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[Gardiens de la nature] Gel : la nature plus forte que les vignerons


Ce sont les vignes situées au nord de la Moselle qui ont été gelées le plus durement. Mais certaines parcelles l’ont également été partout ailleurs… (Photos : erwan nonet)

Les températures négatives ont frappé le pays deux nuits de suite à la mi-avril. Les dégâts sont importants, plus d’un quart du vignoble est touché. Et les moyens de lutter sont assez vains…

Le président des Domaines Vinsmoselle le reconnaît, «les dégâts sont encore plus importants que ce que l’on croyait quelques jours après la vague de gel. Je pense que 25 à 30 % de la Moselle sont durement touchés». Toute la région a souffert, même si c’est dans le nord (Grevenmacher, Mertert, Wasserbillig…) que les pertes ont été les plus conséquentes. «Sur le Roudebierg (NDLR : un vaste lieu-dit de Mertert), il n’y a pratiquement plus rien», souffle le président de la coopérative.

Ailleurs, les dégâts sont très variables. Dans un même village, certaines parcelles sont intactes, tandis que d’autres sont anéanties. Il est toujours difficile de comprendre cette mécanique, où la topographie, le sens du vent et la durée des températures négatives apportent d’importantes variations.

Une année précoce

Le dérèglement climatique qui provoque le réveil de la vigne plus tôt qu’auparavant est pointé du doigt. Plus la vigne verdit en avance et plus elle craindra longtemps les dernières gelées de l’année. Sur le calendrier, les saints de glace sont placés les 10, 11 et 12 mai.

Or, contrairement à ce que l’on pourrait ressentir, cette année est très précoce. «Le débourrement (NDLR : la sortie des bourgeons) a commencé il y a un gros mois, avec trois semaines d’avance, relève Josy Gloden. C’était bien parti, le sol était plein d’eau, il suffisait d’un peu de chaleur et de lumière. Mais avec les deux semaines de froid qui ont suivi, la vigne a complètement stoppé sa croissance. Aujourd’hui, nous gardons tout de même une semaine de précocité.»

Les assurances subventionnées à 65 %

Ce climat devenu de plus en plus imprévisible pose de sacrés soucis aux vignerons. «Nous ressentons déjà le changement et nous discutons régulièrement de la meilleure façon de nous y préparer, explique Aender Mehlen, le directeur de Vinsmoselle. La difficulté réside dans les variations extrêmes du climat. Une année, nous aurions besoin de vignes qui bourgeonnent plus tard à cause du gel; la suivante, de vignes qui ne rencontrent aucun problème de stress hydrique et de chaleur, et l’année d’après, de variétés résistantes aux maladies fongiques, capables de faire face à l’humidité.» Ce qu’énumère ici Aender Mehlen, ce sont les aléas des années précédentes, au cours desquelles les vignerons n’ont effectivement pas été gâtés.

Mais le dérèglement climatique est-il la cause de tous ces maux? «Dans le fond, il n’est pas clair qu’il augmente le risque de gelées tardives dans les régions viticoles septentrionales, souligne Serge Fischer, le directeur de l’Institut viti-vinicole, l’antenne du ministère de l’Agriculture et de la Viticulture basée à Remich. Il y a quelques années, les scientifiques pensaient même que l’effet du réchauffement diminuerait le risque des gelées.» Les dégâts causés par le gel sont, c’est vrai, loin d’être nouveaux. Pour autant, le Luxembourg n’a pas été gâté ces dernières années : les années 2016, 2017 et 2019 ont toutes connu des épisodes de gel.

Mais que faire? À chaque fois, en France, on voit les vignerons placer des bougies dans leurs vignes pour tenter de faire monter la température. Il y a quinze jours, une fois de plus, ça n’a pas vraiment marché puisque les dégâts ont été sévères. «Installer des bougies, cela coûte entre 5 000 et 6 000 euros par hectare, précise Josy Gloden. Ça fait de belles photos la nuit, mais au final, ils ont les mêmes pertes que nous… cela ne fait pas de miracle. Et avec nos coteaux très souvent en pente, ce serait de toute façon très compliqué.»

Quoi qu’il en soit, cette méthode n’est pas autorisée au Luxembourg puisqu’elle détériore notablement la qualité de l’air. Le 8 avril 2021, un état de vigilance jaune pollution avait été déclaré dans le bassin lyonnais à cause des particules fines émises par les bougies et les feux allumés toute la nuit par les arboriculteurs et les viticulteurs. Au même moment, non loin de Nantes, Ouest-France rapportait que la fumée avait causé un accident de la route.

Globalement, au Luxembourg, assez peu de réflexions sont menées pour déterminer les actions qui permettraient de lutter contre le gel. Éoliennes mobiles, câbles chauffants pour fixer la vigne, souffleurs d’air chaud… Des solutions existent, mais elles ne sont pas utilisées au Luxembourg.

«L’effet de ces mesures contre le gel est très aléatoire et leur efficacité reste très limitée», indique Serge Fischer. «Toutes ces solutions coûtent tellement cher que ce ne serait pas rentable pour nous», confirme Josy Gloden. Sans compter leur consommation énergétique, loin d’être négligeable.

Les bougies dans la vigne, ça fait de belles photos la nuit, mais au final, ils ont les mêmes pertes que nous…

Quant à des stratégies à mettre en place sur les vignes elles-mêmes, comme tailler le plus tard possible pour repousser au maximum l’apparition des bourgeons, elles n’ont pas vraiment la cote non plus. «Nous ne faisons pas d’essais à ce sujet dans nos vignes expérimentales puisque les techniques sont connues et largement testées à l’étranger, notamment en Champagne», précise le directeur de l’IVV.

Plutôt que de dépenser beaucoup d’argent à chercher à contrer la nature, le Luxembourg a choisi une autre voie : celle de laisser la nature faire et de s’assurer contre les dégâts, lorsqu’ils surviennent. L’État prend en charge 65 % du montant des primes d’assurances, le maximum autorisé par l’Union européenne. Elles couvrent les risques climatiques (gel, tempêtes, grêle, verglas, excès d’eau, sècheresse, inondations, vagues de chaleur…), les maladies animales et les organismes nuisibles aux végétaux. La subvention est plafonnée, mais elle est suffisante pour être bien assuré.

Outre le fait qu’il soit accessible à toute la profession, ce système a le mérite de ne pas être une usine à gaz. Aujourd’hui, la quasi-totalité des vignerons luxembourgeois ont assuré au moins une partie de leur domaine à la Vereinigte Hagel, dont les experts sont des vignerons allemands spécialement formés qui connaissent leur travail.

Un manque à gagner important

Mais il y a quand même un problème. La multiplication des épisodes de gel, et donc des remboursements, implique une hausse régulière du montant des cotisations. Une franchise de 20 % a également été fixée, «s’il y a moins de 20 % de pertes dans la parcelle, on ne touche rien alors que le manque à gagner peut être important», assure Josy Gloden.

Aujourd’hui, même si les vignerons ne doivent payer que 35 % de leur assurance, cela représente une vraie somme. Et ce coût élevé n’incite pas à réfléchir à d’autres solutions ou à investir dans du matériel innovant de lutte contre le gel. «L’assurance étant très chère, investir en plus dans des techniques dont l’efficacité est très limitée n’est pas économiquement viable, conclut Serge Fischer. C’est un choix qu’il faut assumer.»

La question

Bien sûr, le montant est confidentiel et il est impossible de le connaître avec précision. Néanmoins, on sait que lors du gel de 2019, plusieurs millions d’euros avaient été alloués aux vignerons par les assurances. Un peu à l’image de la vague de gel qu’a connue la Moselle il y a quinze jours, toute la vallée avait été touchée, de Schengen à Wasserbillig.

À l’époque, le rendement annuel avait été inférieur de 30 % environ par rapport à une année normale. Les vignerons n’étaient d’ailleurs pas trop inquiets parce que le magnifique millésime 2018 avait rempli leurs caves à ras bord. En 2024, c’est moins le cas puisque les dernières années n’ont pas été sensationnelles (mildiou en 2023, sècheresse en 2022…).

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