Le parc naturel de l’Our a lancé un projet pilote pour développer l’agroforesterie. Un premier système vient d’être mis en place à Bastendorf, à la Biohaff Miller-Mariany.
Pendant longtemps, et particulièrement depuis l’après-guerre, l’agriculture s’est développée pour accroître sa productivité alors que la population mondiale augmentait. On a asséché les zones humides ou arraché les haies bocagères pour augmenter la superficie des champs et l’efficacité du travail mécanique.
Mais l’essor de la monoculture productiviste a eu pour conséquence un appauvrissement de la biodiversité sur et sous les surfaces cultivées. Retrouver un sol sain, apte à nourrir la population et les animaux d’élevage, dans un contexte où le changement climatique est une évidence, est donc devenu une nécessité.
L’agroforesterie fait justement partie du catalogue des solutions pertinentes pour redonner des structures au paysage et protéger les terres agricoles contre le changement climatique. En fait, l’idée est très simple : elle consiste à associer sur une même parcelle des bosquets, des cultures ou des animaux.
Techniquement, il n’y a rien de neuf, cela fait des millénaires que le bétail broute à l’ombre des vergers. Mais à côté de ces pratiques ancestrales, on développe aujourd’hui des systèmes plus modernes. Il est par exemple tout à fait possible de planter des arbres dans les cultures. Non seulement cela se fait déjà, mais les bienfaits sont souvent étonnants et très divers.
Il existe déjà quelques systèmes agroforestiers au Luxembourg, par exemple à Differdange, Asselborn, Fouhren ou Remich. Mais c’est pour promouvoir davantage ce type d’idées que le parc naturel de l’Our a lancé en 2022 un projet pilote pour convaincre les agriculteurs locaux de tenter l’expérience.
«Grâce au soutien du Fonds pour la protection de l’environnement porté par le ministère de l’Environnement, il est possible de mettre en place différents projets d’agroforesterie sur le territoire du COPIL Éislek Natura 2000, souligne Lisa Zenners, qui gère le projet pour le parc naturel. Toutes les parcelles qui participeront au projet seront ensuite étudiées et leur évolution sera analysée.
Protégées par 20 000 saules
Le premier à participer au projet est Frank Miller, de la Biohaff Miller-Mariany à Bastendorf. Cette fois, il n’est pas question de moutarde (l’épouse de Frank, Elisabeth, en produit d’aussi excellentes que naturelles), mais de poules, dont les œufs sont vendus dans la petite boutique
attenante ou chez Bio-Ovo.
D’ici quelques semaines, les saules seront suffisamment hauts pour servir de protection aux poules
«Jusque-là, les poules étaient protégées par un filet quand elles étaient à l’extérieur, mais Frank souhaitait une protection plus naturelle, explique Lisa Zenners. Nous sommes allés en Belgique visiter une exploitation qui a déjà mis en place un système d’agroforesterie dans son enclos à poules et Frank a été convaincu. »
Le vendredi 10 mai, une entreprise venue de Belgique a donc planté autour de 20 000 boutures de saules à croissance rapide sur ce terrain de 1,5 hectare dédié aux poules. «Grâce à cette densité, d’ici quelques semaines, ils seront suffisamment hauts pour servir de premières lignes pour la protection des poules», avance la responsable du projet.
Autre avantage de ce système, il fournit beaucoup d’ombre, ce qui est évidemment très utile. La température au sol peut ainsi baisser de plusieurs degrés en période de forte chaleur. C’est là un autre aspect positif de l’agroforesterie, qui permet de créer des microclimats salutaires
en période de changement climatique.
À la Biohaff Miller-Mariany, c’est le principe du taillis à courte rotation qui a été retenu. Tous les saules peuvent être coupés à ras tous les deux ans et les copeaux obtenus seront mélangés au fumier des poules afin d’obtenir un engrais.
Lisa Zenners, qui a intégré les équipes du parc naturel de l’Our l’année dernière, se démène pour convaincre rapidement d’autres agriculteurs, car le projet pilote devrait être clôturé en 2026, ce qui ne laisse pas beaucoup de temps. Plusieurs ont déjà répondu à l’appel, deux pour planter des vergers classiques, un autre pour créer des rangées d’arbres au milieu de champs et la liste devrait encore s’allonger. «Je suis là pour faire de la sensibilisation à l’agroforesterie et donner des informations aux agriculteurs, leur présenter les différents systèmes d’agroforesterie, planifier les plantations, choisir les essences, les pépiniéristes, commander les plants…», un service aux petits soins!
Rentable, vraiment?
On peut avoir du mal à concevoir que planter des arbres dans des champs puisse être intéressant financièrement. Et pourtant, c’est le cas. En calculant les espacements pour permettre le passage des machines, on ne perd que de 2 à 8 % de la surface de production. Ce manque à gagner peut être comblé par les revenus supplémentaires apportés par les arbres : vente de fruits, de bois énergie ou de bois d’œuvre. En cas d’élevage, il est démontré que dans la plupart des cas, l’amélioration du bien-être animal (les arbres protègent des précipitations ou du soleil) favorise la productivité. Tandis que pour les cultures, la hausse de la qualité de la structure du sol permet une meilleure rétention de l’eau et donc des économies d’irrigation.
Ces arguments ne proviennent pas de lobbyistes verts, mais du site web des chambres d’agriculture françaises, pas forcément les plus grands militants écolos qui soient. Il conclut l’article ainsi : «Dans la plupart des cas connus, la marge brute [des agriculteurs] est améliorée.»
Carte d’identité
Nom : Lisa Zenners
Âge : 23 ans
Fonction : Responsable du projet pilote sur l’agroforesterie et du projet «D’Naturparken zu Lëtzebuerg – een Insekteräich» au parc naturel de l’Our.
Profil : Lisa Zenners a grandi dans une ferme agricole à Landscheid, près de Vianden, puis a suivi des études en sciences agronomiques à l’université de Bonn. Le thème de son mémoire de bachelor portait précisément sur l’agroforesterie. Elle a rejoint le parc naturel de l’Our l’an dernier.