Comment allier agriculture et respect de la qualité de l’eau ? C’est la mission de Martine Stoll, coordinatrice de la coopération LAKU, qui œuvre dans le Parc naturel de la Haute-Sûre.
Carte d’identité
Nom : Martine Stoll
Âge : 35 ans
Poste : Coordinatrice de la coopérative LAKU
Profil : Après avoir obtenu un bachelor en Sciences de l’Environnement à Edimburgh (Écosse) et un master en Gestion du sol et de l’eau à Uppsala (Suède), Martine Stoll a été assistante dans un lycée pendant un mois avant d’être embauchée à son poste actuel, par le Parc naturel de la Haute-Sûre.
Le lac d’Esch-sur-Sûre est la réserve d’eau potable la plus importante du pays. Grâce au barrage inauguré en 1959, il alimente chaque jour la moitié de la population, et pourrait assurer 90 % des besoins en cas de nécessité. La qualité de son eau est donc primordiale, d’intérêt public. Pour le préserver, une nouvelle aire de protection de 15 476 ha a été définie en 2021 à l’intérieur du Parc naturel de la Haute-Sûre, fondé lui en 1989 en grande partie pour ce même objectif. Ce n’est qu’une partie des 428 km² du bassin de la Sûre (situé dans les deux tiers en Belgique), mais le parc permet de soutenir les efforts de tous ceux qui vivent et travaillent côté luxembourgeois et parmi eux, les agriculteurs.
On le sait, même si elle n’est pas la seule concernée, l’activité agricole induit des risques de pollutions des eaux souterraines, comme de surface. Les produits phytosanitaires (dont les pesticides) et les nutriments sont principalement en cause. Or, dans l’emprise des zones de protection de l’eau, 6 771 ha de surface agricole sont en production.
Pour mettre en place un cadre efficace permettant d’accompagner les agriculteurs dans la mise en place de pratiques écologiques vertueuses sans altérer la rentabilité économique des exploitations, le Sebes (Syndicat des eaux du barrage d’Esch-sur-Sûre), le parc naturel de la Haute-Sûre (Naturpark Öewersauer) et des agriculteurs volontaires participant au groupe de travail « Agriculture » du contrat de rivière de la Haute-Sûre ont créé en 2015 la LAKU (Landwirtschaftlech Kooperatioun Öewersauer).
96 membres, 78 % des surfaces
Arrivée pratiquement au début de la création de l’organisme, Martine Stoll en est la coordinatrice. « Notre mission principale est de conseiller les agriculteurs membres en mettant en place avec eux les programmes de mesures les mieux appropriés à leur ferme, souligne-t-elle. Il s’agit vraiment de propositions à la carte, parce que chaque exploitation est unique. Les solutions fonctionnant pour une ne sont pas toujours transposables à une autre. Chaque exploitation a ses spécificités qu’il est impératif de prendre en compte. » Trouver les procédés pour utiliser moins de fertilisants et moins de produits phytosanitaires permet de gagner sur tous les tableaux, l’environnemental comme l’économique. « Il s’agit souvent de trouver des combinaisons de mesures, l’une renforçant l’autre », avance-t-elle.
Les principales clés sont la maîtrise au plus juste des quantités d’intrants et l’utilisation des meilleurs outils, aux meilleurs moments. Pour la première, la LAKU a notamment créé une application disponible pour tous ses membres. Elle permet d’afficher les plans de fumure pour la fertilisation optimale de chaque champ, mais aussi d’inscrire tous les autres intrants, parcelle par parcelle. L’application avertit également l’utilisateur lorsqu’une action qu’il prévoit d’entreprendre est interdite, soumise à autorisation ou liée à des conditions du règlement grand-ducal concernant la zone de protection.
Quant aux outils, la coordinatrice et ses trois collègues se tiennent constamment au courant des progrès réalisés par les fabricants. Ainsi, sur leur conseil, l’agriculteur Claude Majerus (du village de Mecher) a pu investir dans une machine qui permet d’éliminer avec une grande précision la coriace oseille crépue (rumex). Attaché derrière le tracteur, l’appareil repère les pousses de rumex et grâce à des caméras infrarouges, des buses vont les cibler avec une grande précision. Grâce à ce système, l’agriculteur économise jusqu’à 95 % d’herbicide. Cet achat onéreux a été rendu possible grâce au subside versé par la LAKU pour son utilisation. Puisque plus la machine est utilisée et plus son propriétaire est subventionné, Claude Majerus la met à disposition de ces collègues.
L’adhésion à la LAKU est gratuite pour les agriculteurs. Aujourd’hui, elle compte 96 exploitations membres, ce qui représente 78 % de la surface en production. « Ce chiffre croît régulièrement, deux nouveaux adhérents nous ont d’ailleurs déjà rejoints cette année », se félicite Martine Stoll. Quant à ceux qui restent en dehors, ce sont le plus souvent des agriculteurs qui ne disposent que d’une petite partie de leurs terres dans la zone de protection.
Et ce n’est pas parce que la nature est endormie que la saison hivernale est de tout repos pour la LAKU. « En novembre et en février, par exemple, nous réalisons des prélèvements de sol dans des parcelles références, indique-t-elle. Ces analyses nous permettent d’avoir une vision à plus long terme sur l’impact des méthodes utilisées. » Le volet administratif occupe également une grande place dans le calendrier de cette saison. Outre les rapports à rédiger, la période est propice à l’organisation de réunions avec l’ensemble des partenaires.
La LAKU est l’exemple le plus abouti d’une coopération reliant des scientifiques et des agriculteurs au Luxembourg. Quelques autres ont été créées récemment dans d’autres parcs naturels (DEA – Distribution d’eau des Ardennes, Parc naturel et Géoparc Müllerthal), mais elles ne disposent pas encore des mêmes moyens.
Clin d’œil de l’histoire, Martine Stoll relève qu’une récente étude propose de miser sur les plantations de chanvre autour du lac, notamment en vue d’utiliser la fibre de chanvre, par exemple pour le tisser. Or, le siège du Parc naturel de la Haute-Sûre se trouve dans une ancienne draperie, dont les machines travaillent encore de la laine au pied du barrage. « Aucun parasite ne s’attaque sévèrement au chanvre au point de devoir le traiter, il suffit juste de lui donner d’un peu de nutriment. Et comme il pousse vite, il ne souffre pas de la concurrence avec des mauvaises herbes, avance-t-elle. Le chanvre est utile pour la production de tissu, mais aussi d’isolant pour la construction. Mais avant d’en planter, il faudrait mettre en place une filière pour le transformer. Des recherches sont en cours pour déterminer si, à l’échelle de la Grande Région, un marché pourrait se créer. » La LAKU ne manque pas d’idées!
Le bio serait-il la solution ?
En matière d’agriculture, il faut parfois se méfier des pensées trop simples. Oui, c’est une évidence, le bio est plus vertueux pour la préservation de l’environnement que le conventionnel. Mais cette assertion ne vaut que lorsque l’agriculteur est consciencieux, qu’il exerce son métier avec sérieux et application. Quand ce n’est pas le cas, c’est plus complexe.
«Si un agriculteur bio, par exemple, ne réalise pas assez de rotations dans ses cultures, il va avoir beaucoup de mauvaises herbes, ce qui impactera ses rendements, explique Martine Stoll. Non seulement, cela pourra mettre son exploitation en péril parce qu’il gagnera moins d’argent, mais ses mauvaises herbes pourront aller chez les voisins qui devront utiliser des produits pour s’en défaire.» En somme, pour la nature, mieux vaut un exploitant conventionnel soigneux qu’un bio je-m’en-foutiste.
À l’intérieur de la zone de protection de l’eau du lac d’Esch-sur-Sûre, environ 8 % des parcelles agricoles sont bios. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est déjà davantage que la moyenne nationale, 6,9 % (juillet 2023). En 2025, les objectifs européens de 20 % des surfaces converties au bio seront donc loin d’être atteints.