Dans la réserve de la Haard, la biodiversité est particulièrement riche. Mais maintenir ce joyau demande beaucoup de travail aux équipes de l’administration de la Nature et des Forêts… ainsi qu’aux moutons !
C’est un espace rare dans le sud du pays, un havre de verdure au milieu d’une zone densément urbanisée. Il est toujours étonnant de se dire qu’ici, où piaillent une multitude d’oiseaux et où poussent les orchidées, la vie sauvage a été quasiment inexistante pendant des décennies.
«La fin de l’exploitation des anciens sites miniers ne date que de 1978, relève Jan Herr, biologiste et gestionnaire de cette zone Natura 2000 pour le compte de l’administration de la Nature et des Forêts (ANF). Il est rassurant de voir que la nature peut revenir aussi vite.»
Pratiquement tous les éléments qui constituent le paysage ont ici été façonnés par l’Homme. Les carrières ont été remblayées par la terre excavée lors de la construction de la collectrice du Sud, les plateaux sont constitués par les dépôts des résidus de la sidérurgie (le laitier)… Partout, l’exploitation par l’Homme a été intense et a laissé des traces. En jeu, bien sûr, l’extraction de la minette, ce minerai riche en fer qui a transformé l’économie luxembourgeoise.
Et pourtant, aujourd’hui, on ne voit plus que du vert sur ce sol rouge ! La nature revient si rapidement que, par endroits, il est nécessaire de la freiner pour maintenir la richesse de cette biodiversité. Sans intervention, les pelouses sèches se transforment vite en taillis où apparaîtront bientôt les premiers conifères, saules et bouleaux qui créeront en quelques décennies seulement une nouvelle forêt.
Du soleil sur la falaise
«Le paysage est plus riche lorsqu’il forme une mosaïque, explique Jan Herr. La forêt prédomine dans les anciens sites miniers, mais nous voulons aussi conserver quelques endroits plus ouverts, car ce sont des habitats très riches pour la faune et la flore.»
Cet hiver, par exemple, l’ANF a réalisé un chantier au pied d’une falaise. «Nous avons débroussaillé ce secteur auparavant impénétrable, avance le biologiste. Les arbres étaient si hauts que tous les rochers étaient à l’ombre. Avec ces travaux, nous avons laissé entrer le soleil!»
Visuellement, les effets sont impressionnants, puisque le sol est aujourd’hui à nu, raclé par des minipelles qui ont enlevé la fine couche d’humus. «On pourrait croire à une grande destruction, reconnaît Jan Herr, mais on voit déjà apparaître les espèces pionnières qui recolonisent l’endroit. Maintenant, nous allons laissé ce site tranquille et nous verrons que la biodiversité va très vite augmenter.»
On pourrait croire à une grande destruction, mais on voit déjà apparaître les espèces pionnières
La falaise est l’élément qui a décidé des travaux menés à cet endroit. «Ce type d’habitat, que ce soit une face rocheuse ou un remblai, est protégé, parce que lorsqu’il est au soleil, il accueille de nombreuses espèces, comme le lézard des murailles», souligne le gestionnaire de la Haard.
Malheureusement, ce joli petit coin attire aussi des humains qui ne lui montrent pas autant de respect. Alors que la zone n’est accessible que depuis quelques mois, des traces de feu sont visibles et des détritus jonchent le sol. «Cela fait mal au cœur, regrette Jan Herr. Non seulement les gens vont piétiner les jeunes pousses et effrayer les animaux, mais faire du feu est vraiment dangereux. L’endroit est très difficilement accessible, même pour les pompiers, et nous pourrions vite avoir une catastrophe de grande ampleur avec la sécheresse actuelle…»
À quelques centaines de mètres de là, dans une pelouse sèche où volent d’innombrables insectes et papillons, les orchidées colorent la prairie. Ce sont des orchis pyramidaux et des ophrys abeilles, une espèce sauvage protégée (comme toutes les orchidées au Luxembourg) devenue presque commune par ici.
Au loin, un grand troupeau : des moutons et des chèvres paissent tranquillement. «Il y a 700 ardennais roux qui appartiennent à un agriculteur de Bergem et le berger vient de Pologne», précise Jan Herr. Les pérégrinations des ovins sont savamment orchestrées par Jan Herr, qui définit un programme précis, scrupuleusement respecté par le berger, notamment pour que les bêtes ne viennent pas manger toutes les orchidées en fleurs.
«Le troupeau entretient les pelouses sèches de manière idéale : les moutons mangent les herbes et les chèvres, la végétation plus ligneuse. C’est un débroussaillage naturel très efficace. Sans leur intervention, pour garder cette zone en l’état, il faudrait venir avec des machines tous les ans, ce qui serait beaucoup moins satisfaisant !»
Autant les forêts de la Haard ne demandent que peu de travail à l’ANF, certaines étant même classées réserve forestière intégrale (aucun autre entretien que la sécurisation des sentiers), autant les pelouses sèches demandent un plan de gestion très solide. Mais le jeu en vaut la chandelle. Pas moins de 29 variétés d’orchidées sont dénombrées et 70 des 80 espèces de papillons recensées au Luxembourg vivent dans les anciens sites miniers. Pour des endroits dont les ressources ont été massivement exploitées pendant presque tout un siècle, c’est un beau résultat !
Pourquoi la biodiversité est-elle si riche sur un sol si pauvre?
En raison de leur histoire, les sols des anciens sites miniers sont très pauvres en nutriments. Pourtant, une grande variété d’espèces s’y épanouit, ce qui peut sembler contre-intuitif. Mais tout s’explique! «Lorsque les sols sont riches, quelques plantes à la croissance rapide exploitent toutes les ressources du sol rapidement et prennent vite le dessus sur les autres espèces, explique Jan Herr. Au contraire, dans les sols pauvres, la croissance de toutes les plantes est lente et aucune ne va devenir hégémonique rapidement, ce qui laisse davantage de place à un plus grand nombre d’espèces.»
La nature nous apprend donc que, parfois, la richesse naît de la pauvreté!
Carte d’identité
Nom : Jan Herr
Âge : 44 ans
Poste : Gestionnaire Natura 2000 et animateur du Comité de pilotage des anciens sites miniers.
Profil : Après avoir étudié la zoologie en Écosse, Jan Herr a obtenu un master à la State University of New York à Syracuse (État de New-York) avant de réaliser un doctorat à Brighton (Royaume-Uni). Son cursus l’a amené à s’intéresser particulièrement aux mammifères, notamment le castor et la fouine en milieu urbain. Il a rejoint l’ANF à l’issue de ses études en 2009 et a pris son poste actuel en 2018.