Christopher Simon, qui pilote le service Viticulture de l’Institut viti-vinicole, réalise un important travail scientifique dans les vignes de l’État. Il expérimente notamment les caractéristiques de nouveaux cépages.
Cela fait trois ans que Christopher Simon a pris son poste à l’Institut viti-vinicole (IVV) de Remich. Ce service est l’antenne du ministère de l’Agriculture spécialement dédiée à la Moselle. Depuis les grandes fenêtres de son bureau, ce conseiller spécialiste en agriculture bio peut observer une partie de ses vignes. Enfin, ce ne sont pas vraiment les siennes, mais celles de l’État qui possède 5,5 hectares autour du bâtiment situé sur les hauteurs de Remich et 1,5 autre du côté de Dreiborn, pas loin de Wormeldange. Toutes ces vignes sont conduites en bio.
À quoi servent-elles? À produire du vin, déjà. L’IVV dispose également d’un chai et de toutes les installations nécessaires à la production de vin tranquille et de crémant. «Mais comme nous n’avons pas le droit de la vendre, notre production est à la disposition des ministères et des ambassades, les vins produits chez nous sont servis lors des réceptions officielles», indique Christopher Simon.
Nous plantons trois nouveaux cépages chaque année
Cette utilité ne justifierait toutefois pas la présence de ce vignoble. Son principal objectif est scientifique. Le scientifique est un spécialiste des PiWis, un drôle de nom qui vient de l’allemand Pilzwiderstandsfähig, qui signifie «résistant aux champignons». Il s’agit de cépages sélectionnés pour leur capacité naturelle à se défendre contre les maladies cryptogamiques (mildiou, oïdium…), qui ont été croisés naturellement (rien à voir avec les OGM), afin que leurs raisins développent également d’intéressantes qualités organoleptiques, c’est-à-dire qu’ils impressionnent nos sens. En moyenne, ces cépages ne nécessitent que 30 % des traitements de vignes classiques, et beaucoup moins encore lors des bonnes années.
L’institut a planté ses premiers PiWis au début des années 1990. «Aujourd’hui, nous avons une vingtaine de variétés différentes et nous en plantons trois nouvelles chaque année», précise Christopher Simon. Pour faire de la place, les anciens plants sont donc arrachés. «Notre vision est scientifique, donc lorsque nous en avons suffisamment appris sur un cépage, il est plus utile pour nous d’obtenir de nouvelles informations avec un autre plutôt que de le garder.»
Promesses pas toujours tenues
Christopher Simon coordonne le volet pratique, en choisissant les cépages qu’il plante. Avec quatre employés, il s’en occupe également (taille, traitements…). C’est aussi lui qui vinifie ces PiWis, alors que Jean-Paul Risch, le maître de cave de l’IVV, s’occupe des cépages plus traditionnels. Christopher Simon maîtrise donc toute la chaîne de production de ces vins qui sortent de l’ordinaire.
Toutes les informations qu’il obtient sont à la disposition des vignerons du pays. On note d’ailleurs que les efforts de l’IVV ont une écoute auprès de la profession parce que depuis une bonne décennie, les vignerons sont de plus en plus nombreux à choisir ces variétés (cabaret noir, cabernet blanc, pinotin…), qui permettent de limiter drastiquement les produits phytosanitaires. La grande majorité de ces vignes sont d’ailleurs bios. Le premier domaine luxembourgeois à s’être lancé est celui de Laurent et Rita Kox (Remich), désormais dans les mains de leur fille Corinne, qui avait planté du cabernet blanc en 2010.
Dans cette même veine, l’IVV travaille également sur l’efficacité des produits bios vendus pour combattre les maladies comme le mildiou, l’oïdium, le botrytis ou le black rot. «L’action des conventionnels est bien connue, mais ce n’est pas le cas pour les bios, relate Christopher Simon. Il est nécessaire de les tester pour analyser le comportement dans le climat luxembourgeois».
Et visiblement, il y a du travail… «Certains coûtent très cher, mais n’ont absolument aucun effet, avance Christopher Simon. En réalité, il n’y en a que cinq, sur une cinquantaine que nous avons testée, qui se sont avérés efficaces.» Ces recherches sont réalisées en coopération avec le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST). «Nous avons les vignes et eux ont les labos, cette entente est très constructive et dans les faits, elle fonctionne vraiment très bien», se réjouit-il.
Ces travaux ont pour but de pérenniser le vignoble et développer sa résilience aux produits chimiques nocifs, tant au sol qu’aux hommes. Ils sont indispensables dans le contexte actuel, où le changement climatique bouleverse l’ordre des choses. «Dans le temps, en gros, on pouvait garder la même stratégie pendant vingt ans. Bon an mal an, ça fonctionnait. Aujourd’hui, ce n’est absolument plus le cas : il faut s’adapter chaque année. 2024 a été extrêmement pluvieux, mais en 2022, la sécheresse était le gros problème. Ces conditions amènent des problèmes différents, d’autres maladies. Le métier de vigneron devient de plus en plus difficile…».
Au moins, ils peuvent compter sur un service public animé par un personnel compétent et engagé qui se tient à leur écoute.
Les cépages du Sud sont-ils une solution?
Dans les vignes de l’Institut viti-vinicole, vous trouverez des cépages connus, mais pas sous nos contrées à l’image du tempranillo espagnol ou du touriga nacional portugais. Ils ont été plantés dans le contexte du réchauffement climatique, pour tester leurs aptitudes à produire de beaux raisins sur le sol luxembourgeois. Pour quels résultats? Il est encore trop tôt : «Dans la grande majorité des années, il n’y a pas assez de soleil pour que leurs raisins arrivent à pleine maturité».
Christopher Simon n’est d’ailleurs pas convaincu par la pertinence de transplanter ces cépages caractéristiques des vins du Sud sur les rives de la Moselle. «Est-ce que cela aurait vraiment du sens de produire de tels vins ici? Je ne suis pas sûr…» Modifier les techniques sur les cépages traditionnels, planter des PiWis dont les vins sont davantage dans l’esprit de la région sont, selon lui, des options qui sont encore à privilégier.
CARTE D’IDENTITÉ
NOM : Christopher Simon
FONCTION : Conseil en viticulture biologique et expérimentation viticole à l’Institut viti-vinicole de Remich
PROFIL : Il a obtenu en 2021 son mémoire de master obtenu à l’université de Geisenheim (Allemagne) sur un travail qu’il a mené à Remich, en collaboration avec le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) et l’université de Vienne, sur des pratiques innovantes pour l’élaboration du crémant. Il a été embauché par l’IVV dans la foulée, en 2022.
