Aidés par le service de protection des eaux du Syndicat des eaux du Sud, les agriculteurs modifient leurs pratiques pour sauvegarder la qualité de l’eau des sources de la vallée de l’Eisch.
Cartes d’identité
Nom : Vanessa Reiter
Âge : 36 ans
Fonction : coordinatrice de la zone de protection des eaux de la vallée de l’Eisch, responsable du service de protection des eaux du Syndicat des eaux du Sud (SES).
Profil : Après un bachelor en biologie réalisé à Zurich et Luxembourg, elle a obtenu un master en sciences environnementales à l’université de Liège. Elle est arrivée au SES en 2020.
Nom : Christian Thillens
Âge : 30 ans
Fonction : gestionnaire de projet au service de protection des eaux souterraines au SES.
Profil : Il est titulaire d’un master en génie civil obtenu à Aix-la-Chapelle, avec une spécialisation dans le domaine de l’eau. Il travaille pour le SES depuis deux mois.
En plus de ses sept châteaux, la vallée de l’Eisch détient une autre grande richesse : l’eau de ses sources. Le long de la rivière, les résurgences se succèdent les unes après les autres, mais l’or bleu est un bien commun très fragile. La prise de conscience quant à la nécessité d’organiser sa distribution dans le sud-ouest du pays est arrivée très tôt. Non seulement il fallait assurer l’approvisionnement d’une eau potable de qualité aux habitants, mais aussi aux sites industriels et sidérurgiques.
Le Syndicat des eaux du Sud (SES) a ainsi été fondé dès 1908, devenant le premier du genre au Grand-Duché. Aujourd’hui basé autour de la jolie station de pompage de Koerich, bâtie au début de cette histoire, le syndicat regroupe 22 communes membres et fournit toujours l’eau aux usines d’ArcelorMittal d’Esch-Belval, d’Esch-Schifflange et de Differdange.
Le SES exploite 65 sources et trois forages, soit environ 15 millions de m3 par an. Cette eau circule dans un réseau de 220 km de canalisations et est dirigée vers le réservoir du Rebierg (32 000 l, commune de Garnich), d’où elle est redistribuée. Ces réserves ne suffisent toutefois pas pour alimenter les 250 000 habitants de la région, la moitié de l’eau potable sortant du robinet arrive donc aussi du lac de la Haute-Sûre.
Pour préserver l’eau de source de la vallée de l’Eisch, des zones de protection ont été définies par l’administration de la Gestion de l’eau. Divisées en trois parties selon le type de règlementation, 1 étant les plus strictes et 3 les moins strictes, elles occupent une superficie totale de 7 000 hectares, dont 3 000 sont situés sur des terres agricoles (champs et prairies).
Près de 75 % d’herbicides en moins
C’est ici qu’interviennent Vanessa Reiter, coordinatrice de la zone de protection des eaux de la vallée de l’Eisch et responsable du service de protection des eaux du SES, et Christian Thillens, gestionnaire de projet au service de protection des eaux du SES. La première tâche a été de déterminer quelles étaient les zones les plus fragiles, comme «les endroits où se trouvent des failles dans le grès de Luxembourg, ce sont là que les pollutions atteindront le plus vite les nappes phréatiques», indique Vanessa Reiter.
On pense aux produits phytosanitaires utilisés dans l’agriculture, mais le spectre des risques est beaucoup plus large que cela. «Nous sommes également très vigilants à l’égard des anciennes citernes de mazout et des fosses septiques, qui peuvent aussi représenter un danger pour la qualité de l’eau souterraine», poursuit-elle. Il s’agit là d’un travail de longue haleine, qui nécessite une présence continue sur le terrain pour inciter les habitants à opter pour des solutions plus sûres, de conséquentes aides sont d’ailleurs allouées par l’État pour effectuer ces travaux.
Coopérer avec les agriculteurs reste toutefois un axe décisif, une préoccupation qui est désormais acquise par toutes les parties. La collaboration réunissant les agriculteurs locaux, la Chambre d’agriculture et le service de protection des eaux du SES est en place depuis 2002. À l’hiver 2021 s’est même créée la Coopérative agricole de la vallée de l’Eisch qui fédère 62 exploitants dont les terres représentent environ 75 % des zones de protection du SES et 55 % des zones de protection de toute la vallée.
Des subventions jusqu’à 75 %
Ces structures permettent à la fois de mieux expliquer les raisons objectives de protéger l’eau, mais aussi de trouver des solutions pour continuer à travailler les terres soumises à des règlementations parfois très strictes, tout en maintenant des revenus acceptables. Un exemple concret de cette dynamique est l’utilisation d’une bineuse à traitement inter-rang dans les champs de maïs.
Joé Weber, agriculteur à Hobscheid, explique le principe : «La bineuse est équipée de caméras qui repèrent où se trouvent les rangées de maïs, elle désherbe mécaniquement entre ces lignes et peut aussi pulvériser très précisément sur les plants grâce à des buses pilotées par informatique.» Dans un champ situé en zone de protection 3, il est effectivement possible d’utiliser des herbicides, mais de manière très limitée et contrôlée. De fait, l’usage de la bineuse permet d’économiser 75 % d’herbicides par rapport à un traitement classique.
«Aujourd’hui, 70 % des surfaces de maïs d’agriculteurs bénéficiant du conseil agricole ont été traitées de façon semi-mécanique en 2023, ce qui correspond à environ 200 ha par an», apprécie Vanessa Reiter. Les deux bineuses ont été achetées par le SES et subsidiées jusqu’à 75 % par le MECB. Le SES les met à disposition des agriculteurs de la Vallée de l’Eisch. Deux agriculteurs de la région, Joé Weber et Luc Emering, – agriculteur à Sprinkange (notamment producteur des pâtes Dudel-Magie) et également député – réalisent le traitement semi-mécanique du maïs pour les membres de la coopération agricole. Ces prestations de service sont financées par le SES, ce qui est évidemment très intéressant. «Sur une année sèche, un seul traitement suffit, mais deux peuvent être nécessaires lors d’une saison humide, comme cette année», détaille Joé Weber.
Notre mission est de prévenir les risques qui se manifesteraient plus tard
La méthodologie appliquée dans la vallée de l’Eisch permet donc de concilier la protection de l’environnement et les impératifs du métier d’agriculteur. Elle nécessite de la part de toutes les parties un engagement sincère, et force est de constater que le climat est serein et les discussions fructueuses. Si des confrontations peuvent subvenir, comme partout, elles sont réglées au meilleur de l’intérêt général.
«Notre mission est de prévenir les risques qui se manifesteraient plus tard, souligne Vanessa Reiter. Les molécules que nous trouvons dans l’eau de source aujourd’hui et que nous devons éliminer proviennent des produits utilisés dans le passé et parfois interdits depuis longtemps, comme l’atrazine, proscrite depuis 2005. Le temps de régénération de la nappe phréatique revient donc à environ 20 ans. Néanmoins, d’autres produits interdits depuis une dizaine d’années se montrent encore problématiques, comme par exemple le métolachlore, métazachlore ou le chlorothalonil. Leurs métabolites sont encore détectés dans l’eau souterraine.Tous ensemble, nous prenons soin des générations futures.»
Pourquoi faut-il désherber?
La question est toute bête, mais la réponse beaucoup moins. «Il faut désherber lorsque les plants de maïs sont petits, car les mauvaises herbes prendraient l’eau et les nutriments pour elles, explique Joé Weber. Sans cela, les maïs seraient rachitiques, certains ne produiraient pas d’épis du tout et les autres en auraient de plus petits.»
Puisque ce maïs est exclusivement destiné au fourrage du bétail (Joé Weber élève des vaches laitières), il est indispensable au bon équilibre de la ferme. Moins de maïs produit sur place obligerait à en acheter à l’extérieur, ce qui ne serait souhaitable ni pour les finances ni pour le bilan carbone de son exploitation.