À une semaine de l’assemblée générale de natur&ëmwelt, sa directrice Claudine Felten s’inquiète d’une ambiance générale loin d’être propice pour la protectrice de la nature. Elle en rappelle les enjeux.
Début février, vous avez interpellé le gouvernement à propos du projet de modification de la loi sur la protection de la nature et des ressources naturelles. En quoi ce projet vous inquiète-t-il ?
Claudine Felten : Il s’inscrit dans le cadre du « Méi bauen, Méi Schnell », qui était un slogan de campagne (NDLR : du CSV). C’est compréhensible, le logement est une des grandes problématiques au Luxembourg et on ne peut pas nier que les délais pour obtenir toutes les autorisations étaient parfois trop longs. Ceci dit, dans la plupart des cas, il n’y avait pas vraiment de problème. Mais nous savons tous que la nature est en mauvais état au Luxembourg et qu’il serait donc important de la protéger encore plus. Nous considérons que ce projet ne résoudra pas, de toute façon, le problème du logement.
Avez-vous connaissance de cas où les autorisations environnementales ont bloqué des projets de logements ?
Je ne connais pas vraiment d’exemples concrets. Je ne pense pas que ces autorisations aient gêné beaucoup de projets de construction. En plus, il y a toujours la possibilité de compenser des renaturations ailleurs en cas de destruction de biotopes. Il y a aussi la possibilité d’inclure la nature dans de nouveaux projets, par exemple avec notre tout nouveau projet « Urban Birds ». Il permet de collaborer avec les constructeurs et les promoteurs pour inclure des nichoirs dans les nouveaux bâtiments. Il y a des solutions. Nous allons également bientôt lancer le projet Naturreseau, qui fédèrera des propriétaires privés qui agiront pour que leurs jardins ou leurs balcons soient accueillants pour la biodiversité. Cela permettra de faire le lien entre les zones protégées, les grands espaces naturels et les zones urbaines.

Si vous cherchez à développer ce type de projet communautaire à l’échelle du citoyen, est-ce parce que vous sentez qu’il y a moins d’implication au niveau au-dessus, à l’échelle nationale ?
Actuellement, nous avons quand même toujours des lois qui sont valables et elles ne seront pas abolies demain. Mais nous nous posons quand même des questions, tant au niveau national qu’international. Il ne faut pas oublier que nos acquis sont le fruit de la lutte des anciens. Nous devons tout à leur engagement. Et là, maintenant, on voit un peu partout que l’on essaie de grignoter sur les lois, sur les zones protégées, sur les programmes de conservation de la nature, y compris au niveau européen. Si l’on implique les citoyens, c’est aussi parce que l’on pourra toujours protéger l’espace privé. Personne ne peut rien contre quelqu’un qui veut garder son petit coin de nature. C’est déjà le propos de la Fondation natur&ëmwelt qui achète des terrains pour les protéger. On voit aux États-Unis, les parcs nationaux et les zones protégées peuvent ne plus rien valoir si un président le décide… Je ne veux pas comparer avec le Luxembourg, nous en sommes très loin, mais soyons vigilants.
La crise de la biodiversité et la crise de la climatique ne vont pas disparaître si on les ignore
Lorsque l’on regarde le monde, n’est-ce pas déprimant, en ce moment, de vouer ses efforts à la protection de la nature ?
Oui, bien sûr. On voit que la protection de l’environnement passe après beaucoup de choses. Nous comprenons aussi que le logement soit une priorité, que la guerre en Ukraine et les perturbations politiques mondiales soient des sujets d’extrême importance. Ce sont des problèmes qui sont plus visibles. Mais il faut aussi se rendre compte que la crise de la biodiversité et la crise de la climatique ne vont pas disparaître si on les ignore. Le réarmement de l’Europe est compréhensible, mais la protection de la nature est également très importante. Des rumeurs parlent de budgets en forte baisse, notamment pour les projets européens Life. On ne sait même pas si ce programme sera maintenu. Ce serait une très mauvaise nouvelle. Le lobby de la protection de la nature ne fait malheureusement pas le poids…
Les citoyens qui se sentent concernés par l’environnement doivent donc plus que jamais s’engager…
Oui! En ce moment, nous voyons que tout va un peu à l’envers et je pense que la société civile doit s’impliquer plus, agir plus, parler plus fort. Elle doit exprimer son intérêt pour la protection de la nature, c’est comme cela que l’on va influencer la politique.
Regrouper les citoyens, c’est aussi le rôle de natur&ëmwelt.
Bien sûr. Nous sommes l’une des plus anciennes associations pour la conservation et la protection de la nature au Luxembourg, et aussi la plus grande. Nous comptons entre 9 000 et 10 000 membres, mais malheureusement, ce chiffre a tendance à baisser. Il y a une vingtaine d’années, nous étions 13 000. Nous devons réussir ce changement de génération au niveau de l’association et des sections locales. C’est aussi en montrant notre engagement et nos réalisations en faveur de la conservation de la nature que nous emmènerons davantage de gens avec nous.
Pas question que l’on nous utilise pour faire du greenwashing !
Moins d’adhérents, cela signifie aussi moins de ressources financières ?
C’est vrai. Nous avons aussi dû augmenter les cotisations, mais elles étaient restées à un niveau très bas depuis des années. Aujourd’hui, être membre coûte 48 euros par an, quatre euros par mois, ce qui demeure très raisonnable, je crois.
Quelles sont vos autres sources de financement ?
Nous avons une convention avec le ministère de l’Environnement, mais elle n’a pas été augmentée depuis très longtemps, malgré l’inflation et tous les index. Cela nous met dans une situation financière un peu difficile, parce que nous avons toujours plus de travail. L’année dernière, nous avons par exemple reçu plus de 2 000 demandes pour des conseils nature. Cela mobilise une personne à temps plein. À l’époque où la convention a été signée, c’était moitié moins.
Faites-vous appel au mécénat ?
Nous commençons, mais nous n’acceptons pas tout le monde. Pas question que l’on nous utilise pour faire du greenwashing! Nous avons par exemple un partenariat intéressant avec LaLux, avec qui nous menons des actions de sensibilisation par exemple.
Carte d’identité
Nom : Claudine Felten
Fonction : directrice de natur&ëmwelt
Profil : Elle a obtenu son diplôme d’ingénieure forestière à l’université de Freibourg avant d’intégrer natur&ëmwelt en 2001. Elle en est devenue la directrice en 2022.