Cérémonie trop sage, nouvelles catégories de prix peu judicieuses, atmosphère politique parfois pesante… le bilan de la 8e Lëzebuerger Filmpräis est mitigé, malgré les belles émotions que l’on a pu vivre samedi soir.
Le débat national sur la langue luxembourgeoise semble avoir marqué les organisateurs du Lëtzebuerger Filmpräis. La manifestation historiquement plurilingue, à l’image de son secteur audiovisuel, a commencé cette année avec un seul en scène de l’auteur Guy Helminger, 100 % dans la langue de Dicks. Un lancement qui a divisé le parterre en deux, entre ceux qui riaient aux blagues de l’auteur – qui n’a pas gagné le prix Servais, comme il s’est fait un plaisir de le rappeler depuis la scène au ministre de la Culture qui l’avait confondu il y a quelques mois avec son frère, Nico – et ceux qui regardaient leur montre sans rien y comprendre et attendaient les remises des premiers prix de la soirée. Une attente qui aura bien duré près d’une demi-heure tout de même.
Pour le reste de la soirée, le multilinguisme habituel de l’événement a repris le dessus : luxembourgeois, anglais, français, allemand se sont ainsi succédé selon la langue d’expression préférée du présentateur, de l’invité ou du lauréat. Une cérémonie bien sage, ont regretté de nombreux invités lors du cocktail dînatoire qui l’a suivie, avec la comédienne islando-luxembourgeoise Elisabet Johannesdottir et le comédien américain Isaac Bush en maîtres de cérémonie peut-être un peu trop coincés dans leur smoking noir et blanc.
Le regret d’une époque plus délurée
Alors, trop guindée la soirée du Filmpräis? En tout cas, certains le pensent et avouent regretter une époque où elle était moins formelle et plus délurée, comme lorsque Max Hochmuth et Fred Neuen ou encore Gabriel Boisanté présentaient l’événement. Les choix musicaux de la soirée, par contre, semblent avoir fait l’unanimité, ou presque, avec le sextette de jazz du Lëtzebuerger Filmpräis All Stars, avec Michel Reis, Pol Belardi, Pit Dahm… ou encore l’intermezzo blues de Kid Colling.
Pour le reste, on a entendu quelques mots contre le «tout « nation branding »» – le pauvre petit oiseau du court métrage de Laurent Witz en a pris pour son grade – et quelques piques contre les politiciens actuellement aux commandes du pays mais aussi contre ceux qui le seront, probablement, très bientôt. Sans oublier, une nouvelle fois, les demandes répétées en boucle, ces derniers mois, par les différents acteurs du secteur d’un meilleur financement des films, etc. Néanmoins, la soirée a récompensé le meilleur du cinéma grand-ducal.
De nouvelles catégories qui étonnent
Certaines nouvelles catégories du Filmpräis n’ont, cependant, pas fait l’unanimité auprès des présents au Grand Théâtre. La meilleure contribution créative dans une fiction ou un documentaire – dont la statuette est revenue à la costumière Uli Simon pour son travail sur Egon Schiele de Dieter Berner – semble finalement n’être qu’un amalgame d’anciennes catégories : meilleure contribution artistique et meilleure contribution technique. Quant au prix de la meilleure production TV et nouveaux médias – allé à Iris Productions pour la série Bad Banks –, il donne, lui, l’impression de mélanger des carottes et des choux. Mais le pire a été la présentation des nommés pour la statuette de la meilleure contribution créative dans un film d’animation, accueillie par un rictus attristé par les spectateurs tellement les mêmes noms revenaient en boucle. Attention, le lauréat, l’équipe animation du studio 352/Melusine productions pour son travail sur The Breadwinner, le film de Nora Twomey qui sortira mercredi sur les écrans grand-ducaux, n’a pas volé son prix, mais la plupart des lauréats étaient également nommés pour Ethel et Ernest et pour Richard the Stork.
Ces trois films, tous coproduits par Mélusine Productions, étaient d’ailleurs les seuls en compétition pour le prix du meilleur film d’animation en coproduction, ce qui a également fait réagir. Cette hégémonie n’enlève bien sûr rien au mérite du producteur Stephan Roelants et de ses équipes, mais disons que le stress n’était pas vraiment au rendez-vous pour cette catégorie.
Si la compétition était plus ouverte, le prix de la meilleure interprétation remis à Vicky Krieps pour son personnage de Lucy Loschetter dans Gutland de Govinda van Maele n’a pas non plus surpris grand monde, tout comme celui du meilleur long métrage luxembourgeois de fiction ou d’animation remis au même film, qui a déjà eu les honneurs de plusieurs grands festivals internationaux et qui représentera d’ailleurs le Grand-Duché aux prochains Oscars.
Plus surprenante, par contre, la victoire de Noces, de Stephan Streker, dans la catégorie très relevée (Black 47 de Lance Daly, Egon Schiele de Dieter Berner, Es war einmal in Deutschland de Sam Garbarski, Mary Shelley de Haifaa Al-Mansour ou encore Storm de Dennis Bots) de meilleur long métrage en coproduction. Surprenantes victoires aussi de La Supplication de Pol Cruchten – qui n’avait pourtant pas reçu un bon accueil lors de sa présentation, l’an dernier, au Lux Film Fest – en tant que meilleur documentaire ou encore celle de Fils de Cyrus Neshvad en tant que meilleur court métrage.
Des lauréats tous néanmoins chaudement applaudis par un Grand Théâtre plein à craquer. Et si ce genre de soirée est avant tout une fête, elle donne aussi droit à quelques séquences d’émotion, comme lorsque Stephan Roelants a annoncé la disparition, la veille, de Roger Mainwood, réalisateur d’Ethel & Ernest ou encore quand un hommage a été rendu aux disparus du secteur de ces deux dernières années comme Roger Leiner, le papa de Superjhemp, qui s’apprête à débarquer sur grand écran, ou encore la comédienne Marie-Christine Faber.
Pablo Chimienti
Il est évident que je déplore les lignes relatives aux nominations dans les sections animation. Si les rictus étaient attristés, ils étaient surtout idiots car quel problème y a-t-il de mettre en valeur le travail d’une équipe aux talents remarquables et variés. Nous ne sommes pas en charge des nominations et nous n’empêchons personnes de se distinguer par un travail admirable et admiré, sauf peut-être en notre beau pays. Il faut surtout savoir que Breadwinner a été nommé aux oscars et récompensé dans les plus grands festivals à travers le monde, que Ethel et Ernest a remporté aussi de nombreux prix et a été nommé aux European Film Awards et enfin que Richard the Storck a été vu par plus de trois millions de spectateurs de par le monde. Mélusine productions et Studio 352 sont fières de pouvoir reconnaître et encourager leurs talents et nous n’avons qu’une hâte c’est que d’autres prennent le relais d’une qualité et d’une excellence qui semble faire ricaner les mondains plus avides de petits fours que de culture. « La critique est aisée mais l’art est difficile. »