Au Grand-Duché, en général, les populations de chauves-souris ne se portent pas bien. Dans l’est du pays, l’administration de la Nature et des Forêts (ANF) cherche des solutions pour les aider.
Carte d’identité
Nom : André Borrelli
Âge : 40 ans
Poste : menuisier ébéniste à l’ANF, arrondissement Est.
Profil : après un apprentissage chez un menuisier à Echternach où il a appris le métier, il a commencé à travailler en 2002 et est employé par l’ANF depuis 2014.
Carte d’identité
Nom : Juliana Reichert
Âge : 35 ans
Poste : Cheffe de l’arrondissement Est à l’administration de la Nature et des Forêts, responsable de 14 triages forestiers.
Profil : Elle a étudié les sciences forestières à l’université de Fribourg (Allemagne), avec une spécialisation sur la protection de la nature. Elle a rejoint l’ANF en 2015, dont son arrondissement Est depuis 2018.
On les trouve parfois inquiétantes, mais on affabule beaucoup. Les chauves-souris ne représentent absolument aucun danger pour nous, au contraire : elles nous rendent un immense service en pouvant manger jusqu’à 3 000 insectes par nuit, dont beaucoup de moustiques! Dans certaines régions infestées (notamment en Espagne), des nichoirs ont d’ailleurs été installés pour régler le problème le plus écologiquement du monde.
Mais s’il faut implanter des nichoirs, c’est bien parce que celles qui vivent à proximité des habitations ont de plus en plus de mal à trouver des sites d’habitat. «Auparavant, elles pouvaient vivre dans des granges, mais elles sont de plus en plus remplacées par des maisons ou des résidences qui ne leur laissent plus de place, explique Juliana Reichert, cheffe de l’arrondissement Est de l’ANF. Même les toits, qui s’arrêtent désormais au ras des murs, ne leur donne pas la possibilité de s’installer.»
Pour contrer cette mauvaise dynamique, les équipes de l’administration de la Nature et des Forêts déploient plusieurs stratégies. Dans la commune de Bech-Kleinmacher, l’État a ainsi racheté une ferme dont la grange abrite la seule colonie de grands rhinolophes intacte à haut potentiel de reproduction présente en Europe centrale et de l’Ouest. L’espèce étant inscrite sur la liste rouge, donc menacée d’extinction, cette acquisition sanctuarise cet habitat précieux. «Ces chauves-souris sont dans la même situation que les rhinocéros noirs dans les parcs africains, si nous ne faisons rien, elles disparaîtront très bientôt», assure Juliana Reichert.
Juste à côté des bureaux de l’arrondissement Est, entre Grevenmacher et le Potaschbierg, une maison abandonnée a été transformée en gîte quatre épis pour les chauves-souris. Tous les meubles et les aménagements inutiles ont été enlevés afin que les prédateurs (comme les loirs, les martres ou les fouines) ne puissent pas se cacher. Les fenêtres ont été occultées au maximum et les velux recouverts d’une peinture obscurcissante. Des ouvertures, sous les toits et dans les bardages, ont été spécialement créées pour que seuls les chiroptères puissent y accéder. Tous ces travaux et les aménagements ont été réalisés par les menuisiers et les ouvriers de l’ANF.
Et ça marche! Dans la demi-douzaine d’anciennes maisons reconditionnées pour les chauves-souris dans la région mosellane et son arrière-pays, les naturalistes ont déjà repéré des grands rhinolophes, des murins à oreilles échancrées, des grands murins, des oreillards roux et gris, des pipistrelles communes et des barbastelles d’Europe.
Il ne faut toutefois pas être trop pressé puisque les chauves-souris sont des espèces qui restent dans les endroits où elles se sentent bien. «C’est pour cela que ces mesures doivent être prises avant qu’il ne soit trop tard, souligne la cheffe de l’arrondissement. Pour qu’elles se les approprient, il faut qu’elles aient déjà eu le temps de les découvrir. Lorsque l’on force une colonie à se déplacer, par exemple en démolissant ou en rénovant une vieille maison, et qu’elles ne savent pas où aller, les risques de voir cette population disparaître sont grands.»
Des tours pour les accueillir
Ces derniers mois, l’ANF planche également sur une autre solution : la construction de tours qui leur seraient spécialement dédiées. «Cela se fait déjà en Bavière, où elles ont montré toute leur efficacité», appuie Juliana Reichert. Ces constructions mesurent 7 mètres de haut, la cave et les fondations seront en béton, tandis que les deux étages seront en bois. «L’idée est de créer des zones de températures différentes pour qu’elles puissent choisir où s’installer selon la saison, détaille-t-elle. En été, elles iront dans la cave, qui sera plus fraîche, mais l’hiver, elles s’établiront sous le toit qui sera plus chaud.» À l’intérieur de ces tours, les chauves-souris seront dans un environnement parfaitement sûr. Elles seront les seules à pouvoir y pénétrer et les entrées ne laisseront pas passer les courants d’air.
La construction sera réalisée avec le bois récolté dans la région par l’équipe de bûcherons de l’ANF. Les fondations, elles, seront le plus souvent préparées par les communes. «Nous avons tout l’équipement nécessaire sur place et nous pourrons réaliser exactement ce qu’il faut», apprécie André Borrelli, menuisier ébéniste de l’ANF qui a déjà travaillé sur l’aménagement de la maison voisine.
Il faut réaliser ces mesures avant qu’il ne soit trop tard
La bonne implantation des tours sera décisive pour la réussite du projet. Il faudra les placer à proximité de pâturages extensifs, dans des paysages riches de différents éléments (haies, bosquets…). La première sera élevée au sommet du coteau planté de vignes du Felsberg (Wintrange), sûrement à l’automne. Puis d’autres viendront notamment à Weimerich, du côté de Junglinster, ou près du Kelsbaach, entre Machtum et Grevenmacher. Le coût moyen d’une tour tournera autour de 100 000 euros, un montant raisonnable compte tenu de son impact écologique.
«Pour l’instant, nous sommes les premiers à prendre ce chemin au Luxembourg, mais je ne serais pas surprise que d’autres régions nous suivent, sourit Juliana Reichert. En prenant des renseignements chez des collègues pour y installer également des nichoirs pour les hirondelles et les martinets noirs, j’ai senti qu’ils étaient aussi très intéressés!» La cheffe d’arrondissement n’attend que ça : le modèle des tours a justement été conçu pour être aisément duplicable.
Quels sont les pires dangers pour les chauves-souris ?
La principale cause de l’inquiétant déclin des chauves-souris est la raréfaction de leurs habitats privilégiés. Les granges disparaissent petit à petit et les combles sont désormais systématiquement scellés hermétiquement pour des raisons bien compréhensibles d’économie d’énergie. Les constructions modernes, très lisses et fermées, ne laissent aucune place pour les chauves-souris.
La nature peut aussi se montrer cruelle parfois. Ainsi, la très rare colonie de grands rhinolophes de Bech-Kleinmacher a vu sa population chuter entre 2022 et 2023. Il s’est avéré que le responsable était un loir installé dans la vieille grange et qui s’est repu de ses mammifères en danger. Il a finalement été capturé puis relâché ailleurs, et la colonie a pu se repeupler.