du temps de nuit a eu besoin d’être éclairé», ajoute-t-il.

Alors pourquoi ne généralise-t-on pas ces techniques, bénéfiques pour l’environnement et les finances des collectivités? «Les lampadaires ont une durée de vie utile de 25 à 40 ans et les communes hésitent à les renouveler avant, relève Daniel Gliedner. Et puis, beaucoup attendent de voir ce que cela donne chez le voisin…»

Mais l’argument le plus évident est qu’aucune loi ne limite l’éclairage nocturne. Les normes en vigueur étant celles des industriels qui vendent leurs appareillages, elles ne définissent que des valeurs a minima et pas a maxima. Aujourd’hui, on ne peut compter que sur la bonne volonté des différents acteurs. «En règle générale, l’État et les communes sont des partenaires engagés, souligne le conseiller. Les problèmes les plus sérieux viennent le plus souvent des industriels et des commerçants.»

Il reste donc à définir une politique concrète sur ce thème un peu oublié, mais absolument pas anodin. Puisqu’aujourd’hui, la préservation de la qualité de vie de la faune nocturne peut tout à fait aller de pair avec la sécurité des habitants, pourquoi s’en priver? Il suffirait de s’en donner les moyens.

Où se trouve le plus beau ciel étoilé ?

«De manière générale, la qualité du ciel nocturne est médiocre au Luxembourg», relève Daniel Gliedner. Il suffit de regarder une prise de vue à 360° depuis un point haut du Parc naturel de l’Our à 3 h du matin pour s’en rendre compte : on voit plusieurs halos lumineux, notamment au-dessus des zones d’activités.

Toutefois, une commune essaye de tirer son épingle du jeu : Putscheid. «Nous sommes en train de rédiger sa candidature à l’International Dark Sky Community, ce qui lui permettra d’intégrer l’association DarkSky International, qui certifie les communes et les collectivités qui encouragent la protection du ciel étoilé et le tourisme astronomique.» Putscheid fait donc des efforts pour diminuer sa luminosité urbaine et permettre l’accessibilité de sites privilégiés pour l’observation des étoiles. «Nous estimons avoir de bonnes chances d’obtenir le label d’ici un à deux ans», anticipe Daniel Gliedner.

Photo : erwan nonet

Carte d’identité

Nom : Daniel Gliedner

Âge : 52 ans

Fonction : conseiller en éclairage au Parc naturel de l’Our

Profil : Issu du monde de l’industrie, Daniel Gliedner a été spécialiste en éclairage pour AEG, puis directeur du grossiste AEM avant de rejoindre Creos en tant que responsable de l’éclairage public. Il a intégré l’équipe du Parc naturel de l’Our en 2019.