Frank Engel, candidat pour le parti Fokus, introduit notre série consacrée aux têtes de liste pour les élections du 8 octobre prochain. L’ancien député européen estime avoir un programme très différent des autres.
Il peut surprendre à bien des égards parce qu’il a opéré quelques revirements politiques, en se laissant convaincre. Frank Engel et son parti Fokus ont présenté un programme qui s’attaque à quelques grands tabous, en espérant au moins initier des discussions qui deviennent inévitables.
Comme de nombreux autres candidats, vous plaidez également pour « plus de transparence ». Cela n’a rien d’original et a fait l’objet de nombreuses promesses pas toujours tenues. Où voulez-vous mettre de la transparence?
Frank Engel : Nous ne parlons pas de la transparence effrénée comme ceux qui demandent l’accès à tous les documents et subodorent la magouille partout, ce n’est pas notre façon d’être. Ce que nous entendons par « transparence« , c’est de donner la possibilité aux citoyens de savoir comment les administrations traitent une demande d’autorisation de construire, pour prendre un exemple.
Les délais sont extrêmement longs et il n’y a personne pour les renseigner, pour leur dire à quel stade de traitement se situe leur demande. Je parle aussi d’organisation de l’État avec son foisonnement d’établissements publics et d’associations conventionnées – il faut simplement définir avec précision et en toute transparence le périmètre d’action de l’État et des structures qui prolongent son action.
On crée des établissements publics à un rythme mensuel et personne ne sait trop pourquoi, comme avec ce foisonnement d’observatoires en tous genres. Quel est le statut des gens qui y travaillent, à quoi ça sert, à qui ça rapporte, comment sont-ils financés? Tout ça n’est pas clair.
Tout cela est pourtant détaillé dans les textes qui les instaurent, non?
Pas tellement. Il faut être clair, une bonne fois pour toutes, sur le périmètre de l’État. Il faut éviter de diluer la fonction publique, les services de l’État dans une panoplie de sous-structures qui finalement ne correspondent plus à ce que l’État devrait logiquement faire, ou alors qui pourraient très bien intégrer l’administration elle-même s’il s’agit de quelque chose qui doit être fait par l’autorité publique. Ce sont ces choses-là que nous visons quand nous plaidons pour la transparence.
Vous voulez toucher à la rémunération des fonctionnaires et à celle des députés. Pourquoi vouloir y mettre de l’ordre?
Il y a des fonctionnaires qui sont théoriquement classés quelque part dans les barèmes de la fonction publique, mais qui au-delà cumulent des mandats dans des conseils d’administration et d’autres émoluments pour arriver à des rémunérations supérieures à celles des ministres. Nous savons tous que pour certains fonctionnaires, il faut un intéressement financier très conséquent car ces personnes prestent un travail crucial, mais alors avouons-le et créons des catégories de rémunération réelles au lieu de passer par de l’ingénierie salariale.
Pour les députés, il existe en réalité trois catégories de rémunération. Il y a ceux qui sont fonctionnaires et qui touchent toujours une partie de leur traitement, alors que leur carrière continue de progresser. Ce qui explique que 47 députés sur 60 sont issus de la fonction publique, ce qui ne correspond pas à une représentation raisonnable du pays.
Pour les élus en provenance du secteur privé, il y a certes le congé politique, mais ils doivent souvent dire adieu à leur avancement ou même à leur maintien dans leur entreprise. Finalement, les indépendants perçoivent une indemnité spécifique, qu’ils aient eu une activité professionnelle ou non. Il serait grand temps de déterminer un traitement égal pour tous les députés, identique et imposé intégralement.
Passons au logement et à vos attentes en matière d’impôts fonciers et de bail emphytéotique pour booster la construction de logements. Que proposez-vous?
Nous exigeons par exemple que si aujourd’hui, on acquiert un terrain constructible, on dispose d’un délai d’un an exactement pour engager des procédures qui démontrent que l’on souhaite construire. Au-delà de ce délai, il faudra instaurer un impôt substantiel au point de faire passer le plaisir de conserver des terrains à des fins spéculatives.
Nous souhaitons d’autre part engager cette offensive emphytéotique qui, seule, rendra le logement accessible à ces classes moyennes qui travaillent chaque jour en se faisant refouler par les banques. Au besoin, pour en accroître l’acceptation, rien n’empêche de modifier la durée de l’emphytéose à 250 ans si on veut – même si, après la durée maximale actuelle de 99 ans, la très grande majorité des constructions aura déjà été remplacée.
Notre offensive vise la construction de 25 000 unités sur toute la législature, ce qui représente l’équivalent de toutes les constructions, en moyenne, sur la même durée. Il faut que les futurs acheteurs ou locataires puissent bénéficier d’un prix ou d’un loyer qui fasse abstraction du prix du terrain. C’est le terrain qui rend le logement inabordable, pas la construction. Ceux qui préfèrent la pleine et entière propriété peuvent continuer à chercher sur le marché, nous ne voulons pas entraver le marché immobilier classique, mais créer une offre supplémentaire.
Vous insistez sur l’égalité des clients devant la banque. Expliquez-nous…
Il n’est tout simplement pas acceptable qu’avec des revenus égaux, un fonctionnaire ait toutes les chances d’obtenir un emprunt, mais pas un salarié. Quelqu’un qui vient avec un CDI et un revenu égal doit avoir le même traitement. Nous refusons des différences statutaires pour l’obtention d’un emprunt.
L’un vient avec une garantie d’État implicite, alors il faudrait une garantie explicite pour l’autre. Nous voulons aussi limiter l’apport propre dans l’octroi des crédits immobiliers. Il y a quatre ou cinq ans seulement, avec des intérêts quasiment inexistants, les banques faisaient des crédits de 120 %, en ajoutant encore une cuisine et une voiture.
Aujourd’hui, avec des taux de 5 % et plus, elles demandent aux clients un quart ou un tiers de la valeur du bien en apport personnel. À moins d’avoir hérité, personne ne peut avoir 250 000 euros d’épargne à 30 ou 40 ans. Nous voulons limiter l’apport personnel à 75 000 euros pour un million emprunté, comme certains pays l’ont établi par la loi. On peut très bien légiférer sur le sujet.
Vous plaidez pour l’introduction d’une taxation sur les transactions financières, et c’est un véritable changement de cap pour l’ex-député européen chrétien-social que vous étiez. Vous devenez altermondialiste?
Sur mes vieux jours, un retour aux sources! Sérieusement, j’ai été en faveur de la taxation de certaines transactions financières quand j’étais au Parlement européen, je reste fidèle à mes convictions. On veut une place financière verte, d’ailleurs beaucoup d’efforts ont été entrepris dans ce sens, et je pense qu’il n’est pas pervers d’accepter que ces fonds, ces titres et autres subissent une légère ponction, dont le produit est orienté dans le financement des politiques durables.
Les grands fonds qui peuvent intéresser le Luxembourg ne s’y opposent d’ailleurs pas eux-mêmes. Nous ne prêchons pas la taxation des transactions financières pour payer les salaires dans la fonction publique, mais pour financer les investissements dans l’avenir. Mon parti est d’avis que l’on ne peut pas continuer à faire comme si on pouvait alléger à l’infini la pression fiscale sur le travail sans rien faire sur le capital.
Ou alors, il faudra dire aux gens, à un moment donné, que certains services et infrastructures ne sont plus finançables. Si on veut maintenir un niveau de services de l’État de qualité élevée, il faut une discussion honnête sur l’orientation future de notre politique fiscale. Je n’ai entendu aucun des « grands » partis avouer que l’allègement de la charge fiscale sur le travail passe par une taxation plus sensible du capital. Et pourtant, c’est l’évidence même.
Taxer la robotisation devient un vieux débat maintenant, Fokus compte le remettre au goût du jour. Il est grand temps?
Je constate qu’aujourd’hui, quand une voiture est construite, elle l’est par le truchement de machines. La machine s’amortit, un robot est un investissement et une opération comptable.
Un travailleur, une personne humaine, ne l’est pas – mais paie ses impôts et ses cotisations sociales. Nous envisageons de taxer les transactions financières automatisées, alors pourquoi ne pas faire de même pour des procédés physiques automatiques?
Les non-Luxembourgeois et les Luxembourgeois vivant à l’étranger sont d’un grand intérêt pour vous. Le gouvernement vient de supprimer le Conseil national des étrangers, qu’en pensez-vous?
Je reste d’avis qu’avant tout progrès en cause en termes de participation politique, il faut une interlocution avec les communautés non luxembourgeoises du pays pour détecter leur intérêt, leurs besoins et leurs aspirations dans tous les domaines. Cela inclut d’ailleurs l’accès à la fonction publique.
Nous pratiquons pour le reste une « intégration« par octroi de passeports, à raison de 10 000 par an, sans que les bénéficiaires de cette opération ne soient plus intégrés qu’au moment où ils sont venus chez nous. C’est un leurre que nous pratiquons. Ce sont d’ailleurs des gens que la politique ne connaît pas, ne sait pas atteindre.
Nous continuons d’avoir très peu d’étrangers dans les partis, c’est la réalité. Je souhaiterais que l’on reconstitue le Conseil national des étrangers, peu importe comment on l’appelle, pourvu qu’il fonctionne mieux que le précédent. Il serait important de le raviver d’urgence et de le laisser fonctionner quelques années pour produire quelques pistes utilisables concernant la participation politique des non-Luxembourgeois.
Il faut procéder à une discussion sérieuse, sereine et paisible sur la question, car elle est d’importance. Notre parti a imaginé cette proposition de donner le droit de vote actif aux ressortissants communautaires. Je sais que ce n’est pas pour demain, mais je souhaite que l’on en débatte. Il y a aussi les Luxembourgeois qui résident à l’étranger, soit un quart de l’électorat potentiellement, et qui n’ont pas le droit de vote passif. Il faut qu’ils puissent également se faire élire, qu’ils soient décemment représentés au Parlement, comme c’est le cas pour toutes les grandes diasporas.
Vous avez longtemps été opposé à l’alphabétisation en français. Aujourd’hui, elle figure dans votre programme. Pourquoi avoir changé d’avis?
Je me suis laissé convaincre par nos enseignants, au bout du compte. J’avais l’idée à une époque d’alphabétiser en luxembourgeois, sauf que nos enseignants estiment que cela compliquerait encore les choses.
Nous souhaiterions pourtant un examen approfondi de cette question. J’ajouterais qu’il faudrait une bonne fois pour toutes s’entendre sur une langue d’intégration dans ce pays, et je ne suis pas sûr que cela soit logiquement ou naturellement le français.
Ces élections réservent leur lot de surprises avec ces petits et jeunes partis qui peuvent faire la différence, dont le vôtre, Fokus, alors que les pirates veulent confirmer leur succès. Il sera difficile de convaincre pour votre première à une élection nationale?
Je considère que notre programme est différent à plus d’un égard. Nous ne sommes pas coincés dans la logique des grands partis qui n’osent plus déplaire et je ne vois rien d’incisif chez les petits. Rien sur une réforme du système électoral, sur une circonscription unique, sur les fusions de communes dont le nombre doit être réduit, selon nous, à largement moins de 50.
Il faut remettre l’aménagement du territoire au centre des préoccupations et penser notre croissance et notre développement économique à l’échelle de la Grande Région. Tout cela, on ne le retrouve nulle part ailleurs alors que nous nous intéressons fortement à ces thèmes, ne serait-ce que pour engager les discussions nécessaires. Le changement des habitudes politiques, le changement des grandes orientations, le changement tout court passe par une représentation parlementaire de Fokus.