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[Gardiens de la nature] Quand on détruit, on répare


Le service des compensations de l’ANF gère actuellement 25 projets en faveur de l’environnement dans l’ensemble du pays.  (photo Erwan Nonet)

Lorsque des constructions mettent à mal des biotopes, les maîtres d’œuvre ont l’obligation de compenser les pertes via un système piloté par un service spécial de l’ANF dirigé par Michaela Plein.

Retrouvez nos précédents articles sur les «Gardiens de la nature»

On le sait, et bien que le rythme ait sensiblement baissé ces derniers mois, on construit beaucoup au Luxembourg. Et lorsque les engins de chantier arrivent quelque part, forcément, le risque est grand pour que des habitats naturels soient dégradés, voire disparaissent.

Pour pallier la perte de biotopes, d’habitats d’espèces protégées ou de forêts et de toutes autres actions qui impactent négativement l’environnement, la loi sur la protection de la nature publiée en 2018 prévoit un système de compensation dont le principe général est assez simple.

Afin de calculer le besoin de compensation, un écobilan est créé à l’aide d’une application numérique. Il s’agit de comparer la situation initiale avec la situation après la mise en œuvre du projet de construction. L’unité de ce barème est l’écopoint. Plus les pertes seront importantes et plus le nombre d’écopoints est élevé. Ceux-ci sont également indexés en fonction de la rareté des biotopes ou habitats perdus. Au final, un écopoint est égal à un euro.

Les maîtres d’œuvre ont ensuite le choix. Ils peuvent compenser eux-mêmes directement sur le site qu’ils construisent. Si le nombre d’écopoints récupéré est équivalent à celui qui a été perdu, la balance est à niveau. Par contre, si l’équilibre n’est pas atteint, l’aménageur doit payer une taxe de remboursement au prorata du déficit d’écopoints créé par son projet. Cette amende finance intégralement un fonds de compensation justement utilisé pour développer des programmes en faveur de la nature.

Une réponse pragmatique

La responsable du service des compensations de l’ANF est Michaela Plein. Originaire de Bollendorf, juste de l’autre côté de la Sûre, elle a étudié la biologie et l’écologie à Mayence (Allemagne) puis à Melbourne (Australie). Elle explique ce que la nouvelle réglementation a changé : «Auparavant, nous avions déjà un système avec des écopoints, dans lequel l’aménageur devait effectuer ses propres compensations.

Cela a donné lieu à de nombreuses petites mesures qui ne poursuivaient pas d’objectifs écologiques à l’échelle nationale. En cumulant les taxes dans un fonds, nous pouvons réaliser de grands projets qui poursuivent des objectifs nationaux de conservation.»

médaillon

Toutes les restaurations doivent être réalisées sur des terrains publics, appartenant donc à des communes ou à l’État. «Le pays est divisé en cinq secteurs écologiques (NDLR : Oesling, Gutland septentrional, vallée de la Moselle et Gutland oriental, Grès du Gutland, Gutland méridional et Minette) et les compensations doivent avoir lieu dans le même secteur que les destructions. Pour celles qui concernent la disparition des habitats les plus rares, nous faisons en sorte que les compensations aient lieu le plus près possible des destructions.»

À l’heure actuelle, le service emploie six personnes dans les bureaux de l’ANF à Diekirch. «Nous nous occupons en ce moment de 25 projets, dont un tiers est déjà réalisé et un autre tiers est en cours de réalisation», précise Michaela. Le projet le plus important jusqu’à présent a été lancé en 2018 à la Nogemerhaff, à côté de Redange, dans l’ouest du pays.

«Nous travaillons avec un agriculteur qui a complètement changé son modèle d’exploitation pour gérer les zones de compensation.» Pour gérer les surfaces de compensation, le locataire est passé d’un élevage laitier à un pâturage extensif à l’année. Au lieu de cultures intensives, ce sont maintenant des bovins Angus qui se promènent dans les prairies extensives.

Trouver les meilleurs endroits pour localiser des projets est évidemment une des clés de la réussite. «Il y a des régions plus faciles que d’autres, reconnaît Michaela Plein. Dans le Sud, par exemple, c’est plus difficile : il faut être opportuniste.» Trois projets sont toutefois en route dans ce secteur. À Differdange, des rangées d’arbres ont été plantées dans un champ pour créer l’un des premiers exemples d’agroforesterie du pays.

Ces structures paysagères offrent une bonne utilisation du sol (moins tassé et plus fleuri), tout en créant des corridors dont profitent notamment les oiseaux et les chauves-souris. Près de Bettembourg, des mares sont restaurées dans une forêt de feuillus. Enfin, à Soleuvre, une opération d’extension de mares dans des prairies humides permet de créer les conditions idéales pour de nombreux oiseaux.

Grâce à la compensation, la question n’est pas de s’opposer au développement économique et démographique du pays, mais de trouver des solutions pour limiter au maximum son impact négatif sur l’environnement. Il s’agit d’une réponse pragmatique dont le but ultime est le «no net loss», soit aucune perte écologique sèche. 

Que sont les pools de compensation?

Les terrains qui ont été définis pour recevoir les mesures compensatoires forment ce que l’on appelle le pool compensatoire. Il peut être national et géré par l’administration de la Nature et des Forêts ou régional, alors placé sous la responsabilité des communes. Grâce à ce patrimoine foncier, les mesures compensatoires peuvent être réalisées dans un laps de temps court et elles permettent d’allouer davantage de moyens pour développer des projets d’envergure au fort impact écologique.

CARTE D’IDENTITÉ

NOM : Michaela Plein

ÂGE : 38 ans

FONCTION : Cheffe du service Compensation de l’administration de la Nature et des Forêts

PROFIL : Elle a étudié la biologie à Mayence (Allemagne) et a obtenu un doctorat en écologie quantitative à l’université de Melbourne (Australie), une matière qui répond aux questions écologiques de manière mathématique. Elle a rejoint l’ANF en 2019.