Pouillots véloces, bergeronnettes et même mouettes rieuses : les étangs de Remerschen accueillent depuis quelques jours de grands voyageurs. Et ce n’est que le début !
Patric Lorgé a de la chance, son bureau se situe au Biodiversum Camille-Gira, en plein cœur de la zone Natura 2000 des étangs de Remerschen. Le long de la Moselle, au pied des vignobles, ce site est en quelque sorte une friche industrielle puisque les étangs sont le résultat de l’extraction du sable. Ils sont remplis d’eau de source.
Vendredi, en début d’après-midi, l’ornithologue de natur&ëmwelt avait tous les sens en éveil. Un chant d’oiseau et le voilà qui nomme l’espèce dans la foulée.
Il est heureux de voir quelques mouettes rieuses autour de l’eau, l’une est même posée sur un radeau de nidification, un îlot flottant recouvert de graviers. «C’est la troisième année que l’on en voit ici et c’est le premier jour que j’en vois cette année!, sourit-il. Je ne sais pas si elles vont s’arrêter ici pour faire leur nid ou repartir un peu plus au nord, nous verrons bien les prochains jours.»
Comme ces mouettes, des sternes pierregarins ont également occupé ces fameux radeaux l’année dernière. «Six couples étaient venus nicher sur les étangs et neuf petits, qui ont tous été bagués, sont sortis du nid, se félicite-t-il. Avant elles n’étaient que de passage.» La nouvelle est d’autant meilleure qu’elles sont classées dans l’annexe 1 de la directive européenne Oiseaux, elles sont rares et protégées.
En octobre dernier, Patric Lorgé a appris qu’un de ces jeunes avait été repéré dans la région bordelaise. «C’est une information très intéressante, car si on sait que les sternes pierregarins viennent d’Europe du Nord et qu’elles passent l’hiver sur la côte ouest-africaine, on ne connaît pas la route qu’elles empruntent. Là, on a la preuve qu’elle a suivi la côte atlantique.» La question est de savoir si ces oiseaux nés à Remerschen reviendront cette année. «Ce ne serait pas impossible, les oiseaux migratoires retournent souvent là où ils sont nés».
L’usage de géolocalisateur pour suivre ces oiseaux est encore marginal. Ils ne sont pas très grands et il faudrait fixer sur leur plume un appareil miniaturisé pour ne pas modifier leur comportement. Cela peut se faire, mais cela coûte très cher.
Dur pour les grands voyageurs
Les étangs de Remerschen sont un site très important pour les oiseaux migrateurs. «C’est un peu leur aire de Berchem, s’amuse l’ornithologue. La réserve naturelle est un site d’étape, une aire de repos. Ils s’arrêtent, mangent des insectes et reprennent des forces avant de repartir.»
Alors que beaucoup de zones humides ont disparu, maintenir celle de Remerschen est une absolue nécessité, surtout dans le contexte du changement climatique dont les effets sont évidents, Patric Lorgé le constate singulièrement en cette saison.
Les oiseaux migrateurs au long cours en sont particulièrement victimes. Il y a 20 ans, mars était encore un mois d’hiver et aujourd’hui, il fait déjà presque 20 °C. En conséquence, la première vague d’insectes arrive déjà.
«Il faut davantage de temps aux oiseaux qui reviennent d’Afrique subsaharienne. Le gobe-mouche noir, par exemple, va arriver en avril et ses petits vont naître en mai. Mais à ce moment-là, la deuxième vague d’insectes sera déjà passée et les adultes n’auront pas grand-chose à donner à leurs petits. C’est un grand problème, car moins de nourriture, c’est aussi moins de chance de survie et donc une baisse de la population.»
La chute du nombre d’espèces et d’individus est très bien documentée grâce au Pan–European Common Bird Monitoring Scheme, un réseau qui permet d’obtenir des données standardisées à l’échelle du continent. «Les espèces dont le déclin est le plus massif sont les espèces liées à l’agriculture et celles qui migrent loin», précise Patric Lorgé.
Les oiseaux qui ne voyagent que du nord au sud de l’Europe parviennent plus facilement à modifier leurs habitudes. «Lors de leur hivernage, dès que les jours rallongent et qu’un vent chaud venu du Sahara se lève, les pouillots véloces, les bergeronnettes ou les grives musiciennes s’en servent pour remonter.» Et profiter de ces insectes qui manqueront à ceux qui sont encore en pleine migration.
Constat typique d’une époque de transition, Patric Lorgé observe de plus en plus de nouvelles espèces à Remerschen. Le réchauffement du climat opère en effet un déplacement vers le nord de nombreux oiseaux. Le bruyant zizi, commun autour de la Méditerranée, nichait dans les vignobles jusque dans les années 1940, mais plus ensuite.
Un premier chanteur a été entendu en 2021 et l’an passé, il était présent sur 35 territoires de la Moselle luxembourgeoise. «Il y a deux ans, nous avons vu les premiers bouscarles de Cetti. Ce matin, nous avons justement bagué le dixième individu vu au Luxembourg.»
Dans la zone Natura 2000 de la vallée de la Syre, à Mensdorf, ce sont des cisticoles des joncs qui ont été repérés en 2023, «on suspecte même une nidification».
S’il est toujours plaisant d’observer ces nouvelles espèces arriver, elles n’effacent pas le constat de la chute spectaculaire du nombre d’oiseaux dans nos contrées. «C’est surtout frappant l’hiver, soupire Patric Lorgé. On ne voit presque plus de mésanges, de bouvreuils, d’alouettes, de vanneaux ou même de moineaux. Ces derniers mois, ça m’a vraiment marqué.»
Un peu plus d’une heure après le début de notre entretien, les mouettes rieuses avaient quitté les étangs. Sont-elles parties plus au nord? Faisaient-elles juste un tour du propriétaire? «On verra demain», glisse l’ornithologue qui avoue qu’en ce moment, il a toujours un œil vers le ciel.
Pourquoi voit-on des grues en hiver?
Avec le réchauffement de la planète, certains oiseaux ont arrêté de migrer. C’est le cas de nombreuses grues, par exemple. Autrefois, on les voyait s’envoler du nord de l’Europe de la mi-septembre à la fin octobre pour retrouver le bassin méditerranéen, d’où elles revenaient au début du printemps.
Mais de plus en plus d’individus restent en Europe du Nord, motivés par l’absence de neige et la présence de champs de maïs où elles trouvent de quoi se nourrir. D’autres ont opté pour une migration express, partant en décembre lorsque arrive une vague de froid et rentrant dès le mois suivant.
Celles qui restent ou reviennent tôt ont un gros avantage sur leurs congénères voyageuses : elles peuvent choisir leur site de nidification. Ce n’est pas rien, car grâce à des politiques de protection efficaces, elles sont de plus en plus nombreuses. On en dénombre autour de 460 000 aujourd’hui, presque six fois plus qu’il y a un demi-siècle. Un beau succès!
Carte d'identité
Nom : Patric Lorgé
Âge : 51 ans
Fonction : ornithologue à la Centrale ornithologique de natur&ëmwelt
Profil : Diplômé en gestion, mais passionné par la nature, Patric Lorgé a été le premier employé de la Centrale ornithologique en 1998. Il a notamment travaillé à la création des zones de protection spéciale pour la protection des oiseaux. Son bureau se trouve au Biodiversum Camille-Gira, à Remerschen.