Dans le Sud, la nature est d’une richesse incroyable. Mais c’est parce que l’ANF ne ménage pas ses efforts que les anciennes minières font partie des biotopes les plus passionnants du pays.
Nom : Jan Herr
Âge : 45 ans
Poste : Gestionnaire Natura 2000 et animateur du Comité de pilotage des anciens sites miniers.
Profil : Après avoir étudié la zoologie en Écosse, Jan Herr a obtenu son master à la State University of New York à Syracuse (État de New York) et son doctorat à Brighton (Royaume-Uni). Son cursus l’a amené à s’intéresser particulièrement aux mammifères, notamment le castor et la fouine. Il a rejoint l’ANF à l’issue de ses études en 2009 et a pris son poste actuel en 2018.
Si, à l’orée du XXe siècle, on avait dit aux mineurs et aux ouvriers de la sidérurgie que 100 ans plus tard, le sud du Luxembourg serait verdoyant et accueillerait une incroyable biodiversité, ils auraient sans doute rigolé un bon coup ! Et pourtant, c’est le cas dans les réserves situées entre Pétange et Dudelange (Prenzebierg, Kiemerchen, Léiffrächen, Lalléngerbierg et Haard).
Prenons l’exemple de la Haard, une réserve Natura 2000 de 660 hectares à cheval sur les communes de Dudelange, Kayl-Tétange et Rumelange, où 90 % de la superficie est classée en tant que zone protégée d’intérêt national. Cette qualification stricte interdit l’usage de pesticides, d’engrais et la circulation sous toutes ses formes en dehors des chemins balisés. S’il faut y tenir ses chiens en laisse, ce n’est pas pour ennuyer leurs maîtres, mais notamment parce que des oiseaux très rares comme l’alouette lulu (ça ne s’invente pas !) nichent au sol et sont donc extrêmement fragiles. On parle là d’une poignée de couples seulement, tout accident serait dès lors une catastrophe pour le maintien d’une des espèces les plus en danger du pays.
Conserver cette diversité biologique est une mission scientifique qui requiert une grande précision tant l’harmonie est fragile. L’équilibre ne tient qu’au fil tendu par le travail continu des employés de l’ANF. Cette richesse assez incroyable lorsque l’on pense au paysage nu et aride d’il y a cinq décennies n’est due qu’aux plans de gestion stricts conçus et mis en œuvre par l’administration de la Nature et des Forêts.
Freiner la nature
Le gestionnaire Natura 2000 et l’animateur du Comité de pilotage des anciens sites miniers est le biologiste Jan Herr. «Si on la laisse faire, la nature revient si rapidement que, par endroits, il est nécessaire de la freiner pour maintenir cette biodiversité, explique-t-il. Sans interventions, les pelouses sèches se transforment vite en taillis où apparaîtront bientôt les premiers conifères, saules et bouleaux qui créeront en quelques décennies seulement une nouvelle forêt. Ce sont des biotopes intéressants, mais ils existent déjà dans la zone Natura 2000 et ils sont beaucoup moins riches écologiquement.»
C’est pourquoi les plans de gestion nécessitent parfois des actions que les visiteurs non informés pourraient mal interpréter. Lorsque la nature reprend trop vite, il faut ainsi débroussailler et même racler la fine couche d’humus qui s’est créée. «Quand les sols sont riches, quelques plantes à la croissance rapide exploitent aussitôt toutes les ressources et prennent le dessus sur les autres espèces, explique Jan Herr. Dans les sols pauvres, au contraire, le développement de toutes les plantes est ralenti et aucune ne deviendra hégémonique. Cela laissera davantage de place à une plus grande variété d’espèces.»
Dès l’année qui suit les travaux, beaucoup de fleurs différentes apparaissent parce que les graines bloquées par les grandes herbes peuvent enfin germer. Et après deux ans, les opérations deviennent invisibles.
Pour limiter le désherbage mécanique, l’ANF organise une solution 100 % écologique. Lors de vos promenades dans la Haard, vous avez peut-être déjà observé un troupeau de moutons roux ardennais et de chèvres fort de 700 têtes. «Les moutons mangent les herbes, alors que la végétation plus ligneuse est appréciée par les chèvres, souligne Jan Herr. Ce débroussaillage naturel est très efficace.» Jan Herr définit précisément les trajets du troupeau pour que, par exemple, les bêtes ne viennent pas manger toutes les orchidées en fleurs. Il en existe ici pas moins de 29 sortes, toutes protégées.
Si la Haard appartient à l’État, certaines de ces zones protégées appartiennent parfois à ArcelorMittal, comme le Lalléngerbierg et Kiemerchen. Cette situation est plutôt une aubaine pour l’ANF. «Nous sommes liés avec une convention pour l’entretien de 160 hectares de pelouses sèches, de falaises et autres biotopes ouverts et il n’y a jamais de problèmes entre nous, assure Jan Herr. ArcelorMittal nous laisse la main libre pour les plans de gestion Natura 2000. Nous nous rassemblons une fois par an pour présenter nos objectifs et les moyens dont nous avons besoin et cette réunion est toujours cordiale. Finalement, ce partenariat est beaucoup plus simple que dans de nombreux autres lieux où il faut négocier avec beaucoup plus de propriétaires.»
Un exemple? Le moyen de protéger les chauves-souris, dont toutes les espèces sont plus ou moins menacées au Luxembourg. La diversité des topographies due à l’exploitation des minières leur offre aujourd’hui des conditions qu’elles adorent. Les failles et les anciennes galeries sont idéales pour hiberner l’hiver, quand, le reste de l’année, les lisières de forêts et les pelouses sèches sont les lieux de chasse nocturnes privilégiés des murins de Bechstein, des grands murins et des grands rhinolophes, les trois espèces repérées dans ce secteur.
Un plan de gestion spécifique permet de conserver les galeries accessibles aux chiroptères (mais fermées aux hommes), les arbres creux ou les îlots de vieux feuillus. Des allées d’arbres, des bosquets et des vergers sont aménagés, car ce sont des éléments de liaison qui facilitent leurs déplacements entre les lieux de chasse, de repos et de reproduction.
L’abandon des minières, si traumatisant qu’il ait été pour le pays et la part importante de la population qui s’y est investie, a donc été une aubaine pour la nature et la biodiversité. Citons un nouvel exemple, 70 des 80 espèces de papillons recensées au Luxembourg vivent aujourd’hui dans ces anciens sites miniers.
Mais, on l’aura compris, cette biodiversité est le fruit d’un travail tout aussi réfléchi qu’il est de longue haleine. Si on peut la détruire en une fraction de seconde, reconstruire la nature prend du temps et l’entretenir est l’affaire de générations. Mais à présent, qui peut dire que se promener dans cette Haard aux paysages multiples et à la biodiversité qui croît chaque année ne vaut pas le prix de tous ces efforts?
Les forêts sont beaucoup moins riches écologiquement
La Minett est la région du fer, matériau recherché par les hommes depuis la protohistoire, où le riche minerai de fer pisolithique était exploité à ciel ouvert. Lorsque celui-ci a été épuisé, c’est la minette, moins dense en fer, qui a été recherchée dès le milieu du XIXe siècle. Cette activité est devenue industrielle à partir de 1879, date de l’invention du «procédé Thomas», qui, en éliminant le phosphore de la fonte brute, a permis l’obtention d’un acier de haute qualité. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’extraction se faisait majoritairement à la main. Mais après le conflit, les machines, plus efficaces que les bras, se sont imposées. Elles ont considérablement modifié la topographie, créant grands fronts de carrières, ravins et terrils. La fin de l’exploitation des anciens sites miniers date de 1978. Pratiquement tous les éléments du paysage ont ici été façonnés par l’Homme. Les carrières ont été remblayées par la terre excavée lors de la construction de la collectrice du Sud et les plateaux sont des amas des résidus de la sidérurgie (le laitier).