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[Gardiens de la nature] «Le parc naturel apporte une plus-value à nos produits»


Depuis le petit village de Kalborn, dans la commune de Clervaux, Norbert Eilenbecker et ses associés sont parvenus à transformer les contraintes de l’activité agricole dans un parc naturel en opportunités. (photo Erwan Nonet)

La marque Ourdaller vient de fêter sa 25e année. Portée par l’association de six agriculteurs du parc naturel de l’Our, elle élabore des produits de niche à partir de cultures vertueuses.

Retrouvez nos précédents articles sur les «Gardiens de la nature»

Norbert Eilenbecker et ses collègues de l’association Bauereninitiativ fir d’Eisleck an den Naturpark Our (Initiative des agriculteurs pour l’Éislek et le parc naturel de l’Our), fondateurs de la marque Ourdaller, peuvent se vanter d’avoir lancé il y a 30 ans un concept qui se trouve toujours aujourd’hui au cœur de l’actualité.

Le 8 novembre, le Grand-Duc héritier venait célébrer sur place cet anniversaire et pas plus tard que mercredi dernier, c’est encore ici que la ministre de l’Agriculture, Martine Hansen, présentait le programme «Agri-Innovatioun», qui veut être un catalyseur de l’innovation et de la diversification des exploitations agricoles du pays, qu’elles soient agricoles ou viticoles (lire notre édition de jeudi). C’est en effet à Kalborn, chez Norbert Eilenbecker, que Corinne Kox lançait son nouveau projet d’élaboration d’huile de pépins de raisin.

Rembobinons. Plus de trois décennies plus tôt, au milieu des années 1990, la région de la vallée de l’Our entamait les prémices de la création du parc naturel qui serait établi en 2005 autour de treize communes (Heinerscheid, Hosingen, Putscheid, Vianden, Weiswampach, Bastendorf, Consthum, Fouhren, Hoscheid, Munshausen, Clervaux, Troisvierges et Wilwerwiltz). Lorsque l’on est fermier, une telle ambition pour sa région change les perspectives, et possiblement le sens même de son travail.

«Avec mon voisin de Kalborn et quatre autres agriculteurs dont les terres se situaient aussi dans l’emprise du futur parc naturel, nous avons décidé de nous regrouper pour anticiper la création du parc et trouver des solutions pour poursuivre notre activité.»

La première étape s’est concrétisée sous la forme d’un projet Leader qui a permis de développer pour la première fois au Luxembourg la culture du chanvre qui venait tout juste d’être autorisée par l’État (1995).

Dans le contexte particulier d’un parc naturel, le chanvre est une plante idéale : grâce à sa croissance rapide, elle nettoie le sol et dispense du désherbage, mais elle est également insensible à la plupart des maladies et n’attire pas les ravageurs. En somme, elle n’a besoin d’aucun produit chimique pour pousser.

Pavot, sarrasin, chanvre, lin, moutarde…

«Pour les agriculteurs, travailler dans un parc naturel restreint le nombre de possibilités, mais apporte aussi une plus-value pour nos produits, surtout ceux que l’on transforme et commercialise nous-mêmes», souligne Norbert Eilenbecker. Les six agriculteurs se lancent alors dans la production d’huiles issues de tournesol, de colza, de lin, de chanvre et, plus tard, de pavot.

«Elles sont pressées à froid et uniquement élaborées à partir de plantes qui poussent dans nos champs, ce qui garantit une traçabilité parfaite et une matière première de grande qualité», explique le président de la Bauereninitiativ, en faisant le tour des installations qui sont réparties à plusieurs endroits de la ferme.

Les associés travaillent tous ensemble environ 120 hectares de culture ans lesquelles ils respectent les règles d’une agriculture intégrée et réduisent au strict minimum l’usage de produits chimiques. Ils élaborent ces huiles, mais ils produisent aussi de la farine (sarrasin, chanvre, lin), des graines (pavot, sarrasin, chanvre, lin, moutarde), mais aussi des moutardes (classique, à l’ancienne, à la bière, à l’estragon, à l’ail et douce), des pâtes (au sarrasin ou végane et sans gluten), du miel (grâce à 25 apiculteurs membres de la coopérative) et des alcools (liqueur à la bière, Hünnegdrëpp et bière en collaboration avec la brasserie Simon).

Toutes les récoltes ne sont pas immédiatement transformées, un stock de graines est par exemple constitué afin de pouvoir continuer à produire de l’huile toute l’année, y compris en cas de récolte médiocre. «Cette année est un bon exemple, souffle Norbert Eilenbecker. Elle restera comme la plus mauvaise depuis la création des produits Ourdaller. Il a beaucoup plu dès les semis de printemps et l’humidité a apporté beaucoup de champignons… Pour certaines cultures, notamment la moutarde, ça a été difficile.»

C’est ainsi que, petit à petit, la marque Ourdaller s’est imposée comme une référence pour les produits dérivés d’une agriculture saine et respectueuse de l’environnement au Luxembourg. «Plutôt que les gros volumes, c’est la diversification qui nous intéresse, soutient Norbert Eilenbecker. Nous aurions pu choisir de produire beaucoup plus d’huile, il y a eu la demande pour cela après le début de la guerre en Ukraine par exemple, mais ce n’est pas un modèle qui nous convient. Nous préférons développer des produits de niche qui ne font pas concurrence avec les grands acteurs du marché au Luxembourg. Et ça marche !»

La grande question du moment est celle du passage de témoin. Norbert Eilenbecker a beau être en pleine forme et «toujours heureux de se réveiller en se disant qu’une journée de travail (l’)attend», ses collègues de la coopérative sont tous plus ou moins de la même génération et la transmission d’une telle infrastructure doit se préparer en amont.

«Ceux qui vont nous succéder devront trouver de nouveaux produits, poursuivre les investissements dans les machines, mais aussi dans la communication : produire est une chose, mais vendre en est une autre !» La voie, en tout cas, est toute tracée.

Plutôt que des gros volumes, nous préférons développer des produits de niche

Et si l’avenir du chanvre était radieux ?

Le premier projet mené par les six agriculteurs de la vallée de l’Our était la culture du chanvre, notamment pour la production d’huile. Depuis 2013, Norbert Eilenbecker et son confrère André Steinmetz ont développé ce créneau en créant la marque Cannad’Our.

Ils produisent des infusions (chanvre, chanvre-fenouil, chanvre-verveine et chanvre-ortie), une excellente bière (Ourdaller Hanna) dont le malt s’acoquine avec des fleurs et des feuilles de chanvre, mais aussi des produits cosmétiques avec une crème pour la peau, «très efficace contre les piqures d’insectes», et bientôt un nouvel onguent pour soulager les douleurs articulaires.

«Nous l’avons testé et ses effets sont vraiment positifs.» Ces antidouleurs comportent moins de 1 % de CBD, le principe actif du cannabis.

Pour élaborer ces produits, Norbert Eilenbecker et André Steinmetz ont fondé un laboratoire d’où ils extraient les cannabinoïdes du chanvre qui poussent dans leurs champs.

«Nous produisons du CBD en spectre complet, c’est-à-dire qui possède toutes les vertus de la plante. Nous en tirons un extrait d’alcool très pur, de bien meilleure qualité que ceux utilisés dans l’industrie qui sont obtenus par pression sur les fleurs. Le résultat n’a vraiment rien à voir.»

La popularité croissante de ces produits, qui dépasse les frontières du pays, est la preuve du succès de l’opération.

Carte d’identité

Nom : Norbert Eilenbecker

Âge : 73 ans

Fonction : président de la Bauereninitiativ fir d’Eisleck an den Naturpark Our, fondateur et actionnaire de la société Cannad’Our

Profil : Norbert Eilenbecker a pris la succession de ses parents dans la ferme familiale qui est désormais entre les mains de son neveu, Jean-Pierre Eilenbecker. Vers 2010, il cesse l’élevage (60 vaches laitières) pour se concentrer sur la culture des plantes qui seront transformées par la Bauereninitiativ afin d’être vendues sous les marques Ourdaller et Cannad’Our.