À partir de lundi, l’administration de la Nature et des Forêts va entreprendre des travaux dans la zone naturelle du Brucherbierg, à Schifflange. Ils viseront à favoriser la mise en place de pelouses sèches.
Autant le dire tout de suite, le chantier qui va avoir lieu dans la zone protégée d’intérêt national (ZPIN) Brucherbierg – Lallengerbierg risque de surprendre les promeneurs et les vététistes qui empruntent les nombreux chemins qui serpentent dans ce très beau paysage, héritage vert du passé minier du sud du pays où était extraite la fameuse minette. Pourtant, qu’ils se rassurent, tout est pensé pour le bien de la nature et l’accroissement de la biodiversité.
Là où se tenait l’ancien circuit de motocross en activité pendant les années 1970 et 1980 (des compétitions avaient lieu régulièrement), les arbres avaient été coupés pour aménager la piste. Depuis que les sports mécaniques ont déserté l’endroit, la nature s’est réappropriée ces espaces ouverts rares, mais d’une grande diversité écologique.
Sur ces terrains où la roche rouge affleure et où la terre est pauvre en nutriments, la nature, paradoxalement, s’égaye. Puisque tout pousse lentement, faute d’aliments disponibles en quantité, aucune espèce ne prend le dessus et la variété de plantes et de fleurs est en conséquence très importante. Les insectes adorent et les oiseaux aussi.
Notamment l’alouette lulu, très rare au Grand-Duché, qui a la caractéristique de nidifier à même le sol, dans ces pelouses sèches. Cette année, on ne l’a pas vu au Brucherbierg, mais un couple était bien là en 2022. Quelques spécimens habitent également pas très loin, à Dudelange, dans la réserve de la Haard.
Carte d’identité
Nom : Jan Herr
Âge : 45 ans
Poste : Gestionnaire Natura 2000 et animateur du Comité de pilotage des anciens sites miniers des anciens.
Profil : Après avoir étudié la zoologie en Écosse, Jan Herr a obtenu son master à la State University of New York à Syracuse (État de New York) avant de réaliser son doctorat à Brighton (Royaume-Uni). Son cursus l’a amené à s’intéresser particulièrement aux mammifères, notamment le castor et la fouine en milieu urbain. Il a rejoint l’ANF à l’issue de ses études en 2009 et a pris son poste actuel en 2018.
Une biodiversité beaucoup moins riche
Seulement, ces pelouses sont petit à petit mangées par les broussailles et une végétation de sous-bois. «Si l’on ne fait rien, la forêt va s’installer là aussi, comme partout autour», relève Jan Herr, biologiste et gestionnaire de cette zone protégée pour l’administration de la Nature et des Forêts. Or la forêt est un paysage dans lequel la biodiversité est beaucoup moins riche.
Alors, dès lundi et pour deux à trois semaines, les employés de Moselle Bois (une entreprise du groupe Entrapaulus) seront chargés d’enlever tout ce qui a été marqué par l’ANF. Les arbres et arbustes sur lesquels ont été cerclés des rubans rouges seront préservés. Comme ce bosquet d’églantiers, aux fruits rouges éclatants.
«Le cynips du rosier (NDLR : un insecte de la famille des hyménoptères pas si fréquent) pond ses œufs dans ses tiges, les fleurs sont appréciées des pollinisateurs, les oiseaux mangent les fruits… Les églantiers sont des plantes qui jouent un rôle important dans la nature», éclaire le scientifique.
Dans deux ans, tout sera vert
Juste à côté, un merisier sera conservé, mais pas le charme qui le voisine, marqué lui d’un point orange, signe qu’il sera abattu. «Les merisiers sont plus rares et leurs fruits sont également mangés par les oiseaux», justifie Jan Herr. Un grand chêne, dont la belle couronne domine un monticule, ainsi que quelques beaux pins sylvestres vont aussi rester, autant pour leur aspect esthétique que leur valeur biologique.
Les pins, pourtant, ne sont pas naturellement présents dans la région. «Ce sont les témoins de l’exploitation du minerai de fer, souligne le biologiste. À l’époque, on les plantait pour alimenter les hauts-fourneaux et pour stabiliser les galeries minières. C’est un bois qui a le grand avantage de craquer avant de casser. Lorsque les mineurs entendaient ce bruit, ils savaient qu’ils devaient immédiatement sortir du boyau parce qu’il était sur le point de s’effondrer.»
Les forestiers viendront d’abord avec leurs tronçonneuses pour couper les arbres marqués par ce fameux point orange. Un gros porteur viendra récupérer les troncs et les branches qui seront broyés, car la législation interdit de les brûler pour préserver la qualité de l’air. Les souches, elles, seront enlevées à l’aide de minipelles. Ces dernières seront également utilisées pour racler la terre et mettre la roche mère quasiment à nu.
Si l’on ne fait rien, la forêt va s’installer là aussi, comme partout autour
Ces scarifications impressionnantes pourront donner l’image d’un saccage de l’environnement. C’est pourtant le contraire qui va se passer. «Dans deux ans, on ne verra plus rien, la nature aura complètement repris ses droits, assure Jan Herr. Dès l’année prochaine, on verra de nombreuses fleurs différentes parce que les graines qui étaient dans le sol étaient bloquées par les grandes herbes qui occupaient toute la place et pourront enfin éclore.»
Puisque ces chemins sont toujours très fréquentés, l’aire du chantier sera soigneusement marquée pour que tout le monde soit prévenu. «Je demande aux promeneurs d’être responsables. Il y aura de gros engins, nous allons couper des arbres : nous n’interdisons pas pour le plaisir, mais parce que de vrais risques existent», prévient Jan Herr.
À la fin de l’intervention, de nouveaux chemins seront tracés, d’autres seront fermés pour laisser la nature libre de recoloniser ces nouveaux espaces ouverts. Pour entretenir ce paysage et empêcher la forêt de revenir, les moutons viendront paître ici sans doute plus régulièrement qu’autrefois. La réussite sera totale lorsque l’alouette lulu viendra réinvestir le Brucherbierg. Lorsque cet oiseau fragile s’installe quelque part, c’est forcément que la nature se porte bien.
Pourquoi ces travaux ont-ils lieu maintenant?
Deux axes permettent de répondre à cette question. Tout d’abord, les travaux de défrichage dans les zones vertes ne peuvent avoir lieu qu’entre le 1er octobre et le 28 février, c’est la loi qui l’exige. C’est lors de cette fenêtre que ces chantiers lourds et envahissants causent le moins de nuisance à la nature. Il n’y a plus de nidifications, par exemple.
Et puis, si ces travaux ont lieu maintenant, c’est aussi parce que le Plan national pour la protection de la nature mis en place cette année et en vigueur jusqu’en 2027 a permis d’octroyer les moyens financiers pour ce type de renaturation.
Car la facture est entièrement réglée par l’État, même si le propriétaire du terrain reste ArcelorMittal. «Nous sommes liés par une convention qui nous donne la gestion de leurs terrains ouverts et ils nous laissent mener les actions que l’on souhaite», précise Jan Herr.