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[Gardiens de la nature] «Étant donné le contexte actuel, il faut surtout s’en féliciter»


Tilly Metz espère que la voix des écologistes portera encore au Parlement européen, mais elle assure que les verts ne s’allieront pas sans condition. (photo archives Editpress)

Lundi dernier, le Conseil Environnement de l’Union européenne a validé in extremis la loi sur la restauration de la nature. Pour l’eurodéputée verte Tilly Metz, il s’agit d’un pas important dans la bonne direction.

C’est peu de dire que le parcours de la loi sur la restauration de la nature aura été chaotique, mais finalement, les ministres de l’Environnement des États membres réunis au Convention Center du Kirchberg le 17 juin ont fini par la voter, un peu à la surprise générale.

En effet, il fallait que 15 pays au minimum représentant au moins 65 % de la population de l’Union européenne donnent leur accord et ce n’est que grâce à la volte-face de la ministre autrichienne Leonore Gewessler que le quorum a pu être atteint avec 20 pays signataires et 66,7 % de la population représentés.

La Belgique, faute d’entente entre Flamands et Wallons, s’est abstenue, tandis que l’Italie, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, la Finlande et la Suède ont voté contre.

Le revirement décisif de Leonore Gewessler n’a pas fait que des heureux puisque le chancelier autrichien conservateur Karl Nehammer a annoncé vouloir porter plainte contre elle sous le prétexte qu’elle n’aurait pas respecté la ligne de la coalition dont elle fait partie. Tilly Metz, l’eurodéputé verte luxembourgeoise, est cependant confiante : «Même s’il déposait un recours en justice, ses chances de gagner sont très faibles : la ministre a pris les garanties nécessaires.»

Ces jeux de pouvoir semblent bien mesquins compte tenu des enjeux. Voilà quelques exemples pour dresser le cadre en Europe : plus de 70 % des sols sont en piètre condition, entrainant au passage une perte de production estimée à 1,25 milliard d’euros par an. Plus de 80 % des habitats naturels sont en mauvais état. La superficie des zones humides, où la biodiversité est très élevée, a été divisée par deux depuis 1970. Lors des dix dernières années, 71 % des espèces de poissons, 60 % des amphibiens et un tiers des abeilles et des papillons ont vu leurs populations décliner. La liste est encore longue…

Près de 20 % des terres et mers restaurées pour 2030

Grâce au vote de la loi, les États membres vont devoir mettre en place des outils et des programmes pour réparer la nature. «Le contenu est plus faible que ce que l’on voulait au départ, mais étant donné le contexte actuel, il faut surtout se féliciter qu’elle aille dans la bonne direction. D’autant que pour une fois, le Conseil «Environnement» a été plus ambitieux que le Parlement», souffle Tilly Metz. Effectivement, en juillet dernier, le Parlement l’avait voté, mais au prix du retrait de ses obligations et objectifs chiffrés. Finalement, le Conseil en a instauré et ils ne sont pas négligeables.

Les États devront restaurer 20 % des terres et mers de l’UE d’ici 2030, mais aussi 30 % des habitats en mauvais état dans les forêts, prairies, zones humides, rivières, lacs et fonds coralliens d’ici 2030, puis 60 % d’ici 2040 et enfin 90 % pour 2050. Une fois restauré, l’état de ces habitats devra être maintenu.

Les pays européens devront encore progresser dans deux de ces trois indicateurs : l’indice des papillons de prairies, la part de terre agricole avec des particularités topographiques accueillant une biodiversité riche et l’indicateur Oiseaux communs des milieux agricoles. Les tourbières, qui sont des capteurs de CO2 très efficaces, devront également être remises en état progressivement.

La loi prévoit aussi d’améliorer la situation de 25 000 km de cours d’eau à courant libre, de planter 3 milliards d’arbres ou encore d’empêcher la disparition d’espaces verts en ville.

Les gens doivent bien comprendre que cette loi n’est pas là pour les embêter, au contraire

Les agriculteurs ont toutefois obtenu la mise en place d’un frein d’urgence qui autorisera le Parlement à suspendre les objectifs s’ils entrainent une réduction importante de la superficie de terres cultivées.

«L’enjeu est de taille et les gens doivent bien comprendre que cette loi n’est pas là pour les embêter, au contraire, avance Tilly Metz. La restauration de la nature est un élément clé pour mieux gérer le réchauffement climatique, le poids des sècheresses ou les catastrophes causées par les inondations. Il s’agit d’un enjeu de sécurité, au sens large.»

Ce vote porteur d’espoir préfigurera-t-il les prochaines inclinaisons du Parlement? Avec sa recomposition depuis les dernières élections, rien n’est moins sûr, mais Tilly Metz promet de batailler. «Nous voulons bien poursuivre dans la coalition, mais pas à n’importe quel prix. Non seulement il faudra qu’elle défende l’écologie, mais aussi qu’elle soutienne des propositions socialement justes. Le Parlement européen a besoin d’une voix écologique forte.»

Et il est clair que ces inclinaisons écologiques et sociales ne seront pas portées par les nouveaux eurodéputés qui renforceront les bancs de l’extrême droite. «Ils se disent proches du peuple, mais il suffit de regarder leurs votes pour voir qu’ils agissent systématiquement contre lui, constate-t-elle. Ils sont toujours du côté des multinationales, ils coupent les aides sociales et c’est à cause d’eux que le green deal a été dilué. Nous devons faire l’effort de communiquer plus clairement pour que les électeurs comprennent bien à qui ils donnent leurs voix.»

La loi est-elle un défi pour le pays ?

Oui, assurément. Mais un défi que le ministre de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité a assuré relever. Le Luxembourg a fermement soutenu le texte et Serge Wilmes a expliqué que «la restauration de la nature est plus que jamais essentielle d’un point de vue environnemental, économique et sociétal.»

Pour autant, elle promet du travail parce que la nature, délaissée pendant longtemps, est loin d’être en bon état malgré les nombreux efforts entrepris dans la dernière décennie. «Les cours d’eau et les forêts sont dans un état désastreux, une grande majorité des sols sont de mauvaise qualité…, constate Tilly Metz. Nous faisons des efforts, mais il faut encore aller plus loin, notamment en réalisant davantage de monitorings précis pour mieux connaître l’état de la nature. Il faut être à l’écoute des gens de terrain, les comprendre et les soutenir, y compris financièrement.»