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[Gardiens de la nature] Au cœur de la forêt


Daniel Steichen connaît les forêts de Kehlen et Kopstal comme sa poche. Aucun arbre n’a de secret pour lui. (Photos : erwan nonet)

Le métier de préposé de la nature et des forêts est riche; pas un jour ne ressemble à l’autre tant les missions sont variées. Daniel Steichen, en poste à Kehlen, nous explique de quoi est fait son quotidien.

CARTE D’IDENTITÉ

NOM : Daniel Steichen

ÂGE : 31 ans

POSTE : Préposé de la nature et des forêts du triage de Kehlen

PROFIL : Après avoir obtenu son diplôme de technicien en environnement naturel au Lycée technique agricole de Diekirch (maintenant Gilsdorf), il a réussi le concours d’entrée à L’ANF en 2015. Il a rejoint le triage de Kehlen en 2022.

Daniel Steichen (31 ans) est le préposé de la nature et des forêts de l’administration de la Nature et des Forêts (ANF), et il travaille dans le triage de Kehlen. Son bureau est bien placé : juste au pied du château de Schoenfels! Un triage est la subdivision dans laquelle officie un forestier (« Fierschter« , en luxembourgeois) et plusieurs triages forment un arrondissement. Actuellement, le Grand-Duché totalise 64 triages et 5 arrondissements.

Lorsque l’on est préposé de la nature et des forêts dans les environs de Kehlen et de Kopstal, on sait qu’on ne manquera pas de travail : les forêts sont partout! «Mon secteur compte 805 hectares de forêt publique, c’est-à-dire qu’elles appartiennent à l’État, aux communes ou à des établissement publics», précise-t-il. Ces forêts sont le plus souvent des hêtraies, dans lesquelles on peut aussi croiser quelques chênes, charmes ou érables. Daniel crée les plans de gestion de ces forêts et les met en pratique avec son équipe de trois ouvriers. Il n’intervient pas dans les forêts privées, mais il peut conseiller les propriétaires qui le désirent. Ces derniers n’ont pas d’obligations particulières en termes de gestion.

La majorité du temps qu’il passe en forêt avec ses collaborateurs, Daniel Steichen le consacre à la sécurité des chemins balisés. Il faut avoir un œil sur tous les arbres qui pourraient causer des accidents. Ceux qui dépérissent petit à petit, ceux qui ont été maltraités lors des tempêtes… «Une branche de 5 centimètres de diamètre seulement tombant de 10 mètres de haut suffirait à tuer quelqu’un… Nous faisons extrêmement attention pour que les promeneurs ou les vététistes qui restent sur les sentiers ne soient jamais en danger.» Fin du fin, tous les chemins sont balayés et les à-côtés fauchés, une fois par an, par des appareils tractés par un cheval de trait.

Lorsqu’il faut couper un arbre ou une branche par sécurité, les reliquats restent le plus souvent en forêt où ils feront le régal des insectes qui les décomposeront, formant ainsi un précieux humus. Les troncs encore debout seront appréciés des pics qui y creuseront des cavités où viendront, peut-être, nicher des chouettes ou dormir des chauves-souris.

Gérer le présent, préparer l’avenir

Depuis la nouvelle loi sur la forêt, promulguée l’an passé, ses missions ont évolué. «Nous sommes l’un des tout premiers pays en Europe à devoir gérer les forêts de manière durable, c’est un grand pas dans la bonne direction», apprécie-t-il.

Concrètement, cela signifie que l’ANF ne réalise pas de coupe rase, mais favorise la régénération pour rajeunir les forêts. Quand un secteur doit être regarni, le préposé de la nature et des forêts va aider les essences un peu plus rares pour diversifier la forêt. Lors de notre visite dans la hêtraie de Kopstal, Daniel Steichen a ainsi plié de jeunes hêtres pour laisser davantage de place à un petit érable. «Les hêtres poussent plus vite, donc si nous laissons faire la nature, la diversité des espèces sera amoindrie, avance-t-il. Et si nous plions les hêtres plutôt que les couper, c’est pour bloquer leur croissance. Sans quoi, ils repousseraient encore plus vite.»

Diversifier la forêt permet de multiplier les chances de la garder en bonne santé. Si une maladie survient, qu’un insecte ravageur apparaît ou que le changement climatique stresse spécifiquement une espèce, les autres continueront à maintenir le couvert forestier. «Dans les années 1950, on a planté beaucoup d’épicéas parce qu’on reconstruisait le pays, qu’ils poussaient vite et qu’il y avait donc des débouchés, explique-t-il. Mais aujourd’hui, le bostryche l’a complètement anéanti. Ce papillon pose ses œufs sous l’écorce et les larves vont se nourrir dans le tronc en creusant des galeries qui bloquent la circulation de sève. Tous ces résineux ont été touchés très rapidement et nous n’en verrons bientôt plus aucun au Luxembourg.»

Nous utilisons des chevaux de trait pour les travaux de débardage

Pour travailler en forêt en abîmant les sols au minimum, les machines passent uniquement sur des chemins définis par les forestiers, qu’on appelle des layons. «En dehors de ces traces, nous utilisons des chevaux de trait, explique Daniel Steichen. Lors des travaux de débardage, par exemple, les chevaux sortent les arbres jusqu’aux layons où les machines les récupèrent.»

Être forestier aujourd’hui, c’est donc tout autant s’occuper de la forêt actuelle que préparer celle du futur. Ce qui, dans le contexte climatique, est une gageure. «La base de notre travail, c’est d’avoir une vision de la forêt à un horizon de 50 ou 100 ans. Mais personne ne peut dire ce qu’il en sera à ce moment-là…, souffle Daniel Steichen. En ce moment, nous sommes surtout dans une phase d’observation. Nous récoltons toujours du bois, mais moins qu’auparavant. Un arbre coupé, il faudra un siècle pour le remplacer, alors on peut le laisser encore un peu avant de voir ce qu’il se passe.»

La forêt souffre

Dans ce contexte incertain, Daniel Steichen reconnaît avancer avec humilité. «On dit que ceux qui avaient planté les épicéas avaient fait une erreur, mais c’est un peu facile. À l’époque, ça paraissait très logique puisque le bostryche ne causait pas de dégâts. Ils ont fait au mieux. Alors qui sait si une décision que nous prendrions aujourd’hui serait vraiment aussi bonne qu’on le croit dans deux ou trois générations?»

Ce dont il est sûr, c’est ce qu’il constate tous les jours. La forêt souffre. Moins cette année avec la pluie, mais les années de sècheresse successives ont été douloureuses pour les hêtraies. «Elles n’aiment pas lorsque les sols lourds se fendillent, cela coupe les petites racines avec lesquelles les arbres s’alimentent. Les hêtraies préfèrent les sols sableux.»

Prendre garde à la station des arbres, c’est-à-dire leur environnement immédiat, est désormais un impératif pour le maintien dans le temps des forêts. Le réchauffement climatique limite la fenêtre dans laquelle les arbres sont à leur aise. Mais Daniel Steichen garde sa confiance dans la résilience de la nature. «Les hêtres poussent sous de nombreux climats, du nord au sud de l’Europe. Ils trouveront le moyen de s’adapter à la nouvelle situation.»

Qui achète le bois de nos forêts?

Une des missions de l’ANF est de couper des arbres pour les revendre, tout en s’assurant du renouvellement des générations. Le bois est soit directement acquis par des scieries, soit par des acheteurs qui le revendront à leur tour. Les habitants des communes ont également accès à quelques stères de bois de chauffage.

La majorité des hêtres filent jusqu’en Chine, où ils seront transformés. Les bois plus nobles, eux, partent moins loin. «Le chêne reste très souvent dans la Grande Région où il est travaillé par des ébénistes pour faire des meubles ou des feuilles de plaquage», explique Daniel Steichen.

Les communes peuvent également se servir dans le stock de bois coupé, en fonction de leurs besoins. «C’est une solution que nous aimons beaucoup, relève Daniel Steichen. Nous préférons toujours les circuits courts : voir un bel arbre transformé en meuble conçu par un menuisier communal pour être installé dans une école, c’est une vraie satisfaction pour tous les forestiers!»

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