Alors que le gouvernement souhaite revenir sur un certain nombre de normes environnementales, natur&ëmwelt vient de publier une intéressante critique d’un projet de loi délétère pour la préservation des écosystèmes.
Le point de départ est simple : on construit trop peu de logements au Luxembourg. À tel point que si rien n’est fait et si la course en avant vers toujours plus de croissance économique du Grand-Duché est maintenue, un problème structurel apparaîtra. Plusieurs études récentes menées notamment par l’Observatoire du logement, la Fondation Idea ou l’Agence d’urbanisme et de développement durable Lorraine Nord (Agape) montrent que l’on en ressent déjà les prémices.
Le sujet est important et le gouvernement se devait d’apporter une réponse. Le premier coupable a vite été désigné : les règles qui protègent l’environnement et qui, de ce fait, interdisent de construire n’importe quoi, n’importe où.
Léon Gloden, le ministre des Affaires intérieures (CSV), Claude Meisch, le ministre du Logement (DP) et Serge Wilmes le ministre de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité (CSV) se sont réunis dès le 19 juin 2024 pour annoncer qu’ils allaient « supprimer les lourdeurs administratives là où elles n’apportent pas de valeur ajoutée à notre société et à notre qualité de vie ! L’énergie ainsi libérée sera investie dans les domaines prioritaires : la planification et la création de logements et d’espaces de vie attrayants », selon l’ancien bourgmestre de Grevenmacher. En clair, il s’agit de procéder à une modification de la loi du 18 juillet 2018 sur la protection de la nature et des ressources naturelles en l’argumentant par la simplification administrative.
Simple, simpliste
C’est simpliste. Le premier biais est de taille : aucune étude n’a jamais été réalisée à propos de l’impact de la réglementation environnementale sur la production de logements. Antoine Paccoud (Observatoire de l’habitat) et Antoine Decoville (Observatoire du développement spatial) indiquent que la thématique n’a jamais été abordée. Or les trois ministres n’ont jamais étayé leur postulat de départ par des faits.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas simplifier les procédures. Elles sont en effet trop complexes et les différentes administrations livrent régulièrement des avis contradictoires sur un même projet. Un travail de simplification est nécessaire. Toutefois, celle évoquée dans le cadre de la modification de la loi de la protection de la nature est un argument trompeur et même populiste. Ce qui est proposé n’est pas une simplification, mais une dérégulation en bonne et due forme.
C’est le deuxième biais, dont de nombreux éléments ont été mis en avant par natur&ëmwelt mercredi dernier. « Bien que natur&ëmwelt comprenne l’intention de simplifier les procédures, elle est d’avis que le projet de loi n’est pas équilibré et entraîne un affaiblissement considérable de la législation en matière de protection de la nature, alors que celle-ci est toujours en mauvais état au Luxembourg. Nous doutons que les modifications proposées permettent vraiment de construire plus rapidement, encore moins de résoudre la crise du logement. De plus, il n’est pas bénéfique de jouer l’un contre l’autre la crise du logement et celle de la biodiversité », précise la principale association pour la protection de la nature au Luxembourg.
Parmi les propositions qui posent problème, celle du concept de nature temporaire (Natur auf Zeit). Celui-ci avait été introduit par l’ancienne ministre de l’Environnement Joëlle Welfring (déi gréng), dans un projet de loi qui n’avait pas pu aboutir avant les élections de 2023. Originaire des Pays-Bas, le concept concerne les espaces non bâtis dans les périmètres urbains (dents creuses, terrains libres dans les zones artisanales…). Partant du principe que peu de nature est préférable à pas de nature du tout, il définit un temps t à partir duquel un aménageur n’a pas à compenser les biotopes qui se sont développés dans les friches avant les travaux. C’est-à-dire que l’aménageur doit pallier la perte des éléments naturels présents à cet instant t, mais pas ceux apparus après. Pour éviter toute mesure compensatoire, il n’était pas rare de voir les propriétaires de ces terrains tout faucher régulièrement.
« L’introduction de ce système risque d’entraîner une destruction massive de la nature », indique natur&ëmwelt. «Quelle sera la procédure à suivre en cas de présence d’espèces hautement protégées ou d’habitats prioritaires, pour la protection desquels le Luxembourg s’est engagé au niveau communautaire et international ? », demande encore l’association.
Et le levier fiscal ?
Ces questions sont importantes, car il n’existe à ce jour aucun inventaire de ces zones naturelles en contexte urbain. Dans le projet de loi déposé par Joëlle Welfring, désormais caduc, l’administration de la Nature et des Forêts aurait dû s’en charger, mais il semble qu’il n’en soit plus question aujourd’hui. Les promoteurs pourront donc détruire potentiellement des espèces végétales ou animales protégées, sans que personne ne sache ce qui disparaîtra et sans devoir compenser ces pertes.
En contrepartie, le nouveau projet de loi propose que tous les PAP NQ (plan d’aménagement particulier nouveau quartier) de plus de 20 ares disposent d’infrastructures vertes sur au moins 10 % de leur surface brute, dont au moins trois quarts en espace public. Natur&ëmwelt n’est pas convaincu : «Nous doutons que cette mesure suffise à compenser les destructions possibles […] et encore davantage qu’elle soit suffisante pour obtenir la végétalisation nécessaire à la stabilisation des espèces et des habitats.»
Il n’est pas inutile de rappeler à ce stade ce qui limite véritablement la construction de logements au Luxembourg et a déjà été démontré explicitement par l’Observatoire de l’habitat notamment. Ce ne sont pas les terrains constructibles qui manquent, 4 300 hectares sont aujourd’hui officiellement disponibles. Si on y bâtissait des logements tout en gardant la densité moyenne du pays, il y aurait de la place pour un million d’habitants.
Si ces terrains ne sont pas construits, c’est parce qu’ils ne sont pas en vente. Les grands propriétaires terriens (0,5 % de la population possède 50 % des terrains constructibles) ne les vendent qu’au compte-gouttes aux grands promoteurs, qui n’ont pas intérêt à développer trop de projets, trop rapidement, sous peine d’une baisse des prix.
Le levier fiscal pourrait, en revanche, être très efficace. Une taxe sur l’immobilité des terrains au taux progressif dans le temps, comme le propose l’Observatoire de l’habitat, ferait certainement bouger les choses. Mais l’intérêt collectif ne se superpose pas sur celui des argentiers et des promoteurs… peut-être pas sur celui du gouvernement non plus.
Dans quel état est la nature au Luxembourg?
Le dernier rapport sur l’état des habitats et de la biodiversité au Luxembourg a été publié par l’Observatoire de l’environnement naturel en 2022. Ses constatations sont inquiétantes. Les deux tiers des habitats naturels du Grand-Duché sont dans un état de conservation défavorable (18 %) ou mauvais (50 %). Plus de 80 % des espèces protégées sont dans un état de conservation défavorable (41 %) ou mauvais (41 %).
En septembre 2024, natur&ëmwelt a publié la nouvelle liste rouge des oiseaux nicheurs. Lors des cinq dernières années, 14 espèces ont disparu, 7 sont en danger critique d’extinction, 8 sont en danger, 13 sont classées vulnérables et 24 espèces figurent sur la liste de préalerte.